Lors des récentes élections régionales
allemandes, le parti d’extrême-droite allemand NPD (Parti national démocrate
allemand) a pu tirer profit de la politique droitière du Parti social-démocrate
(SPD) et du Parti de la Gauche.PDS (Linkspartei.PDS). Le NPD qui se réclame
ouvertement de l’héritage du national-socialisme, a pu remporter six sièges au
parlement du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale, dans l’est de l’Allemagne,
lors des élections du 17 septembre. A Berlin, le NPD a pu remporter des sièges
dans quatre des douze conseils de districts de la ville.
Le NPD a recueilli près de 60.000 voix en
Mecklembourg-Poméranie occidentale. Cela correspond à 7,3 pour cent de
l’ensemble des votes émis ; le taux de participation fut faible, 58 pour
cent.Lors des élections au parlement de Berlin, le NPD a enregistré 2,6
pour cent des voix, 4 pour cent à l’est de la ville et 1,6 pour cent à l’ouest.
Ce résultat signifie que les néo-fascistes ne furent pas en mesure d’accéder au
parlement du Land de Berlin ; la condition préalable en étant d’atteindre
au moins la barre de 5 pour cent des votes. Ils furent par contre en mesure de
remporter des sièges dans plusieurs conseils de districts où un minimum de 3
pour cent est suffisant.
Le NPD fut en mesure d’effectuer une percée en
Poméranie occidentale en recueillant un soutien substantiel dans les régions
fortement touchées par le chômage de masse. Dans les circonscriptions I et II de
Poméranie orientale, il a même gagné 12,2 et 11,5 pour cent des voix (deux
membres du NPD siégeant déjà au parlement régional depuis deux ans) et à Uecker
Randow I et II le score était même de 15 et 13 pour cent. Par contre, son score
était inférieur dans les circonscriptions urbaines de Rostock (3,8 pour cent)
et de Schwerin (6,7 pour cent).
Alors que le Land de Mecklembourg-Poméranie
occidentale accuse les plus hauts taux de chômage des Länder (18,2 pour cent), le
district d’Uecker-Randow compte avec 26,6 pour cent de chômeurs le plus fort
taux de chômage d’Allemagne. La région, qui se trouve près de la frontière
polonaise, est marquée par son caractère rural où la production agricole
domine.
En Poméranie orientale et à Uecker-Randow il
existe des régions où près de la moitié de la population active est au chômage.
Dans le village de Postlow, en Poméranie orientale, qui compte 500 habitants,
38 pour cent des villageois ont voté dimanche pour le NPD. Dans la région
Stettiner Haff, un quartier composé de barres d’immeubles, le NPD fut crédité
de 35,2 pour cent.
Un premier sondage réalisé par l’Institut de
sondage Infratest-Dimap a montré que le NPD fut surtout en mesure de gagner des
voix chez les électeurs jeunes. Quinze pour cent des jeunes entre 18 et 24 ans
ont voté pour les néo-fascistes et 12 pour cent des 25 à 34 ans. En termes de
catégories sociales, c’est parmi les chômeurs que le NPD a obtenu le plus grand
soutien avec 15 pour cent des voix.
A Berlin, le NPD a présenté des candidats dans
cinq districts où le taux de chômage et de pauvreté est élevé. Il a gagné des
sièges dans quatre conseils de districts : Neukölln (3,9 pour cent),
Treptow-Köpenick (5,3 pour cent), Lichtenberg (6,0 pour cent) et Marzahn
Hellersdorf (6,4 pour cent). Le parti ne réussit pas à atteindre la marque de 3
pour cent à Tempelhof-Schöneberg (2,1 pour cent) par contre, pour ce qui est de
la chambre des députés, il enregistra avec 5,4 pour cent son meilleur score
dans le quartier de Marzahn Hellersdorf où l’habitat est constitué exclusivement
par des barres d’immeubles.
Le NPD s’était également partagé les
circonscriptions de Berlin avec une autre organisation d’extrême-droite, les
Républicains, qui avait présenté des candidats dans sept districts mai ne gagna
qu’un siège.
Quelle
est la raison de la croissance du NPD ?
