Vendredi,
lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche, et au cours du week-end,
par des déclarations de représentants du gouvernement, l’administration Bush a
mis sur pied une nouvelle campagne de mensonges et d’intimidation pour
justifier la répudiation du droit international et la politique gouvernementale
de torture.
Les
affirmations de l’administration que l’article 3 aux quatre Conventions de
Genève, qui établit des règles pour l’interrogation de prisonniers de guerre et
interdit « les atteintes à la dignité des personnes, notamment les
traitements humiliants et dégradants » est trop « vague » et
qu’afin de poursuivre le programme de détention de la CIA qui a « sauvé
des vies innocentes », il est nécessaire de modifier la Loi américaine sur
les crimes de guerre et de « clarifier » les Conventions de Genève.
Cette
offensive de propagande en défense de la torture a été lancée à cause de la
défection de plusieurs importants sénateurs républicains, qui bloquent un
projet de loi piloté par l’administration par lequel le Congrès donnerait son
approbation aux tribunaux militaires qu’avait créés Bush par ordre exécutif après
le 11 septembre, et qui avaient été condamnés comme inconstitutionnels par la
Cour suprême des Etats-Unis en juin dernier.
La
Cour suprême a rejeté les commissions militaires de Bush, qui devaient juger
les détenus de Guantanamo, car elles transgressaient les principes d’équité
établis par la Constitution américaine, permettant l’utilisation de preuves
secrètes, de témoignages obtenus sous la torture et de preuves par ouï-dire, et
même la tenue de procès en l’absence du défendant. La cour a aussi déclaré que
tous ceux qui étaient détenus par les Etats-Unis devaient être traités
conformément à l’article 3 commun aux quatre
Conventions de Genève.
Le
projet de loi de l’administration sur les commissions militaires maintient les règles de procédure rejetées par la Cour suprême et
tente de se soustraire à l’injonction de la Cour à propos de l’article 3 en
« clarifiant » le sens de telle façon à le rendre inutile et à
permettre des techniques d’interrogation cruelles et brutales. Dans un
éditorial du 14 septembre, le Washington Post a résumé le contenu du
projet de loi de l’administration par « une loi qui donnerait le droit à
la CIA d’employer des techniques d’interrogation perçues mondialement comme de la
torture, modifierait les obligations des Etats-Unis en vertu des Conventions de
Genève, et permettrait la tenue de procès dont l’équité serait contestée par
beaucoup de personnes au pays et à l’étranger ».
Jeudi
dernier, quatre républicains de la commission sénatoriale des forces armées —
le président John Warner de Virginie, John McCain de l’Arizona, Lindsey
Graham de Caroline du Sud et Susan Collins du Maine — ont refusé d’appuyer le
projet de loi de Bush et ont au lieu de cela appuyé une mesure alternative,
paraissant un peu moins répressive, qui a été votée par la commission avec
l’appui des membres démocrates.
Voilà
ce qui a provoqué la conférence de presse de Bush, qui était en colère,
vendredi, et les autres déclarations des représentants de l’administration, qui
ont affirmé que les opposants du projet de loi de l’administration minaient les
prisons de la CIA et l’interrogation de présumés membres d’al-Qaïda,
aidant et encourageant ainsi les terroristes.
En
plus de redéfinir l’article 3, l’un des objectifs de la législation de
l’administration est de modifier la Loi sur les crimes de guerre, une loi
américaine qui criminalise les crimes de guerre, incluant les violations de la
Convention de Genève. Essentiellement, cette loi autorise les Etats-Unis à
faire appliquer le droit international et à poursuivre les criminels de guerre.
L’administration
prétend que le but de ce changement est de protéger les agents de la CIA
chargés des interrogations. En fait, le but principal sera de protéger les responsables
de haut niveau de l’administration Bush, incluant le président lui-même, de
poursuites futures pour crimes de guerre.
La
Loi sur les crimes de guerre définit comme « crimes de guerre » toute
violation de l’article 3. La Cour suprême a décidé que l’article 3 devait être
appliqué à tous les détenus. Le programme de la CIA viole l’article 3 depuis
une période de 5 ans, soit depuis qu’il a pour la première fois été implanté
sur ordre du président.
