Une séquence vidéo amateur diffusée sur internet
montre trois flics déguisés en « casseurs » qui cherchent à provoquer
un affrontement entre la police anti-émeutes et des manifestants à Montebello,
petite municipalité du Québec où se tenait la semaine dernière une rencontre au
sommet entre les chefs de gouvernement américain, canadien et mexicain.
Les 20 et 21 août derniers, le somptueux Château
de Montebello a été transformé en véritable forteresse à l’occasion du
sommet nord-américain sur le Partenariat pour la sécurité et la prospérité. Quelque
3.000 policiers patrouillaient les environs du Château, la Gendarmerie royale
du Canada (GRC) à l'intérieur du périmètre de sécurité, et la Sûreté du Québec (SQ)
à l'extérieur. Des hélicoptères survolaient la région, tandis que des bateaux
de la garde côtière sillonnaient les eaux de la rivière Outaouais.
Ce vaste dispositif de sécurité était à la
mesure du fossé qui sépare l’élite dirigeante nord-américaine de la masse
des gens ordinaires. Les trois chefs de gouvernement présents, malgré leurs vives
divergences reliées aux intérêts nationaux conflictuels des élites qu’ils
représentent, se rejoignent dans la poursuite commune et incessante d’une
politique qui profite à une poignée de super-riches – directement représentés
au sommet par les plus puissants hommes d’affaires des trois pays –
au détriment des besoins sociaux de la majorité.
Le premier ministre canadien Stephen Harper
dirige un gouvernement minoritaire conservateur dont les mesures de libre marché
et de militarisme débridé en Afghanistan sont de plus en plus impopulaires. Le
président mexicain Felipe Calderon, qui a pris le pouvoir après une élection
entachée d’accusations de fraude, est engagé dans une campagne de peur
pour pousser l’opinion publique mexicaine à accepter un tournant vers un
pouvoir autoritaire. Quant au président des États-Unis, George W. Bush, il
personnifie la brutalité d’une élite dirigeante américaine prête aux
pires crimes de guerre – comme en Irak – pour s’emparer des
ressources énergétiques de la planète et poursuivre ses ambitions
d’hégémonie mondiale.
Les mesures de sécurité extraordinaires
déployées à Montebello ont été justifiées par les responsables de la police comme
étant nécessaires pour contrôler les manifestants « extrémistes » et
prévenir tout « débordement ». Or les images captées sur vidéo illustrent
une pratique de longue date des forces policières, à savoir l’utilisation
d’agents provocateurs pour servir de prétexte à l’intervention
musclée de la police anti-émeutes contre les manifestations
anti-gouvernementales ainsi qu’à d’autres mesures de répression.
La vidéo, datée du 20 août, montre trois hommes
masqués, à la carrure imposante et l’air agressif, chercher à
s’infiltrer parmi un groupe de jeunes manifestants physiquement plus
petits, vêtus de noir et portant des drapeaux rouges. L’un des trois
costauds porte une pancarte avec l’inscription : « Fin à la guerre
et à la mondialisation ». Un autre a une pierre en main.
Dave Coles, président du syndicat canadien
de l’énergie et du papier, l’un des organisateurs de la
manifestation, confronte les trois « casseurs ». Il demande à
celui qui tenait la pierre de la laisser tomber et aux trois de montrer leurs
visages. L’un d’eux le bouscule et lui fait un doigt
d’honneur.
A ce moment, le groupe de manifestants
pacifiques commence à scander « policiers, policiers ». On entend la
voix d’un jeune manifestant dire : « Ils veulent nous tromper,
ils veulent qu’on soit agressif avec eux. (…) Ce sont des agents
provocateurs. »
Pendant ce temps, les trois compères se déplacent
discrètement vers l’escouade anti-émeutes, qui formait un cordon à
quelques pas de la scène. On voit l’un deux se pencher à l’oreille
d’un policier. Le cordon de police s’ouvre après une légère
empoignade, laisse passer les trois hommes, qui sont maîtrisés et menottés sans
rudesse. Tandis qu’ils s’éloignent, on voit clairement qu’ils
portent les mêmes bottes que les policiers qui les escortent.
Comme d’habitude
pour les représentants des forces de sécurité, la direction de la SQ a
initialement nié que les trois hommes en question faisaient partie de la police.
Mais suite à l’affichage de la vidéo sur le site YouTube.com (pour voir
la séquence, suivre ce lien : Stop SPP Protest - Union Leader stops
provocateurs), elle n’a eu d’autre choix que d’admettre
qu’il s’agissait bel et bien de policiers de la SQ.
