Les conducteurs de train allemands se sont
prononcés par une majorité écrasante en faveur d’une grève illimitée pour
poursuivre leur campagne pour une augmentation de salaire. Quelque 96 pour cent
des conducteurs et agents de train qui ont participé au scrutin ont voté en
faveur de la grève. Le vote écrasant en faveur de la grève est d’autant
plus remarquable qu’il a eu lieu en plein milieu d’une campagne
concertée à l’encontre des conducteurs et menée par le patronat et les
milieux politiques ainsi que certaines sections des médias.
Ponctuel à la minute près avec la publication
des résultats du vote de lundi, le patron de la Deutsche Bundesbahn (Compagnie
de Chemin de Fer allemand, DB), Hartmut Mehdorn, donnait une interview au
magazine Der Spiegel dans laquelle il soulignait ses menaces et ses
insultes à l’encontre des conducteurs de train et de leur syndicat, le
GDL (Gewerkschaft Deutscher Lokomotivführer).
Bien qu’il soit largement reconnu que
les conducteurs de train représentent une section de travailleurs sous-payés,
Mehdorn a déclaré que leur revendication salariale tout à fait justifiée était
« ridicule » et que le syndicat aurait «entraîné » ses adhérents
dans une campagne visant à « diviser le personnel ferroviaire »
d’une manière tout à fait inacceptable.
Mehdorn, qui est parfaitement conscient que la
vague d’actions juridiques lancées par la DB contre les conducteurs de
train n’a pas réussi à déclarer illégaux les résultats du vote et la
grève qui s’en est suivie, n’a pas cessé de parler tout au long de
son interview au Spiegel de grèves « illégales » et
d’activités « illégales » du syndicat des conducteurs de train.
Dans le même temps, Mehdorn a menacé le syndicat de sanctions financières pour
toutes les actions qu’il entreprendrait. « Nous exigerons des
paiements en compensation de toute grève illégale. Au cas où les chemins de fer
perdraient des millions en raison d’actions illégales, nous demanderons à
ce que ces sommes soient repayées. » De plus, il a menacé de traiter individuellement
le cas de chaque conducteur de train qui agirait « illégalement » et
de le suspendre de son poste.
Dans leurs attaques et calomnies brutales à
l’encontre des conducteurs de train, Mehdorn et la direction de la DB
peuvent compter sur le soutien sans réserve des deux autres principaux syndicats
de cheminots, Tansnet et le GDBA (Gewekschaft Deutscher Bundesbahnbeamten,
Arbeiter und Anwärter).
Ces deux syndicats ont soutenu ouvertement la
direction, en condamnant tous deux la grève des conducteurs de train et en agissant
en briseurs de grève contre le GDL. Les syndicats ferroviaires bénéficient du
soutien de la Fédération des syndicats allemands (DGB). Dès le début, ces
organisations syndicales se sont opposées à la revendication salariale des
conducteurs de train, alors qu’elles sont parfaitement conscientes du bas
salaire qu’ils perçoivent et des conditions de travail dans lesquelles travaillent
les cheminots allemands.
Lorsque Mehdorn déclare de façon provocante au
Spiegel, «Nous ne céderons pas au chantage, » il jette le gant aux
conducteurs de train et au reste des cheminots qui devraient rejeter ce
chantage avec mépris. En fait, se sont les syndicats Transnet et le GDBA qui
ont divisé les cheminots.
Suite à la décision de la DB d’une
augmentation de salaire de 4,5 pour cent et le paiement d’une prime unique
de 600 euros aux membres de Transnet et du GDBA dans le but d’isoler les
conducteurs de train, les deux syndicats se sont mis d’accord pour que le
contrat prévoie une clause empêchant la DB de faire la moindre concession aux
conducteurs de train du GDL. Au cas où la direction de la DB conclurait un
accord séparé avec le GDL, le contrat déjà signé avec Transnet et la GDBA
serait automatiquement invalidé.
Puis, la semaine passée, des détails supplémentaires
sont apparues au sujet de la collaboration entre la DB et Transnet pour saboter
la préparation de la grève. Transnet avait commencé une campagne de collecte de
signatures pour une pétition ayant pour slogan, « Pas comme ça,
GDL ! », destinée à monter les cheminots contre les résultats du vote
du GDL et le soi-disant « cours intensif du GDL. »
Le patron du comité d’entreprise général
de la DB, Günther Kirchheim (Transnet), est même allé plus loin. Il a écrit une
lettre au chef du personnel de la DB, Margret Suckale, en prétendant que des
membres du GDL avaient fait usage de la force à l’encontre d’autres
cheminots, sans en avancer la moindre preuve concrète.
Comme le remarquait la Süddeutsche Zeitung
(SZ) dans son édition du week-end, « Ne serait-ce qu’un coup monté
entre l’auteur de la lettre et son destinataire, pour accuser le syndicat
des conducteurs de train, le GDL, de manquer de sérieux et d’être combatifs? »
Le GDL avait adressé un tract à ses membres pour
imposer une grève pacifique. Le tract disait : « N’essayez pas
de recourir à des mesures inappropriées pour bloquer l’entrée de
l’usine aux salariés qui veulent travailler. » Le SZ fait remarquer
que des versions différentes de ce tract circulent à présent « dans
lesquelles la négation a disparu, » en concluant : « Il
n’est pas difficile de voir qui a intérêt à tirer parti d’une telle
diffamation.»