Deux facteurs sont principalement responsables
de la croissance du NPD.
Le premier facteur est le désespoir social
associé à la profonde indignation ressentie face à l’arrogance et à la langue
de bois pratiquée par les partis de l’establishment politique allemand,
notamment ceux qui se posent en défenseurs des intérêts des plus démunis.
Les gouvernements des Länder de
Mecklembourg-Poméranie occidentale et de Berlin sont formés par une coalition entre
le SPD et le Parti de la Gauche.PDS. Ces deux partis ont subi des pertes
considérables lors des élections de dimanche dernier. A Berlin, le Parti de la
Gauche.PDS a perdu la moitié de ses électeurs ; en Mecklembourg-Poméranie
occidentale, le SPD a perdu 10 pour cent de ses électeurs (par rapport à la
dernière élection régionale). Alors que les deux partis proclament vouloir
défendre les intérêts des personnes socialement faibles, dans la pratique c’est
l’opposé qui est le cas.
A Schwerin, la capitale du Land de Mecklembourg-Poméranie
occidentale, Helmut Holter (Parti de la Gauche.PDS) le ministre du Travail et
de la Construction, a mis en vigueur les lois antisociales Hartz pour réformer
le marché du travail et contre lesquelles son propre parti avait publiquement
protesté. A Berlin, son collègue Harald Wolf joue, en tant que ministre de
l’Economie, un rôle primordial dans les attaques contre les acquis sociaux et
la destruction d’emplois dans le service public.
En Mecklembourg-Poméranie occidentale, le
premier ministre Harald Ringstorff (SPD) s’est servi dans sa campagne
électorale du slogan : « Poursuivre le succès », ce que les 160.000
chômeurs du Land ont certainement vu d’un autre œil. A Berlin, la partie de la
population touchée par les coupes sociales a pu constater comment une mince
couche de profiteurs voit sa fortune s’accroître, en l’occurrence le bourgmestre
de la ville, Klaus Wowereit (SPD), qui en fait partie.
L’arrogance et l’impertinence des partis
dirigeants furent portées à leur comble dans une brochure publiée par le Parti
de la Gauche.PDS à Berlin lors de la campagne électorale et dans laquelle elle
énumère les raisons pour lesquelles elle a « soutenu la politique d’austérité…
au dépens des pauvres et des faibles vivant dans la ville. » Dans un
paragraphe de la brochure on peut lire : « La Gauche.PDS est
descendue dans la rue pour protester contre les lois antisociales Hartz. Au
parlement elle les applique. N’est-ce pas une contradiction ? » La
réponse laconique donnée dans la brochure est : « Non, c’est
raisonnable. »
Un tel cynisme affiché face à sa propre
politique fournit le terreau nourricier à la croissance de l’extrême-droite. Le
SPD et la Gauche.PDS se partagent la responsabilité pour la catastrophe sociale
et la confusion politique découlant de leur politique. Ils qualifient même les
mesures socialement les plus néfastes de « politique de gauche » et
créent un climat propice au NPD en lui permettant d’exploiter le désespoir, le
sentiment d’impuissance, la colère et la haine des couches socialement
déclassées.
En Mecklembourg-Poméranie occidentale, le NDP a
gagné près du quart des voix sur le SPD et le Parti de la Gauche.PDS. Un quart
supplémentaire de voix provenait d’anciens électeurs de l’Union
chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU) et un autre d’anciens abstentionnistes.
Le reste étant dû à ceux qui avaient de par le passé voté pour d’autres petits
partis.
Le deuxième facteur à bénéficier au NPD est la
consécration par les principaux partis politiques allemands de la xénophobie.
La chasse aux sorcières engagée contre les musulmans, à commencer par le
discours du Pape à Ratisbonne jusqu’aux débats entre les ministres de
l’Intérieur de l’Etat fédéral et des Länder sur la création d’un fichier
national de données antiterroristes, dans lequel sera répertoriée la religion
d’une personne suspectée, est de quoi apporter de l’eau au moulin des néo-nazis.
