Au moment où ces lignes sont écrites, la grève de la faim de
sept squatteurs expulsés le 17 août d’une résidence universitaire désaffectée
du campus universitaire de Cachan au sud de Paris entrait dans son 37e
jour. Ils ont commencé leur grève de la faim le 22 août. D’après une déclaration
du docteur Patrice Muller faite il y a trois jours, « Ils entrent dans une
phase critique. Ils sont d’une faiblesse extrême et risquent des lésions
musculaires et neurologiques irréversibles. »
Les grévistes de la faim réclament le droit de séjour en
France et un logement décent. Ils font partie d’un groupe de plus de 200
personnes, pour la plupart des immigrés africains, des familles et des enfants,
qui se sont provisoirement réfugiés dans un gymnase que la municipalité de
Cachan a mis à leur disposition. Ces 200 personnes avaient été expulsées, manu
militari par des CRS, de l’ancienne résidence universitaire où plus de 600
personnes vivaient.
Bon nombre de ces squatteurs, connus sous le nom des « 1000
de Cachan » sont de nationalité française et la moitié au moins possède un
titre de séjour. Ils sont victimes de la crise du logement qui sévit en région
parisienne et dans toute la France et qui touche le plus durement les plus
pauvres et les plus vulnérables. Les immigrés munis de titres de séjour sont
durement touchés par cette crise du logement, mais la situation des immigrés sans-papiers
est bien pire.
On compte parmi les personnes entassées dans le gymnase une
femme atteinte de tuberculose et deux enfants souffrant de la varicelle. Il y a
aussi des cas de diarrhée. Les autorités du département du Val de Marne ont proposé
de loger les femmes enceintes et les mères ayant de jeunes enfants dans un
centre à Créteil pour éviter qu’ils ne soient contaminés.
Fidèle Niétima, porte-parole des 1000 de Cachan a exprimé sa
méfiance à l’égard de cette proposition : « C'est un nouveau prétexte
pour endormir la population. Avant, au squat, c'était le risque d'incendie.
Aujourd'hui, au gymnase, c'est la tuberculose puis la varicelle. »
Des reporters du World Socialist Web Site ont visité le
gymnase la semaine dernière. Ils y ont vu des femmes et des enfants assis sur
des matelas. Partout des vêtements, des valises, des sacs en plastique, des
peluches. La plupart des femmes ne peuvent pas dormir à cause des pleurs des
enfants. Les bébés dorment dans des poussettes. Les femmes se déplacent avec
leur bébé sur le dos. Il n’y a que de cinq toilettes pour tout le monde. Il y a
des hommes dehors, en haut des marches, qui se protègent de la pluie sous des
bâches.
Le Conseil général du Val de Marne fournit 100 repas à midi et
le soir. Les gens disent que ce n’est pas suffisant. Soumahoro Issoufou,
délégué des 1000 de Cachan dit :« Aujourd'hui, nous sommes
pratiquement dans la rue parce que le gymnase n'est pas un endroit adéquat pour
vivre. On est obligé de faire avec, parce que nous n'avons pas le choix, déjà
dans le souci de protéger les enfants qui sont parmi nous. »
Salim dit : « J’essaie de retrouver le peu
d’affaires que j’ai et que les autorités m’ont prises quand on nous a expulsés.