N’eût
été la diffusion sur YouTube, l’incident serait sans doute resté dans
l’ombre. Le site internet de Radio Canada titrait par exemple le 20
août : « Sommet de Montebello : Manifestations dans le
calme relatif », et faisait mention de quelques escarmouches isolées après
le départ du gros des manifestants.
Le fait est que le nombre de manifestants
est resté relativement faible, quelques centaines, selon les médias. Les
mesures de protection et la réponse des forces de sécurité étaient, en
revanche, disproportionnées. Des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc
ont été lancés sur les manifestants – même sur un groupe qui ne voulait
que déposer une pétition de 10.000 noms sur la grille du château. Quatre
personnes ont été arrêtées et accusées d’« entrave au travail
d’un policier ».
Concernant les trois policiers de la vidéo,
Marcel Savard, de la direction des enquêtes criminelles de la SQ, s’est
hasardé à offrir l’explication suivante : « Ils avaient le
mandat de repérer et d’identifier les manifestants non pacifiques ainsi
que de prévenir les débordements ». Selon lui, la pierre que tenait
l’agent de la SQ « venait d’un manifestant qui aurait voulu
l’inciter à la lancer ». Pourquoi le policier déguisé refusait-il alors
de la laisser tomber tel que demandé par les manifestants ? Pourquoi avoir
bousculé Coles et lui avoir fait un doigt d’honneur ? Pourquoi
voulaient-ils se mêler à la ligne des jeunes manifestants ?
Ottawa a défendu les agents provocateurs de
la SQ bien que leur comportement, capté sur vidéo, soit de nature criminelle et
illégale. Adoptant à son tour le ton de la provocation, comme il est maintenant
de rigueur pour le gouvernement conservateur, le ministre fédéral de la
sécurité publique, Stockwell Day, a déclaré: « Parce qu’ils ne
posaient pas des actes de violence, on a noté qu’ils n’étaient
probablement pas des manifestants. Je crois que c’est plutôt une
condamnation des manifestants violents. »
Ce n’est pas la première fois que la
police utilise ce type de méthode pour justifier l’adoption de mesures
répressives visant à limiter, sinon abolir à toutes fins pratiques, le droit de
la population de manifester son opposition à la politique gouvernementale.
Pour ne citer qu’un exemple récent, il
y a eu l’affaire Germinal qui a fait couler beaucoup
d’encre. En avril 2001, lors du Sommet de Québec sur le libre échange
nord-américain, le gouvernement avait mis en place le plus impressionnant dispositif
de sécurité jamais vu au Canada, engageant des dépenses de plus de 100 millions
de dollars pour équiper et entraîner les forces policières et pour construire
un périmètre de sécurité.
Quelques jours avant le sommet, la police
avait arrêté sept jeunes hommes en route vers Québec, qui avaient en leur
possession des bâtons, des bombes fumigènes, des simulateurs de grenades et des
masques à gaz. L’affaire fit les choux gras de la presse et c’est
avec soulagement que celle-ci accueillit les mesures de sécurité ayant entouré
le sommet.
Il est toutefois apparu que c’était un
coup monté. Le leader du groupe était un ex-membre des Forces armées canadiennes.
Le groupe, qui comptait une quinzaine de personnes au total, avait été infiltré
par au moins deux agents doubles de la GRC et au moins deux autres membres de
Germinal étaient dans l'armée canadienne. C'est un des soldats qui a présenté
les taupes de la GRC au groupe Germinal. Les taupes de la GRC ont même fait
pression pour que le groupe fasse usage de cocktails Molotov à Québec, ce qui
fut rejeté parce que trop dangereux, et ils ont fourni une partie importante de
l'équipement qui fut utilisé pour incriminer les membres de Germinal.
C’est la
même méthode anti-démocratique qui a été démasquée la semaine passée à
Montebello. Que les images captées à cette occasion restent gravées dans la
mémoire des travailleurs. Lorsque l’Etat cherche à
déployer son arsenal répressif sous le prétexte de combattre l’ « extrémisme »,
il ne faut jamais oublier qu’il envoie lui-même ses fiers-à-bras semer le
trouble et inciter à la violence.
L’objectif visé
est clair : intimider les manifestants ; décourager la population en
général à exercer son droit démocratique d’exprimer son opposition à la
politique réactionnaire de l’élite dirigeante ; et discréditer les opposants
au gouvernement, particulièrement les jeunes, en les faisant passer pour une
bande de criminels.