Tâches
politiques
Suite à l’échec de la direction de la DB,
avec l’aide de Transnet, d’empêcher que le vote sur la grève ait
lieu, les conducteurs de train sont à présent confrontés à une vaste rangée
d’ennemis, du patronat, de l’establishment politique et de la
bureaucratie syndicale.
Mehdorn, quant à lui, a repris son offensive
dès la publication des résultats du vote en réagissant promptement aux 96 pour
cent du scrutin. Bien que la direction du GDL ait fait de son mieux pour éviter
un conflit en offrant même de participer à d’autres négociations avec la
direction de la DB jusqu’à la date butoir de mardi, Mehdorn a décliné
l’offre et laissé s’écouler le délai.
Le président du GDL, Manfred Schell, avait
espéré, même après le vote, qu’il serait possible d’arriver à un
accord avec la direction de la DB. La direction du GDL est incapable de
comprendre et de préparer ses adhérents comme il convient face aux implications
politiques de ce conflit.
La situation est tout autre dans le cas de
Mehdorn, de ses collègues à la direction, du gouvernement allemand et de
Transnet. Ils se sont tous fixés pour objectif de mettre en échec les
conducteurs de train. Pour ces forces, une telle défaite correspondrait à une
importante étape-clé dans les préparatifs qui sont actuellement en cours pour
la privatisation impopulaire des chemins de fer prévue pour cet automne.
Mehdorn ne l’a nullement caché. Les
journalistes de Der Spiegel avaient fait remarquer l’étroite
collaboration antérieure entre la direction et les syndicats et
l’importance de cette collaboration pour l’avenir des chemins de
fer, en ajoutant, « C’est même important pour l’introduction
en bourse de l’entreprise. Est-ce que ce conflit ne dissuadera pas
d’éventuels investisseurs ? »
Mehdorn répliqua : « Personne
n’est prêt à investir dans une entreprise qui permet à un petit groupe de
fonctionnaires d’agir comme bon leur semble. En France, la SNCF a une
dizaine de syndicats différents, elle est donc difficile à contrôler. J’attache
beaucoup d’importance au fait que nous avons restructuré
l’entreprise au cours de ces dernières années au moyen d’une grande
compatibilité sociale, en ayant un dialogue raisonnable avec tous les
syndicats. Tout cela est à présent menacé inutilement. »
Mais des considérations politiques plus
fondamentales se cachent derrière cette campagne concertée pour briser les
conducteurs de train. L’objectif est de statuer un exemple et par là d’intimider
d’autres sections de travailleurs pour qu’ils n’entreprennent
pas d’actions combatives pour la défense de leur emploi et de leurs
conditions de vie.
L’élite politique, dont fait partie la
bureaucratie syndicale, est déterminée à empêcher que n’augmente la protestation
sociale et politique. Ce n’est qu’à grand peine que les syndicats
sont parvenus à démobiliser les récentes grèves des médecins et des salariés de
Deutsche Telekom allemands.
De larges couches de la population rejettent
la politique antisociale du gouvernement de grande coalition unissant
démocrates-chrétiens de la CDU-CSU (Union chrétienne-démocrate
d’Allemagne-Union chrétienne-sociale) et sociaux-démocrates du SPD (Parti
social-démocrate d’Allemagne) et sont opposées aux assauts incessants
perpétrés contre les salaires et les emplois et qui sont infailliblement
soutenus par les syndicats. Par leur colère et leur détermination à résister à
de telles attaques, les conducteurs de train sont les porte-parole de bien des
travailleurs. Pour faire avancer la lutte, les travailleurs doivent rompre avec
l’emprise paralysante qu’exercent sur eux les syndicats.
Pour ce qui est de la bureaucratie du GDL,
elle n’est absolument pas préparée pour un tel développement. Le
secrétaire général du GDL, Schell qui prendra sa retraite l’année prochaine,
est décidé à mener ce conflit du travail comme un « conflit [tout à fait] normal
sur des questions salariales ». L’époque où les syndicats étaient en
mesure d’imposer leurs revendications sous la menace de luttes militantes
et de « grèves ponctuelles » est révolue depuis longtemps. La longue
grève des médecins et des travailleurs de Telekom a confirmé une fois de plus
qu’il est impossible de lutter contre l’actuelle série
d’attaques contre les acquis politiques et sociaux sur la base
d’une politique syndicale
Les conducteurs de train combatifs ont été
désarmés dans leur lutte par le manquement total de la direction du GDL de soulever
la question de la privatisation et d’identifier le rôle de briseur de
grève joué par Transnet et le DGB.
Pour être capable de mener victorieusement la
grève, il est absolument vital de placer au cœur du conflit les tactiques
répugnantes employées par le DGB. Les conducteurs de train devraient
s’adresser aux autres cheminots et se mobiliser ensemble contre les
manœuvres de briseurs de grève du patron de Transnet, Hansen et de ses
amis. Ils doivent mener leur grève au nom de tous les cheminots dans un combat
commun contre les projets de privatisation de la direction de la DB qui est
soutenue par le ministre fédéral des Transports, Wolfgang Tiefensee (SPD).
Cette grève doit devenir le point de départ
d’une rupture avec la politique opportuniste de partenariat social, à
savoir de l’étroite collaboration entre la direction et les syndicats.
Les grévistes et les travailleurs des différents sites industriels en
Allemagne, en Europe et de par le monde doivent adopter une perspective
socialiste qui place les besoins de la population au-dessus des intérêts économiques
des patrons.