Le
président et d’autres responsables de l’administration ont ainsi agi en
violation de la Loi sur les crimes de guerre. Selon cette loi, quiconque commet
un crime sera sanctionné par une amende, l’emprisonnement ou, « s’il en
résulte la mort pour la victime, sera aussi sujet à la punition de mort ».
Certains prisonniers alors qu’ils étaient sous le contrôle de la CIA ont été
tués sous la torture.
Dans
le but de protéger les responsables de l’administration, la loi de Bush va
modifier la Loi sur les crimes de guerre pour qu’elle stipule que seulement des
« violations sérieuses de l’article 3 » constitueront des crimes de
guerre. Ces « crimes sérieux » incluent la torture et « les
traitements cruels ou inhumains ». Ce dernier terme est défini de façon si
étroite qu’il exclut virtuellement toutes les méthodes que l’administration
Bush a déjà autorisées ou chercherait à autoriser.
Il
ne faut pas une compréhension profonde ou une perspicacité brillante pour
contrecarrer les arguments de Bush en faveur de la loi et pour les exposer pour
ce qu’ils sont : une défense dégoûtante de la torture.
Premièrement,
la prétention selon laquelle l’article 3 est « vague » est un leurre
évident. L’article n’est pas plus vague que le texte alternatif qui est proposé
par l’administration, qui interdirait des mesures qui « choqueraient la
conscience » et violeraient l’interdit constitutionnel d’infliger un
« traitement cruel et inusité ».
Si
un « traitement humiliant et dégradant » est une norme trop vague,
alors le « traitement cruel ou inhumain » devrait l’être aussi. En
d’autres termes, lorsque vient le temps d’interroger un prisonnier — américain
ou étranger — et de décerner les punitions, tout est bon !
Le
langage de l’article 3, qui plus est, existe depuis près de 60 ans, depuis la
ratification des Conventions de Genève. Pourquoi son langage est-il devenu
soudainement si « vague » qu’il nécessite une « clarification
» ? Il n’était pas trop vague durant les guerres de Corée et du Vietnam,
alors pourquoi est-il si fatalement vague maintenant ?
Il est clair que l’administration
veut soi-disant clarifier l’article 3 pour que les responsables et les
agents américains n’aient pas à le suivre. Pourquoi? Pour qu’ils puissent
continuer à torturer les détenus sans crainte d’être poursuivis pour crimes de
guerre.
Cette politique de la torture fait
partie de l’adoption par l’impérialisme américain d’une politique de
militarisme débridé auquel les événements du 11-Septembre ont servi de
justification. Au nom de la « guerre au terrorisme », le gouvernement
américain a répudié les Conventions de Genève en ce qui a trait au traitement
des forces d’al-Qaïda et des talibans capturés lors
de l’invasion américaine de l’Afghanistan de 2001.
Le gouvernement américain a ensuite
la politique de la « guerre préventive », qui elle viole le droit
international établi après la Deuxième Guerre mondiale, y compris les principes
de Nuremberg, qui ont rejeté la guerre comme instrument légitime de la
politique étrangère et déclarer qu’elle n’était justifiée qu’en cas de
véritable auto-défense.
Il est bien établi dans la loi des Etats-Unis et internationale que les méthodes
d’interrogation approuvées par l’administration Bush et utilisées en Irak, en
Afghanistan à Guantanamo et dans les prisons secrètes de la CIA sont illégales.
En demandant que le gouvernement américain se conforme au texte de l’article 3,
la Cour suprême américaine ne faisait que faire respecter les normes légales en
vigueur — bien qu’elles aient été souvent violées en pratique — depuis au moins
1949.
