Voilà maintenant quatre ans, le président
George Bush se présentait devant l’Assemblée générale de l’ONU et exigeait que
celle-ci approuve une guerre contre l’Irak fondée sur des mensonges flagrants à
propos de soi-disant armes de destruction massive de Saddam Hussein.
Aujourd’hui, alors que Bush exige de l’ONU une action ferme contre l’Iran, les
assertions américaines selon lesquelles Téhéran possède un programme d’armes
nucléaires ont été démasquées comme étant de pures fabrications.
L’organe de l’ONU qui supervise la question
nucléaire, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), a fait la
semaine dernière une réfutation cuisante des « informations erronées,
trompeuses et non fondées » contenues dans le rapport du Congrès américain
intitulé « Voir l’Iran comme une menace stratégique » émis le 23
août.
Le rapport de la Commission spéciale du
renseignement de la Chambre des représentants n’était rien de plus qu’un
exercice de propagande conçu dans le but de justifier les préparatifs de
l’administration Bush pour une action punitive contre l’Iran. Son objectif
principal était de demander aux agences d’espionnage américaines de s’efforcer
davantage à combler les « manques d’informations, » particulièrement
ceux reliés aux programmes d’armements iraniens. En d’autres mots, de concevoir
de nouveaux mensonges pour justifier des sanctions économiques et la guerre.
Le manque de preuves concrètes contre
Téhéran n’a pas empêché le rapport d’affirmer catégoriquement que l’Iran
cherchait à produire des armes nucléaires, ainsi que des armes chimiques et
biologiques. C’est le même modus operandi qu’en 2003, lorsque le
vice-président américain Dick Cheney, le secrétaire à la Défense Donald
Rumsfeld et les néo-conservateurs du Pentagone avaient fabriqué une soi-disant
preuve des armes de destruction massive pour fournir le prétexte à une invasion
criminelle américaine de l’Irak
Il n’est pas étonnant que l’AIEA ait le
plus fortement réagi contre l’attaque à l’intégrité de sa propre surveillance
des programmes nucléaires iraniens. Sa lettre a « fortement
désapprouvé » la « déclaration incorrecte et trompeuse » selon
laquelle le directeur de l’AIEA, Mohamed El Baradeï, aurait retiré d’Iran
l’inspecteur Christian Charlier « pour s’être prétendument inquiété de la
duperie iranienne à propos de son programme nucléaire et avoir conclu que
l’objectif du programme nucléaire iranien était de construire des armes
nucléaires. »
L’AIEA a qualifié « d’indigne et
malhonnête » l’insinuation que Charlier aurait été retiré d’Iran pour
« ne pas avoir adhéré à une politique non officielle de l’AIEA empêchant
ses représentants de dire toute la vérité au sujet du programme nucléaire
iranien ». Comme l’a mentionné la lettre, l’Iran, et non El Baradeï, avait
demandé le rappel de Charlier et l’avait fait en vertu des droits garantis par
le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP).
La référence du rapport à Charlier n’était
pas accidentelle. Il est devenu célèbre parmi les cercles d’extrême droite aux
États-Unis, ceux exigeant le plus vigoureusement une guerre contre l’Iran,
lorsqu’il donna en juillet une entrevue au journal allemand Welt am Sontag,
insinuant que l’Iran opérait un programme nucléaire clandestin. Toutefois,
comme ceux qui ont repris ses commentaires, Charlier n’a fourni aucune preuve
pour appuyer ses affirmations.
La lettre de l’AIEA était aussi en
désaccord avec les erreurs factuelles évidentes contenues dans la courte
section du rapport intitulée « Preuve d’un programme d’armes nucléaires
iranien. » Elle mettait l’accent sur la légende excessivement trompeuse
d’une photographie d’une usine d’enrichissement iranienne située à Natanz qui
disait ceci : « L’Iran enrichit présentement le plutonium à un
niveau d’armement en utilisant une cascade de 164 centrifugeuses. »
Comme AIEA le signale, cette prétention est tout simplement
fausse. La petite cascade de l’usine d’enrichissement de Natanz, qui est l’objet
d’inspections de l’AIEA, incluant la surveillance caméra, a, à ce jour, enrichi
de l’uranium à un niveau de 3,6 pour cent — une concentration qui correspondant
à l’atteinte des objectifs déclarés par Téhéran de production de combustible
nucléaire. Comme la lettre l’indique de façon caustique, cette concentration peut
difficilement être considérée comme étant de « qualité militaire », généralement
reconnu comme exigeant une concentration de 90 pour cent ou plus en uranium.
