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Le projet de loi sur la Prévention de la délinquance, présenté au Sénat le 13 septembre, accorde des pouvoirs considérablement accrus aux représentants locaux leur permettant de s’immiscer dans la vie privée des familles, de les punir et de les contrôler. Il cible particulièrement les enfants et parents des quartiers défavorisés.
En préparation depuis plus de trois ans, sous la direction du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, c’est la dernière en date d’une série de mesures législatives autoritaires que le gouvernement gaulliste du président Jacques Chirac a inscrite dans le code depuis 2002.
Ce projet de loi s’ajoute aux mesures répressives à l’encontre des enfants et des familles, contenues dans la loi sur l’Egalité des chances qui avait été votée au printemps dernier malgré l’opposition massive des étudiants et des travailleurs. Il est une réponse directe au malaise qui avait trouvé son expression dans les émeutes des jeunes issus de l’immigration et de la classe ouvrière dans les banlieues appauvries à l’automne 2005.
L’exposé de motifs est parsemé d’expressions telles « responsabiliser chaque citoyen » et « sanctions plus sévères ». Le chapitre VII déclare que « La sanction, pour mineurs comme pour adultes, revêt une dimension éducative et dissuasive forte. »
Les maires de communes, déjà dotés du pouvoir de donner l’ordre à la police d’enquêter sur tout citoyen qu’ils soupçonnent de méfaits et d’agir indépendamment de leurs conseils élus localement, verront leurs devoirs et obligations de surveillance et de contrôle considérablement accrus. « … Dans la logique du pouvoir de police générale qu’il exerce sur sa commune, le maire “anime et coordonne” la politique de prévention de la délinquance. »
Le maire présidera un « Conseil pour les droits et devoirs des familles » qui doit être mis en place dans toutes les villes de plus de 10 000 habitants. Il aura le pouvoir de faire des « rappels à l’ordre » officiels devant toute perturbation de l’ordre public et d’imposer « l’accompagnement parental » aux parents qu’il juge « manquer » à leur devoir. Cela pourrait aller jusqu’à des stages obligatoires de responsabilité parentale, aux frais des parents, et le placement des enfants dans des établissements spéciaux « permettant la mise en œuvre de programmes à caractère éducatif et civique »
Il sera en mesure d’exiger que le juge des enfants désigne un fonctionnaire responsable de la mise en tutelle des allocations familiales.
Le maire aura aussi le pouvoir d’envoyer à l’hôpital pour 72 heures, par décret et sans avis médical, une personne sous sa juridiction dont les troubles mentaux nécessitent une intervention et qui met en danger ses administrés ou perturbe gravement l’ordre public. Ce pouvoir est à présent limité à 24 heures et est soumis à la confirmation immédiate de cette nécessité par un hôpital psychiatrique et le préfet.
Les personnes travaillant auprès des familles seront contraintes de révéler des informations sur les cas difficiles, habituellement protégés par le secret professionnel, à ce représentant local élu, et souvent très partial, duquel on n’exige aucune expertise sur ces questions.
Les enseignants et chefs d’établissements scolaires devront fournir au maire la liste des enfants qui sont absentéistes et en difficulté scolaire, et les services sociaux devront fournir « des informations utiles sur des personnes nommées ».
Des versions antérieures du projet de loi stipulaient que les enfants faisant preuve de comportement rebelle et antisocial dès l’âge de trois ans devraient être signalés aux autorités et tenus sous surveillance en tant que délinquants potentiels.
Des personnels de l’Education nationale, des hôpitaux et des travailleurs sociaux ont riposté en formant le Collectif national unitaire de résistance à la délation. Le terme de délation a une résonance particulière en France en raison des expériences sous l’occupation nazie et le régime collaborationniste de Vichy où la délation à grande échelle des opposants et victimes désignées était encouragée par les autorités.
Comme le signale le document du Collectif en date du 11 juillet, « Aujourd’hui, selon ce projet de loi, toute personne est susceptible d’être signalée à une de ces instances dès lors qu’elle connaîtrait des difficultés financières, scolaires, psychologiques… Il donne au maire, et à lui seul, le pouvoir d’intervenir dans quasiment toutes les situations rencontrées sur sa commune… Ses décisions sont unilatérales et les citoyens ne peuvent faire valoir aucun droit de recours… Il jette les bases d’un contrôle et d’une suspicion généralisés. »
Laurent Puech, président de l’Association nationale des assistants sociaux (ANAS) a dit au journal l’Humanité, « Il stigmatise les populations en difficulté, en faisant d’elles des nids de délinquants en puissance, et organise autour des familles, tenues pour seules responsables de la délinquance, un véritable contrôle social. »
Puech a ajouté: « Imaginez un couple qui se rend dans une unité de toxico-dépendance. L’assistante sociale les signale au maire. Lorsqu’il faudra attribuer des logements HLM, vous croyez que ce couple estampillé toxicomane sera prioritaire ? »
C’est la porte ouverte au chantage, au favoritisme et à la corruption, déjà répandus, et qui ne feront que s’accroître.
