Dans un vote tenu au Parlement le 19 septembre où la survie
même du gouvernement minoritaire conservateur était en jeu, le Bloc québécois,
le parti indépendantiste québécois au niveau fédéral, s’est distingué des deux
autres partis d’opposition en endossant l’entente sur le bois d’œuvre intervenue
entre le Canada et les États-Unis.
Ce n’est pas la première fois que le BQ garde en vie le
gouvernement ultra-conservateur de Stephen Harper. Dès le lendemain de l’arrivée
des conservateurs au pouvoir, le Bloc annonçait « qu’il allait donner sa
chance au coureur ». Après avoir appuyé le discours du Trône, le BQ a voté
pour le budget conservateur de mai 2006, qui annonçait des diminutions d’impôts
de 26 milliards pour les trois prochaines années, la fin du programme national
de garderies et d’importantes augmentations du budget militaire.
De plus en plus impopulaire aux yeux des Canadiens
ordinaires à cause de sa promotion du militarisme, le gouvernement minoritaire
conservateur puise sa force dans le soutien que lui accordent les sections les
plus puissantes de la grande entreprise. Il existe un large consensus au sein
de l’establishment canadien pour l’adoption d’une politique étrangère agressive,
la réduction des dépenses sociales et une baisse massive des impôts qui profite
aux plus riches.
L’appui du Bloc pour une telle politique démolit ses
prétentions progressistes. Le fait est que l’élite dirigeante québécoise, pour
laquelle parle le BQ, appuie non moins fermement le virage à droite opéré dans
la politique canadienne par le gouvernement Harper – y compris l’adoption d’une
stratégie militariste visant à augmenter la part du butin colonial revenant au
Canada.
Dans une lettre ouverte rejetant la demande que les troupes
canadiennes d’occupation soient retirées d’Afghanistan, le chef du Bloc, Gilles
Duceppe, a encouragé Ottawa à mieux « expliquer » son virage
militariste. « Les Québécois et les Canadiens », a-t-il écrit, « ne
peuvent appuyer la démarche du gouvernement Harper si on les laisse dans
l’ignorance, s’ils ne comprennent pas les tenants et les aboutissants de cette
opération et des autres interventions militaires ailleurs dans le monde. » Cela
fait partie des efforts du Bloc pour donner un vernis « humanitaire »
aux visées impérialistes du Canada.
Le BQ limite son opposition à ce qui touche les intérêts de
la grande entreprise québécoise, comme la question des sommes que le
gouvernement fédéral octroie au gouvernement provincial québécois. Ce sont ces
intérêts de classe étroits qui sont en jeu lorsque le BQ, et son parti frère au
niveau provincial, le Parti québécois, parlent de la défense des
« intérêts du Québec ».
L’appui du Bloc au Parti conservateur est loin d’être une
bourde passagère. Le mouvement nationaliste québécois a une longue histoire de coopération
avec les régionalistes de l'Ouest et la droite canadienne, non seulement avant la « Révolution tranquille » des
années 1960, lorsque le nationalisme québécois était associé
à l’opposition au progrès social au Québec, mais aussi après.
Qu'on se rappelle que Duplessis, en mettant en 1958 sa machine
électorale au service du chef conservateur Diefenbaker, avait permis à ce
dernier d'obtenir la plus grande majorité de l'histoire à la Chambre des
communes ; ou encore du « beau risque » de René Lévesque, un des fondateurs du
Parti québécois, alors premier ministre du Québec, qui avait mené les
conservateurs au pouvoir à l’échelle fédérale en 1984. Les nationalistes
québécois avaient alors mis leur machine électorale au service de Brian
Mulroney et fourni plusieurs candidats vedettes.
Dans l’élection fédérale subséquente de 1988, qui a tourné
autour du projet conservateur d’instaurer un libre-échange entre le Canada et
les États-Unis, Bernard Landry et les autres dirigeants du PQ ont pesé de tout
leur poids en faveur du libre-échange et fourni ainsi un appui implicite mais
décisif à la réélection de Mulroney.
Après l’échec de l'accord constitutionnel du lac Meech, Lucien
Bouchard, qui avait été le lieutenant québécois de Mulroney, a quitté le Parti
conservateur pour fonder, avec les députés conservateurs qui l’ont suivi
et quelques libéraux dissidents, le Bloc québécois dont il est devenu le chef.
En 1996, Bouchard était nommé par acclamation à la tête du PQ
et a formé un des gouvernements les plus à droite en Amérique du Nord, imposant
un sévère plan de compressions budgétaires dans les dépenses sociales avec
l’aide des dirigeants syndicaux.
Depuis au moins les années 2000, le Bloc québécois a manoeuvré
avec les prédécesseurs du Parti conservateur pour évincer les libéraux du
pouvoir. Ils se sont ligués avec eux pour faire tomber le précédent
gouvernement minoritaire libéral dirigé par Paul Martin sur des questions de
scandales de corruption, contribuant ainsi à détourner l’attention du programme
de droite impopulaire du Parti conservateur.
La bureaucratie syndicale endosse entièrement l’étroite
collaboration entre souverainistes et conservateurs. Henri Massé, le président
de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), la plus importante centrale
syndicale au Québec, a demandé au BQ d’appuyer l’entente canado-américaine sur
le bois d’œuvre. Lors des dernières élections, il avait déclaré que les
travailleurs n’avaient rien à craindre des conservateurs s’ils élisaient des
bloquistes pour les représenter.
Fait à noter, Québec solidaire, qui se présente comme une
opposition de gauche au PQ, parti frère du BQ sur la scène provinciale, ne
dénonce pas le soutien accordé par le Bloc aux conservateurs de Harper. Cela nuirait
à ses espoirs de conclure une entente électorale avec le PQ lors des prochaines
élections provinciales et minerait ses efforts pour peindre le nationalisme
québécois sous des couleurs progressistes.