Même en supposant que Téhéran cherche à construire une arme
nucléaire, un article publié dans l’édition de juillet/août du Bulletin of
Atomic Scientists estime qu’il faudrait 1500 à 1800 centrifugeuses opérant
sans interruption durant une année pour produire la quantité d’uranium très enrichi
nécessaire à la construction d’une bombe atomique rudimentaire. Bien que l’Iran
ait l’intention d’agrandir l’usine de Natanz, le dernier rapport de l’AIEA révèle
un retard dans le plan de construction et la seconde cascade de 164 machines ne
serait pas opérationnelle avant août.
Un porte-parole du comité du Congrès américain, Jamal Ware,
a tenté de rejeter les critiques de l’AIEA en déclarant que son rapport ne fait
que mentionner que « l’Iran travaille pour développer sa capacité à
enrichir l’uranium à une qualité militaire, pas qu’il y est arrivé ». La
position de l’AIEA n’était pas erronée, cependant. Si Téhéran n’est pas « actuellement
en train d’enrichir de l’uranium à une qualité militaire », mais est à des
années d’atteindre une telle capacité, alors l’Iran n’a pas les ingrédients de
base pour construire une arme nucléaire et la prétention que l’Iran constitue
une menace nucléaire imminente s’effondre.
La lettre de l’AIEA note une autre distorsion délibérée dans
une déclaration incorporée dans le rapport selon lequel l’Iran a « produit
en cachette » du polonium-210 (Po-210), un isotope radioactif, soulignant
son utilisation potentielle comme source de neutrons pour l’arme nucléaire.
L’AIEA indique que le terme « en cachette » est trompeur puisque
« la production de Po-210 n’a pas à être rapportée » en vertu des
dispositions de l’entente de non-prolifération signée avec l’Iran. La seule
preuve étayant les prétentions des Etats-Unis provenait de rapports de l’AIEA
sur des expériences de petites envergures, menées entre 1989 et 1993, qui
furent apparemment négatives et interrompues.
Une réédition de l’Irak
La lettre de l’AIEA n’a souligné que les falsifications les
plus évidentes sur le programme nucléaire iranien, mais le reste du rapport du
Congrès est criblé d’allégations non fondées ou de mensonges flagrants, en
grande mesure recyclés des responsables américains ou de la « communauté
américaine du renseignement ». Le Washington Post, qui a publié en
premier la lettre de l’AIEA la semaine dernière, note prudemment : « En
privé, plusieurs responsables de divers services de renseignement ont dit que
le rapport du comité inclus au moins une douzaine d’affirmations qui sont manifestement
fausses ou impossibles à prouver. »
Le rapport du Congrès a largement été
rédigé par Frederick Fleitz, ancien agent de la CIA connu pour ces opinions de
droite sur l’Iran et ayant travaillé pour John Bolton, l’actuel ambassadeur
américain à l’ONU, alors qu’il était le plus haut responsable du département d’Etat
sur la prolifération des armes. Alors, tout comme aujourd’hui, Bolton était
tristement célèbre pour ses demandes agressives d’action contre le soi-disant
« axe du mal » — l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord — et Fleitz l’a probablement
aidé à concocter la « preuve ».
Comme David Albright, un ancien inspecteur nucléaire, l’a
dit au Washington Post : « Cette
situation reproduit ce qui prévalait avant la guerre en Irak. Vous avez une
menace nucléaire iranienne qui est montée en aiguille avec de l’information biaisée
et un rapport qui calomnie les inspecteurs. » Avant l’invasion de l’Irak,
l’administration Bush a dénigré l’échec des inspecteurs en armement de l’ONU à
découvrir des armes de destruction massive en Irak.
En février 2003, moins d’un mois avant que les Etats-Unis
lancent leur assaut, les dirigeants des inspecteurs en armement, Hans Blix et
Mohammed El Baradeï ont présenté des rapports au Conseil de sécurité de l’ONU
qui déclaraient qu’ils n’avaient trouvé aucune preuve d’armes nucléaires,
chimiques ou biologiques en Irak — démolissant le plaidoyer pour la guerre
qu’avait fait le secrétaire d’Etat américain, Colin Powell.
Le directeur de l’AIEA, El Baradeï avait été
particulièrement catégorique, déclarant : « A ce jour, nous n’avons
pas trouvé de preuve qu’il y aurait actuellement des activités nucléaires ou
liées au nucléaire en Irak. » Il a aussi joué un rôle clé pour exposer les
affirmations frauduleuses, faites tout d’abord par le gouvernement britannique,
que l’Irak avait tenté d’acheter d’importantes quantités d’uranium du Niger. El
Baradeï a dit aux Nations Unies en mars 2003 que les documents offerts en tant
que preuve étaient des faux grossiers, ce qui n’a pas empêché les responsables
de l’administration Bush de maintenir que l’Irak avait tenté d’acquérir des
armes nucléaires.