Un article du Washington Post
du 16 septembre donne quelques indications sur les méthodes que
l’administration veut pouvoir continuer à utiliser : « Une source
bien informée a dit que les techniques comprenaient la privation prolongée de
sommeil, la position debout obligatoire et d’autres positions
contraignantes. » La CIA a dans le passé utilisé d’autres techniques comme
le simulacre de noyade [waterboarding],
l’exposition à des températures extrêmes dans la nudité, la musique forte et
d’autres formes d’abus sensoriel. Objectivement, toutes ces méthodes
représentent une forme de torture qui violent la prohibition énoncée dans
l’article 3 des « atteintes à la dignité des personnes, notamment
les traitements humiliants et dégradants ».
Une
autre affirmation de l’administration est qu’elle doit légaliser le programme
de la CIA et modifier l’article 3 parce qu’il sera sinon impossible d’obtenir
des informations de prétendus terroristes. Des attentats terroristes ont été
empêchés grâce à ce programme, nous dit-on, et il est nécessaire pour empêcher
des attentats futurs.
Premièrement,
il faut noter qu’il est bien connu que les soi-disant renseignements obtenus au
moyen de la torture ne sont pas fiables, puisque la victime est forcée à dire
ce qui arrêtera le tortionnaire. De plus, tous les régimes qui ont employé la
torture, des nazis jusqu’aux présents alliés de Washington comme la Jordanie et
l’Egypte, ont utilisé l’argument qu’il leur fallait des renseignements pour
employer ces méthodes barbares. Ce qui est nouveau, c’est que le gouvernement
américain et une section importante des médias et des intellectuels américains,
y compris les anciens libéraux, endossent aujourd’hui ouvertement ces méthodes.
Pour
justifier son usage de la torture, l’administration a fait toute une série de
déclarations sans substance sur de supposés complots qui ont été déjoués. Comme
toujours, aucune information concrète n’est donnée pour corroborer l’existence
de ces complots et aucune preuve n’est donnée en appui à l’affirmation qu’il a
fallu torturer le prisonnier pour obtenir les informations recherchées. Nous
sommes supposés accepter ce que le gouvernement nous dit sans questions — un
gouvernement tellement habitué au mensonge qu’il s’est crû obligé de répéter le
mensonge que Saddam Hussein était lié à al-Qaïda même
après qu’un comité bipartite du Congrès eut trouvé que c’était une affirmation
non fondée après être précédemment arrivé à la même conclusion en ce qui a
trait aux supposées armes de destruction massive qui ont servi de prétextes à
l’invasion de l’Irak.
Tout
ceci, nous dit-on, est une composante nécessaire de la « guerre au
terrorisme », que Bush a déclaré être la grande lutte idéologique du 21e
siècle. Si tel était le cas, alors on peut poser les questions : quel
est le contenu de l’idéologie défendue par le gouvernement
américain ? Pourquoi la lutte pour la « liberté et la
démocratie » exige-t-elle que l’on fasse usage de méthodes barbares qui
sont toujours associées à la tyrannie et à la dictature ?
Clairement,
le contenu de cette idéologie entre en conflit violent avec les principes des
Lumières qui ont guidé les pères fondateurs de la République américaine et qui
ont été codifiées dans la Déclaration de l’indépendance et la Charte des droits
de la Constitution américaine.
Bush,
naturellement, a choisi de ne pas adresser cette contradiction évidente de la
« guerre au terrorisme » — en supposant qu’il puisse la saisir — et
personne dans les médias ou le Parti démocrate ne lui demandera de compte sur
cette question. Toutes les factions de l’establishment politique ont endossé
cette guerre frauduleuse, qui forme le cadre idéologique central de la campagne
de l’impérialisme américaine pour la domination mondiale.
L’attaque
ouverte sur les Conventions de Genève par le président des Etats-Unis et sa
défense de la torture expriment d’une façon concentrée le déclin et la
dégradation de la démocratie bourgeoise américaine. Cela a les implications les
plus profondes et les plus sinistres pour les droits démocratiques du peuple
américain. Il n’y a pas de mur de béton entre la politique étrangère et la
politique intérieure. Un régime qui utilise la torture en tant que partie de sa
politique étrangère va tôt ou tard employer les mêmes méthodes contre ses
opposants politiques au pays.
(Article
original anglais paru le 18 septembre 2006)