D’autres mesures, telle la discrimination contre les demandeurs d’asile et les
immigrés appliquée à la fois par les partis conservateurs du CDU/CSU ainsi que
le SPD, ainsi que la « culture dominante allemande » sont des
facteurs additionnels qui avantagent le NPD.
L’absence de toute ligne de démarcation entre
le CDU et l’extrême-droite est révélée par la campagne politique qui est menée
à la fois par le NPD et le CDU contre la construction d’une mosquée dans le
district de Pankow, à Berlin est. Le candidat tête de liste du CDU lors des
élections de Berlin, Friedbert Pflüger, s’était positionné contre la mosquée.
Le dirigeant régional du CDU, Karl Henning, qui était en faveur de la
construction d’une telle mosquée, démissionna même du parti pour protester
contre l’attitude de Pflüger. Ce n’est qu’après qu’un autre membre influent du
CDU dans le district, Bernhard Lasinski, eût défilé dans les rues côte à côte avec
les néo-nazis et les skinheads que Pflüger s’est senti obligé d’intervenir en
exigeant la démission de Lasinski.
Les méthodes du
NPD
Si dans le passé l’extrême droite a surtout bénéficié du vote
de protestation, cette dernière élection montre qu’elle a renforcé sa présence,
surtout à la campagne.
En 1988, l’Union populaire allemande (DVU) de l’éditeur et
multimillionnaire munichois Gerhard Frey, avait obtenu de façon surprenante 13
pour cent des voix en Saxe-Anhalt sans disposer d’une organisation régionale. A
l’élection suivante, cependant, la DVU avait à nouveau disparu de la scène. Le
NPD lui aussi ne dispose que de 200 membres en Mecklembourg-Poméranie
occidentale, mais ceux-ci y vivent et y ont établi des contacts sociaux.
Les articles de fond sur ce parti s’accordent sur le fait que
le NPD est « parvenu jusqu’au cœur de la société ». Le candidat de tête
du NPD, Udo Pastörs, possède ainsi dans le village de Lübtheen une horlogerie-bijouterie,
le parti compte aussi dans ses rangs des gens qui gèrent leur propre entreprise
de taxis.
Le NPD participe à des tables d’habitués dans les bistrots, à des
comités d’action des citoyens et citoyennes, il organise des « quatre
heures » agrémentés de café et de gâteaux en se présentant comme une
organisation bienséante et amie de la famille. En cela, il renoue délibérément
avec les traditions « populaires » des nazis. Dans un discours tenu la
veille de l’élection, Pastörs donna un aperçu de la conception familiale et féminine
du NPD. Il y loua le fait « que [sa] femme [lui] a préparé d’excellents
plats, [lui] a lavé son linge et [lui] a procuré la force nécessaire pour surmonter
cette campagne électorale ».
Les partis gouvernementaux ont été entièrement absents dans
certaines régions et laissèrent le champ libre au NPD dont la propagande put
dominer la scène.
Le NPD plaça les questions sociales au centre de sa propagande
et se présenta comme une organisation anticapitaliste entièrement dans le style
des partisans de Strasser au sein du NSDAP (Parti national-socialiste des
travailleurs allemands). Il se présenta comme le parti qui est à l’écoute des
inquiétudes et des préoccupations de la vie quotidienne de la population.
« On a retiré la base d’un ordre de justice sociale »,
lit-on dans un manifeste électoral du parti. « Les coupables sont les
partis du système et le cartel médiatique en tant que commis du grand capital ».
Ceux-ci seraient en train de détruire l’ordre existant « de par leur soif
immesurée de profit » et auraient par là remis en question le système
politique et économique de la République fédérale et même de l’Union européenne.
La brochure associe protestation sociale et xénophobie. « L’endettement,
le chômage, la fuite des industries, le déracinement social, l’excès d’immigrés,
la violence et la misère de l’éducation ne sont que quelques-uns des mots clés
qui décrivent la situation de notre ville ». La revendication d’une révision
du tracé de la frontière germano-polonaise et le rétablissement des frontières
allemandes de 1937 prennent également une place centrale parmi leurs slogans.