La loi sur l’immigration votée en juin avait déjà accordé de nouveaux pouvoirs accrus aux maires leur permettant de juger si des immigrés, souhaitant le rapprochement familial ou prolonger leur permis de séjour, entraient dans les critères extrêmement subjectifs et arbitraires tels « l’intégration dans la société française » et « l’engagement personnel de l’étranger à respecter les principes qui régissent la République française ».
Une dimension importante du projet de loi est la diminution des garanties pour les mineurs ayant maille à partir avec la police. Ces garanties se trouvent dans l’ordonnance 45-174 de février 1945 selon laquelle les jugements rendus aux mineurs doivent être de nature éducative et non punitive.
L’exposé des motifs du projet de loi affirme qu’aujourd’hui la criminalité juvénile a tendance à augmenter, sans toutefois essayer de trouver des causes à ce phénomène (qui d’après le Syndicat des magistrats est très exagéré) : « De plus en plus, certains mineurs entrent dans la délinquance avant l’âge de 13 ans et s’y enfoncent faute de réponse adaptée. »
Regrettant le fait que « les mineurs de moins de 13 ans ne peuvent être ni condamnés à une peine d’emprisonnement, ni faire l’objet d’un placement en détention provisoire » l’exposé des motifs affirme qu’il « est nécessaire d’élargir la gamme des mesures applicables aux enfants de moins de 13 ans » et propose de les placer dans des établissements scolaires spéciaux ou en internats. D’autres mesures envisagées pour ces jeunes sont le travail d’intérêt général.
La justification « scientifique » pour le projet de loi sur la Prévention de la délinquance est le rapport de 2005 de l’INSERM (institut national de la santé et de la recherche médicale) intitulé « Rapport INSERM, Expertise collective 2005 : Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent ».
Commandé par la CANAM, caisse nationale d’assurance maladie des professions indépendantes, ce rapport a été fait par un groupe d’experts très soigneusement triés et présentant un fort penchant pour le déterminisme génétique plutôt que les facteurs environnementaux pour expliquer le conditionnement du comportement humain.
Le rapport de l’INSERM a provoqué une réaction de grande envergure parmi les personnels de santé en France qui ont organisé la pétition « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » faisant référence à la vieille pratique des établissements scolaires, à présent réintroduite, de donner une note de conduite sur vingt. Ces membres des professions libérales qui protestent avaient annoncé lors d’une conférence de presse en mars dernier qu’ils avaient collecté 120 000 signatures et ils avaient distribué une critique détaillée du rapport.
La critique faisait remarquer que parmi le groupe qui avait conduit la recherche il ne figurait aucun expert en sciences sociales ni en sciences de l’éducation, de la santé du droit ou de l’éthique. On ne trouvait pas de praticiens de terrain, c'est-à-dire de pédiatres, de pédopsychiatres ou de psychologues cliniciens. Aucune des principales associations de pédopsychiatrie n’avait été consultée.
Les experts choisis voulaient « imposer comme modèle celui de certaines pratiques anglo-saxonnes, essentiellement nord-américaines… qui reposent essentiellement sur l’usage des psychotropes associé à une vision très normative des psychothérapies. Cette approche médicalisée ne tient pas compte des apports d’une pratique humaniste et psychodynamique, considérant la globalité “de l’enfant dans son environnement”. »
Le rapport de l’INSERM fait tourner autour de 50 pour cent le « taux d’héritabilité génétique » impliqué dans le comportement de l’individu. Les initiateurs de la pétition signalent : « La présentation de ces recherches avec une vision déterministe qui aboutit à des propositions de médecine prédictive fait resurgir des dangereuses thèses déterministes du 19e siècle où on parlait de “criminels-nés” et des “classes dangereuses”. »
Selon ses détracteurs, les points les plus troublants de ce rapport sont les suivants, « Il est recommandé à l’âge de 36 mois de noter sur le carnet de santé (ou de comportement ?) si l’enfant éprouve du “remord”, s’il “ne change pas sa conduite”, s’il se rend coupable de “morsure” ou est incriminé dans des “bagarres” ; à 4 ans s’il continue à mentir ; plus tard, si l’enfant présente un “index de moralité bas”… »
Considérés comme facteurs de risque possible pouvant annoncer un comportement délinquant à venir on trouve « l’attrait pour la nouveauté, le goût de l’exploration… une diminution du sentiment de peur. »
Les initiateurs de la pétition font remarquer que s’opposer à l’autorité, désobéir et se rebiffer contre les normes sociales ne sont pas des signes de maladie : « Elles témoignent le plus souvent de mouvements psychiques accompagnant les étapes du développement normal des enfants. » En effet, dans le cas d’enfants inhibés et apathiques affectés par des conditions de vie difficile, les professionnels de la santé guettent « les premiers signes d’opposition et de colère… annonciateurs d’un mieux-être. »
L’exposé des motifs du projet de loi sur la Prévention de la délinquance fait porter la responsabilité du comportement délinquant sur ce qu’il nomme la « confusion entre prévention et politique sociale », c'est-à-dire sur toute tentative d’examiner la cause sociale du mauvais comportement plutôt que le recours à la punition.
Au sujet du rapport de l’INSERM, Sarkozy a dit à l’Assemblée nationale le 28 février dernier, « Comme tous les scientifiques et tous les médecins le disent, plus tôt on intervient, plus on a de chances d’éviter le drame d’un enfant qui évolue vers la délinquance. »
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