Lors d’une comparution jeudi à Ottawa devant
un comité parlementaire, le chef de la Gendarmerie royale du Canada (GRC),
Giuliano Zaccardelli, a rejeté les conclusions de la commission d'enquête sur
l'affaire Arar, qui ont été rendues publiques la semaine dernière et ont
dévoilé la responsabilité de la police fédérale dans le renvoi en Syrie d’un
citoyen canadien injustement accusé de liens terroristes.
Lisant son texte sans relever l’œil et sur
un ton impénitent, Zaccardelli a commencé sa déposition en offrant un simulacre
d’excuse à Maher Arar et à sa famille pour « le rôle qu’aurait pu jouer la
GRC et qui aurait pu contribuer aux terribles injustices que vous avez
vécues ».
Cette formulation tordue donnait le ton à une
prestation au cours de laquelle Zaccardelli a feint d’accepter « les
recommandations » du rapport O’Connor pour mieux tirer à boulets rouges
sur son contenu essentiel.
Le chef de la GRC a minimisé le rôle joué
par son agence dans la décision des autorités américaines en septembre 2002 de
détenir Maher Arar pendant qu’il faisait escale à New York en route vers
Montréal, puis de l’expédier en Syrie où il allait être détenu et torturé
pendant toute une année.
Reconnaissant que son agence avait transmis
aux douanes américaines des informations accusant faussement Arar de liens terroristes,
Zaccardelli a soutenu que le juge O’Connor, dans son rapport, aurait dit que la
GRC n’était pas impliquée dans la déportation illégale d’Arar.
En fait, O’Connor écrit de façon explicite :
« Dans le présent rapport, j’ai conclu que l’information fournie par la
GRC a très vraisemblablement joué un rôle dans la décision des Américains de
détenir et de renvoyer M. Arar vers la Syrie. En ce sens, ces actions ont “causé
ce qui est arrivé à M. Arar ou y ont contribué”. »
Le chef de la GRC a poursuivi sa déposition
par une admission extraordinaire : il aurait été personnellement persuadé
de l'innocence de Maher Arar dès ses premiers jours de détention à New York,
avant même qu’il ne soit expédié dans une geôle syrienne.
Zaccardelli a plaidé que son agence avait
aussitôt avisé ses homologues américains que les informations transmises par la
GRC étaient fausses. Mais le rapport de la commission d’enquête donne une autre
version des faits : la GRC a seulement reconnu ne pouvoir établir de lien
entre Arar et al-Qaïda, « sans aller jusqu’à corriger l’information
erronée déjà fournie aux agences américaines au sujet de M. Arar, y compris
l’étiquette d’extrémiste islamique ».
Le plus grave, toutefois, est que le chef
de la GRC, sachant que Maher Arar était innocent, a tout fait pour le garder
aux mains de ses tortionnaires syriens, laissant croire à la population et à
son propre gouvernement qu’il était effectivement associé à des activités
terroristes, et laissant couler des fuites à cet égard dans les mass media.
« Vous l’avez laissé pourrir un an en
prison! » lui a lancé le député du Bloc Québécois, Serge Ménard.
« Pourquoi n’avez-vous pas rectifié les faits en public ? », a
demandé le libéral Irwin Cotler. Incapable de donner une réponse satisfaisante,
Zaccardelli s’est contenté de dire que « des erreurs ont été commises »
et que « nous aurions pu faire un meilleur travail ».
En fait, révèle le juge O’Connor dans son
rapport, jusqu’en novembre 2003, soit après le retour d’Arar au pays, la GRC
cachait encore des informations cruciales au gouvernement fédéral. La police
fédérale n’a pas dit qu’elle avait transmis un avis de guet aux États-Unis à
propos d’Arar et de son épouse, ni qu’elle les avait qualifiés d’extrémistes
islamiques. Lorsqu’on lui demanda d’expliquer une telle omission, le chef de la
GRC invoqua le manque de temps et « la complexité du dossier ».
Quelques semaines plus tôt seulement, tant
la GRC que le SCRS (Service canadien de renseignement de sécurité) avaient
refusé d’apposer leur signature au bas d’une lettre adressée par le ministère
des Affaires étrangères aux autorités syriennes pour exiger la libération de
Maher Arar.
Aucun de ces faits profondément troublants
n’a empêché le chef de la GRC durant sa déposition d’affirmer sur un ton de
défi que son agence avait agi de bonne foi et qu’il n’avait nullement
l’intention de démissionner.
Zaccardelli a également indiqué qu’aucun
agent de la GRC impliqué dans le dossier Arar n’avait été sanctionné. Divers
médias ont rapporté que plusieurs acteurs à l’époque ont même été promus. C’est
le cas de Mike Cabana, qui était responsable du Projet A-O Canada (le groupe
chargé de surveiller Arar) et qui, depuis, a été nommé officier en chef pour
les opérations au Québec et responsable de la sécurité nationale. Deux autres
agents, Richard Proulx et Garry Loeppky, ont reçu l’Ordre du mérite pour les
forces policières décerné par la gouverneure générale du Canada.
Comparaissant devant le même comité
parlementaire après le chef de la GRC, le ministre de la Sécurité publique,
Stockwell Day, a réitéré le soutien plein et entier de son gouvernement pour le
travail effectué par la police fédérale sous la direction de Zaccardelli, en
prenant soin de rappeler l’embauche annoncée de mille nouveaux agents de la
GRC.
Le ministre a, une fois de plus, refusé de
présenter au nom du gouvernement du Canada des excuses officielles à la famille
Arar, prétextant des négociations en cours sur une éventuelle compensation.
Affirmant que son gouvernement allait
suivre toutes les recommandations du rapport O’Connor, Day a refusé de préciser
si cela inclurait la présentation de plaintes officielles auprès des États-Unis
et de la Syrie pour le traitement infligé à Arar, préférant référer la question
au ministre des Affaires étrangères, Peter MacKay. En fin d’après-midi jeudi,
ce dernier faisait savoir que « [n]ous n’avons pas logé de plaintes
officielles jusqu'ici », même si « nous envisageons cette voie ».
Le gouvernement du premier ministre conservateur
Stephen Harper cherche à minimiser les actions de la police fédérale canadienne
ayant mené à la torture d’un Canadien innocent. Il refuse de protester auprès
des autorités américaines pour avoir déporté, au mépris de la loi
internationale, un citoyen canadien vers un pays tiers. C’est un signal clair
que dans la poursuite de son programme militariste et de réaction sociale, il
n’hésitera pas à fouler aux pieds les droits démocratiques les plus
élémentaires.