Tandis que les marchés boursiers se stabilisent, du moins pour
le moment, les effets du resserrement des conditions de crédits induits par la
crise du marché du « subprime » (crédit hypothécaire à taux variable
à risque) aux Etats-Unis se font à présent sentir dans les banques et les
institutions financières ainsi dans que l’ensemble de l’économie.
Cette semaine, les retombées financières ont atteint la Grande-Bretagne
où le groupe HBOS, propriétaire de Halifax et de Bank of Scotland, a annoncé
qu’il accorderait un crédit de 37 milliards de dollars à Grampian pour
financer ses dettes ou celles de son véhicule Grampian Funding qui traite en
prêts groupés (packaged loans) y compris les hypothèques, les cartes de crédit
et les crédits voiture. La banque a déclaré maintenir le financement
jusqu’à ce que la situation sur le marché financier s’améliore et
atteigne un niveau acceptable.
En Allemagne, où deux banques, la banque IKB et la Sachsen LB,
ont déjà été touchées par la crise de liquidité, il est évident que ces
problèmes affectent profondément le système financier. Comme le remarquait un
rapport publié lundi dans le Financial Times : « La Sachsen LB
et la banque IKB ont beau être de petites banques, néanmoins l’impact de
leur chute et l’embarras causé à la Bundesbank [la banque centrale
allemande] ont dépassé les frontières allemandes. Les marchés financiers et les
décideurs politiques en sont à se demander si d’autres crises bancaires menacent
dans les coulisses et si les régulateurs [les banques centrales notamment] comprennent
vraiment la situation. »
Selon Alexander Stuhlmann, le président du directoire de la
banque WestLB, une autre banque régionale publique, la situation dans laquelle
se trouvent les banques allemandes n’est pas « sans danger. »
« Nous ressentons une réticence de la part de nos partenaires étrangers à
accorder des crédits aux banques allemandes, » a-t-il précisé. « Si
nous avons une crise bancaire en Allemagne, et que les autres pays nous
tiennent à l’écart, alors d’autres banques auront également des
difficultés. »
Le système bancaire allemand compte parmi les plus durement
touchés par la crise hypothécaire en raison des habitudes pratiquées des années
durant par les petites banques, notamment les banques régionales publiques à
s’engager dans des opérations d’investissements financiers plus
risquées dans l’espoir de contrecarrer les effets d’un marché
national en baisse et les tensions d’une concurrence accrue. Alors que
les principales banques régionales sont classées en dehors des 30 plus grandes
banques européennes, elles figurent parmi les 30 premières à consentir des
prêts titrisés.
Les problèmes existant dans le secteur bancaire ont provoqué
des appels de la part des industriels pour que la Banque centrale européenne
(BCE) annule une hausse du taux directeur prévue pour le mois prochain. Selon
la Chambre de Commerce et d’Industrie allemande (DIHK), les banques
avaient déjà resserré les modalités de prêt et augmenté le coût du crédit pour
les petites entreprises.
En lançant un appel à la BCE de ne pas relever les taux, le
chef de la Fédération allemande des Chambres de Commerce et d’Industrie,
Axel Nitschke, a dit : « Ce à quoi nous assistons en ce moment sur
les marchés du crédit va probablement avoir un effet majeur en freinant le
dynamisme économique dans les prochains mois, non seulement en Allemagne mais
de par le monde. » Il a dit que la DIHK avait reçu en juin des appels de
détresse de la part d’entreprises allemandes de taille moyenne.
Les effets de secousse de la crise sur l’économie en
général étaient également à l’origine des avertissements lancés par John Lipsky,
responsable numéro deux du Fonds monétaire international (FMI). Parlant au Financial
Times, le directeur général adjoint du FMI a mis en garde que les
turbulences du marché financier allaient « sans doute freiner la
croissance économique mondiale ». Alors que les soi-disant « marchés
émergeants » avaient jusque-là résisté à la crise, ajouta-t- il, il serait
« beaucoup trop optimiste » de penser qu’ils ne seront
nullement touchés.