Je ne les ai pas encore retrouvées. Sarkozy [ministre gaulliste de l’Intérieur]
encourage la haine. Ce que je veux c’est le pays qui a donné naissance à Victor
Hugo, Balzac, Pasteur, etc. pas celui qui est gouverné par un minable. Qu’il me rende mes affaires. Je veux rentrer chez moi. »
Un des grévistes de la faim, Togola Seydou, emmitouflé dans
une couverture, lit à haute voix une lettre ouverte adressée au président
Jacques Chirac et qui demande leur régularisation : « Nous ne sommes
pas dangereux, nous sommes en danger. Nous ne sommes ni des criminels, ni
des fainéants, ni des voleurs, ni des profiteurs. Nous sommes des hommes, des
femmes, des enfants dans un monde sans oreilles, sans yeux, sans Raison, sans
mains. »
Salim Z, autre gréviste de la faim, a déclaré, « pour
moi, je ne mets pas ma vie en danger pour des papiers, mais plutôt pour attirer
l’attention de l’Etat et des différentes autorités pour plus d’humanité, car je
n’ai rien d’autre à offrir comme réponse à cette détresse humaine. Je hurle
cette misère pour que ces “hauts de là-haut”, ces grands messieurs qui sont au
pouvoir prennent leurs responsabilités pour mettre fin à cette dramatique
situation qui n’honore pas la France. On demande de l'espoir pour vivre libres
et on en a marre de se cacher comme des assassins. »
Rouane Otmane, un Marocain, a dit, « Nous ce qu’on
demande c’est la régularisation de tous les sans-papiers de Cachan et le
relogement des familles. »
Sarkozy a déclaré que les expulsés sont responsables de leur
situation difficile, car ils ont été persuadés par des « associations
politisées d'extrême gauche [qui ont] conseillé aux familles d'origine
africaine expulsées du squat de Cachan et installées dans un gymnase depuis un
mois de refuser les propositions de relogement de la préfecture. »
Une des personnes du gymnase a expliqué, « nous avons
refusé l'offre de la préfecture qui était de nous mettre dans des hôtels et
ensuite de nous déloger de ces hôtels dix jours après. Ce n'était pas une
offre. Dix jours de ré-hébergement et ensuite vous retrouvez à la rue.Il y a
des gens qui ont été arrêtés dans ces hôtels et après c’est le centre de
détention. Dans un hôtel, on ne peut pas faire à manger et on n'a bien sûr pas
les moyens d'aller au restaurant deux fois par jour. Ensuite, ces
établissements étant très éloignés des lieux de travail, cela risque de
compromettre notre emploi et donc notre principale source de
revenus. »
Il y a eu des manifestations de soutien pour les expulsés de
Cachan et ceux qui se sont réfugiés dans le gymnase ; ces manifestations
font partie d’un mouvement de masse pour soutenir le droit à rester en France
et dans leur établissement scolaire des enfants d’immigrés sans-papiers et de
leur famille. Des volontaires ont apporté des vivres et aidé à résoudre des
problèmes. Les personnes vivant dans le gymnase ont raconté comment des gens de
Cachan et d’autres villes ont apporté à boire et à manger, ont lavé le linge.
Deux mères avec leur nouveau-né ont été hébergées par des familles du coin. Des
volontaires aident les écoliers à faire leurs devoirs après l’école, mais
insistent sur le fait que le traumatisme est très grand chez les jeunes
enfants.
Pierre Derrouch, directeur de cabinet du préfet du
Val-de-Marne, a déclaré dimanche 25 que la préfecture du Val-de-Marne ne « ferait
pas d'autres propositions d'hébergement d'urgence. »
Au moins 50 des expulsées de Cachan ont été arrêtées. Dix
d’entre eux ont été déportés et d’autres sont en centres de rétention. Autour
du gymnase, la police arrête et fouille les immigrés. Récemment, un
ressortissant malien qui était allé chercher son enfant à l’école a été arrêté
devant l’école et conduit dans un centre de rétention. Le lendemain, quelque
vingt policiers ont fait usage de gaz lacrymogènes et de matraques contre les
gens qui essayaient de s’interposer pour empêcher l’arrestation d’une autre
personne du gymnase. Plusieurs personnes ont été blessées lors de tels
incidents.
La grève de la faim a été quasiment ignorée par les médias et peu
de gens ont vraiment conscience de l’état critique des grévistes de la faim.
Les sites web des partis socialiste et communiste portent des
déclarations appelant à ce que les personnes vivant dans le gymnase soient
transférées vers d’autres logements, mais ne font aucune référence aux
personnes en grève de la faim. Les derniers communiqués et versions
électroniques des journaux internet des partis d’« extrême-gauche »
LCR (Ligue communiste révolutionnaire) et LO (Lutte ouvrière) ne mentionnent
pas non plus la grève de la faim. Seul le quotidien du Parti communiste, l’Humanité,
dans son édition du 27 septembre, y fait une brève mention dans sa rubrique « Dans
l’actualité ».