Tout en prétendant être proche des citoyens et ami des
familles, le NPD mise clairement sur l’intimidation en se servant de bandes de
nervis. Le NPD, dont les cadres viennent pour la plupart de l’ouest de l’Allemagne,
s’est lié ces dernières années avec des groupes néo-nazis au niveau local, les
soi-disant « Freien Kameradschaften » (les camaraderies libres) parmi
lesquelles se trouvent aussi de nombreux nervis condamnés pour violence par la
justice. Ces éléments furent mobilisés par le NPD contre d’autres partis au
cours de la campagne électorale.
Des membres du SPD, du Parti de la Gauche.PDS et même du CDU
subirent massivement à leurs stands d’information ou lors de meetings électoraux
les menaces de la part de membres du NPD et furent même victimes d’attaques de
leur part tant à Berlin que dans le Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale.
Une semaine avant l’élection, un néo-nazi retira l’échelle
supportant un membre du Parti de la Gauche.PDS qui accrochait une pancarte électorale.
Le jeune homme fit une chute et fut blessé à la colonne vertébrale. La veille,
des extrémistes de droite avaient agressé deux assistants électoraux du SPD,
l’un d’entre eux fut battu si sévèrement qu’il dut être transporté à l’hôpital.
Des bandes de nervis du NPD perturbèrent aussi, à la manière
des SA hitlériens (Section d’assaut), les réunions publiques d’autres partis et
s’en prirent violemment le soir même de l’élection à des journalistes et à des
contre-manifestants.
La revendication de l’«Etat fort »
Les principaux partis bourgeois réagirent au renforcement du
NPD en appelant à l’Etat fort.
Le chargé des affaires intérieures au parti des Verts, Volker
Beck, dit qu’il fallait s’opposer au NPD « par une action conséquente au
niveau de la police et de la justice ». Beck exigea que « cela devait
s’accompagner d’une observation intense du NPD et des milieux d’extrême droite ».
Selon lui, cela rendait nécessaire une amélioration de l’échange d’informations
entre les services de renseignement des Laender et les agences de renseignement
au niveau fédéral.
L’ancien président du parlement, Wolfgang Thierse (SPD),
exigea que la police agisse avec plus de fermeté, il se prononça en faveur
d’une nouvelle tentative d’interdiction du NPD. La dernière tentative de ce
genre échoua en 2002 après que le tribunal constitutionnel déclara une
interdiction impossible car la direction du NPD est composée en grande partie
d’agents des services secrets. L’infiltration avait atteint un tel degré que
trois des juges de la Cour constitutionnelle en conclurent qu’ils avaient
affaire à « une officine d’Etat ».
Pendant la campagne électorale, les autorités avaient déjà réagi
aux activités du NPD en réduisant les droits démocratiques pour tous les
partis. Après que le NPD eut organisé des réunions électorales dans des locaux
publics partout à Berlin, on interdit à l’ensemble des partis l’utilisation de
tels locaux. L’argument utilisé par l’Etat fut qu’une interdiction générale
d’utiliser des locaux publics était le seul moyen de restreindre les activités
du NPD. La première municipalité à adopter cette stratégie fut celle de
Friedrichshain-Kreuzberg, dirigée par le Parti de la gauche.PDS.
La réaction de l’establishment politique aux provocations du
NPD fut d’appeler à l’« unité de tous les démocrates ». Dans la
pratique, cela signifie une intensification de la collaboration entre les
divers partis bourgeois et une capitulation devant la droite au nom d’une telle
« unité » Ce fut le cas en France il y a quatre ans lorsque durant l’élection
présidentielle tous les partis, y compris la soi-disant extrême gauche, se
servirent des mêmes arguments afin de justifier leur soutien au président
gaulliste Jacques Chirac contre son adversaire fasciste Jean-Marie Le Pen. La
politique pratiquée depuis par Chirac n’a fait que renforcer Le Pen.
Le renforcement de l’appareil d’Etat et le rapprochement des
partis officiels favorisent à longue échéance le développement de conditions où
les démagogues fascistes peuvent gagner de l’influence. Seul un mouvement indépendant
de la classe ouvrière qui allie la défense des droits démocratiques et sociaux à
un programme international et socialiste peut mettre un terme à la menace néo-nazie.