Il a dit qu’on ne verrait pas de si tôt la fin des turbulences
actuelles en raison des incertitudes concernant les dégâts causés à la
croissance économique. Il y aurait également des risques pour l’ensemble
du système financier causés par le manque de transparence des banques quant à
la véritable ampleur de leur exposition aux investissements à risque.
« Le manque de transparence peut créer des doutes se
traduisant par une volatilité du marché, » a expliqué Lipsky. « Nous
voyons que dans certains cas des institutions financières régulées
s’engagent dans des risques hors bilan et qui ont des implications
indirectes sur ces institutions. » Ceci a suscité des incertitudes quant
au degré de risque encouru par ces institutions majeures et a contribué au
tarissement de liquidités sur les marchés financiers.
En ce qui concerne l’économie dans son ensemble, la
première crainte est que la dépression du marché immobilier américain ne conduise
à une baisse des dépenses de consommation et au début d’une récession.
Jeudi, le directeur général de Countrywide Financial Corporation, Angelo Mozilo,
a attiré l’attention sur le fait que le marché de l’immobilier ne
montrait aucun signe d’amélioration. Interrogé sur une éventuelle
récession engendrée par la crise de l’immobilier, il a répondu :
« Je pense qu’elle pourrait se produire… Je ne peux pas
croire… que cela n’aura pas de conséquences tangibles. » La
situation du marché immobilier américain est « très sérieuse » et cet
environnement « est loin de s’améliorer. »
Les derniers chiffres et les études de ce secteur indiquent
cette tendance. Le prix médian des maisons neuves est passé de 262 000 dollars
en mars à 237 000 dollars en juin, soit une baisse de près de 10 pour cent en
juste trois mois, alors que le stock de maisons invendues est équivalent à
l’offre de 7,8 mois.
Selon les données de la société Realty Trac, le nombre de
ménages en situation d’insolvabilité a augmenté de 58 pour cent au cours
des six premiers mois de cette année. Au total, 573 397 propriétés ont fait
l’objet d’une procédure de saisie durant la première moitié de
l’année, y compris des avis de défaut de paiement, des avis de vente aux
enchères ou de saisie par les prêteurs. Le nombre de procédures de saisie de
logements pourrait passer à 2 millions d’ici la fin de l’année.
Comme l’indiquent les alertes sur les résultats (profit
warnings) des grands groupes américains Wal-Mart Stores Inc, Home Depot (HD) et
Macy’s, d’autres secteurs de l’économie ont également subi
les contrecoups de la dépression du marché de l’immobilier. Les ventes de
voitures en juillet ont été les plus faibles de ces neuf dernières années.
Certains des processus en jeu dans la crise hypothécaire et
dans l’économie américaine en général ont été révélés dans un article
publié lundi dans le New York Times sur les chiffres des revenus. Une
analyse des statistiques sur les impôts a révélé qu’en 2005 le revenu
moyen était encore inférieur de un pour cent à celui de 2000 après ajustement à
l’inflation. C’est la cinquième année consécutive durant laquelle
les salariés américains ont gagné moins d’argent que durant la période de
pointe du dernier cycle de la croissance économique de 2000. C’est là une
« expérience totalement nouvelle » de la période d’après-guerre
durant laquelle on a observé tous les ans une augmentation de l’ensemble
des revenus figurant sur les déclarations d’impôts, et ce jusqu’en
2001 à l’exception d’une seule année.
Ces statistiques expliquent les raisons pour lesquelles la
bulle de l’immobilier qui a joué un rôle décisif dans la croissance de
l’économie américaine depuis la récession de 2000-2001, était vouée à l’effondrement.
Alors que les prix de l’immobilier et les dépenses de consommation en
général enregistraient une hausse en raison de l’expansion des crédits et
de la baisse des taux d’intérêts, le revenu réel de la grande majorité de
la population laborieuse aux Etats-Unis allait dans la direction opposée en créant
les conditions d’un phénomène appelé « crise des ciseaux. » A
présent, l’éclatement de la bulle a mis en marche des forces économiques
susceptibles de plonger dans une récession non seulement l’économie
américaine mais aussi l’économie mondiale dans son ensemble.