LO et la LCR lancent des appels à la régularisation de tous
les sans-papiers. Ils disent rejeter une alliance politique avec le
Parti socialiste du fait de son programme libéral pro-capitaliste. Et pourtant,
LO et la LCR s’allient constamment au PS dans les protestations contre le
gouvernement concernant les questions sociales. Sans cela, le PS serait privé
de toute crédibilité à gauche.
Cela s’est vu clairement quand le vaste mouvement de soutien aux
squatteurs expulsés de Cachan a forcé les partenaires de la coalition (PS, PC
et les Verts) du gouvernement de Gauche plurielle de Lionel Jospin (1997-2002),
ayant perdu les élections du fait de sa politique pro-capitaliste, à appeler à
une conférence de presse devant le gymnase le 25 septembre.
Le Parti socialiste était officiellement représenté par
l’ancien ministre Jack Lang, qui a voté en juin dernier pour le programme du
Parti socialiste aux élections de 2007 appelant à des contrôles stricts de
l’immigration. Il est largement reconnu que la politique d’immigration du Parti
socialiste et celle de l’UMP au pouvoir sont quasiment identiques. Le Parti
socialiste est en grande partie d’accord avec la nouvelle loi de Sarkozy sur
l’immigration qui restreint l’immigration aux personnes utiles aux patrons, et
avec sa politique d’impliquer les gouvernements des pays de transit tel le
Sénégal dans le contrôle policier des migrants vers l’Europe. La candidate la
mieux placée pour l’investiture du Parti socialiste à l’élection présidentielle
de 2007, Ségolène Royal, lors de sa visite au Sénégal cette semaine s’est
plainte de ce que Sarkozy lui volait ses idées en matière de restriction de
l’immigration.
Etaient aussi présents à cette conférence de presse la
secrétaire nationale du Parti communiste, Marie-Georges Buffet, Noël Mamère et
Alain Lipietz des Verts, accompagnés d’Arlette Laguiller de LO et d’Olivier
Besancenot de la LCR.
Devant le gymnase, ce groupe a lancé un appel unifié pour le « relogement
urgent » des personnes du gymnase. Cela voulait dire pour eux de les
reloger dans un immeuble de bureaux désaffectés et non pas de leur fournir un
logement permanent. Laguillier et Besancenot n’ont pas embarrassé leurs
compagnons en appelant à la régularisation de tous les sans-papiers, et
aucun reportage de cette conférence de presse, que ce soit dans l’Humanité
ou dans quelque autre média, n’a fait la moindre allusion aux grévistes de la
faim.
Aucune tentative n’a été faite d’utiliser cette conférence de
presse pour lancer une campagne massive exigeant l’abrogation des lois
d’immigration racistes de la France et pour mettre fin à la campagne actuelle de
Sarkozy visant à expulser chaque année 25 000 immigrés sans papiers.
Le Parti socialiste, le Parti communiste et les Verts concentrent
leurs efforts politiques dans une campagne de soutien à Joseph Rossignol,
sympathisant socialiste et maire de Limeil-Brévannes, dans le Val de Marne,
engagé dans une bataille juridique avec le préfet local pour transférer les
personnes du gymnase dans les anciens bureaux du Commissariat à l’énergie
atomique.
Le préfet a posté des policiers à l’entrée du bâtiment pour
empêcher que Rossignol et une équipe de conseillers municipaux n’inspecte le
bâtiment et n’évalue les « travaux mineurs » nécessaires pour le
rendre « habitable.»
Cette campagne sert à détourner l’attention de la politique
d’immigration du Parti socialiste et de son manque de proposition d’une quelconque
solution à la crise du logement en France.
Ce qu’il faut, c’est une rupture totale avec l’économie de
marché du Parti socialiste et de l’Union européenne et la mobilisation de la
classe ouvrière française et européenne sur une perspective socialiste.
Ceci entraînerait un programme d’urgence de
construction de logements et la réquisition de bâtiments pour faire face aux
besoins pressants des sans domiciles et de ceux qui vivent dans des logements
surpeuplés et insalubres. Ce programme se baserait sur une politique
internationaliste d’unité avec les luttes des peuples des anciennes colonies
qui ont été appauvries par des siècles de pillage impérialiste européen et
américain, et la défense de leur droit à la liberté de mouvement.