Après l’occupation, des équipes américaines ont parcouru
l’Irak pendant des mois, mais n’ont trouvé ni armes de destruction massive ni
preuves de programmes pour le développement de telles armes. Pour détourner
l’attention de sa propre responsabilité pour ce tissu de mensonges,
l’administration Bush a blâmé la CIA et les autres agences d’espionnage pour un
« échec du renseignement ». Au même temps, Washington a continué sa
campagne clandestine contre El Baradeï qui a culminé avec l’échec l’an dernier
de le remplacer au poste de directeur de l’AIEA par quelqu’un de plus disposé à
s’aligner sur les intérêts des Etats-Unis.
Comme dans le cas de l’Irak, les accusations de
l’administration Bush contre l’Iran n’ont rien à voir avec une « menace
stratégique » sur les Etats-Unis. Même s’il parvenait à obtenir quelques
bombes atomiques rudimentaires, Téhéran ne pourrait rivaliser avec l’armée
américaine et son colossal arsenal nucléaire. L’allégation que l’Iran développe
l’arme atomique est simplement un prétexte pour manufacturer un climat de peur
et d’hystérie guerrière aux Etats-Unis mêmes, tout en allant de l’avant avec
ses plans pour un « changement de régime » en Iran. Malgré les
désastres militaires de plus en plus sérieux que confrontent les occupations
menées par les Etats-Unis en Irak et en Afghanistan, l’administration Bush est
déterminée à réaliser ses ambitions d’imposer la domination américaine sur les
régions riches en ressources du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.
La frustration augmente à Washington devant l’échec de l’ONU
à imposer des sanctions contre l’Irak. La Maison-Blanche a tordu des bras pour
que les puissances européennes, la Russie et la Chine acceptent la date butoir
du 31 août à laquelle Téhéran devait avoir mis fin à tous ses programmes
d’enrichissement de l’uranium. L’Iran, toutefois, a insisté de son droit en
vertu du Traité de non-prolifération nucléaire à développer tous les aspects
d’un programme nucléaire civil, y compris l’enrichissement de l’uranium, et a
dénoncé la résolution de l’ONU pour être illégale. La poussée des Etats-Unis
pour des mesures punitives rencontre une résistance continue de la part de ses
rivaux européens et asiatiques, qui ont tous d’importants intérêts économiques
en Iran.
Discutant vendredi dernier du discours qu’il devait quelques
jours plus tard devant l’ONU, le président Bush a déclaré : « Ma
préoccupation est qu’ils [l’Iran] veulent tenter de gagner du temps. Aussi, une
partie de mon objectif à New York est de rappeler aux gens que les
tergiversations ne devraient pas être tolérées — nous avons besoin d’accélérer
le processus. »
L’impatience de Bush ne répond à aucune évaluation objective
des programmes nucléaires iraniens, mais plutôt aux mesures politiques
pressantes de son administration. Désavantagée sur le terrain dans les
élections de mi-mandat qui auront lieu en novembre, et le deuxième mandat de
Bush se terminant dans deux ans, la Maison-Blanche commence à penser qu’elle
manquera de temps. Loin de mettre la pédale douce, l’administration Bush penche
vers une autre aventure militaire imprudente contre l’Iran cette fois.
Un signe que l’administration Bush intensifie sa campagne
pour un « changement de régime » à Téhéran est la mise en place
d’unités au sein du département d’Etat américain et du Pentagone qui ont pour
but de miner le gouvernement iranien. En février, la secrétaire d’Etat
Condoleezza Rice a demandé 75 millions $ supplémentaires pour appuyer les
mouvements d’exilés iraniens et l’opposition politique en Iran même. Un nouveau
Bureau des affaires iraniennes a été fondé sous la supervision d’Elizabeth
Cheney, la fille du vice-président américain.
Il est moins connu que le Pentagone a formé l’équivalent
iranien du fameux Bureau des plans spéciaux (BPS) où ont été concoctés les
mensonges sur les armes de destruction massive en Irak avec l’aide de
témoignages d’exilés tel Ahmed Chalabi, fraudeur notoire. Le Los Angeles
Times a révélé en mai l’existence du nouvel organisme, connu sous le nom de
Directoire pour l’Iran. Selon le quotidien, cet organisme a un personnel de six
personnes, a un mandat semblable à celui du BPS et a recruté des vétérans du
BPS au sein de son personnel et du corps plus large de ses conseillers, y
compris l’ancien dirigeant du BPS, Abram Shulsky.
(Article original anglais paru le 19 septembre 2006)