Le Canada déploiera bientôt d’autres troupes et pièces
d’armements au sud de l’Afghanistan pour soutenir la force d’occupation de
l’OTAN qui est en difficulté.
Le gouvernement conservateur minoritaire du Canada a
annoncé vendredi qu’il déploierait entre 200 et 500 soldats supplémentaires des
Forces armées canadiennes (FAC) dans la région de Kandahar. Le gouvernement a
aussi approuvé une requête des FAC demandant d’envoyer quinze chars d’assaut
Leopard et un nombre non dévoilé de véhicules blindés d’ingénierie, de type
Badger, en Afghanistan. Le Leopard, qui pèse 42,5 tonnes, est équipé d’un canon
de 105 mm, pouvant tirer des obus explosifs à longue portée, ainsi que de plusieurs
mitrailleuses.
Le chef d’état-major des FAC, le général Rick Hillier, a
affirmé que quatre des tanks seraient envoyés par avion en Afghanistan aussi
tôt que possible. Bien qu’il ait qualifié les renforts de petits, Hillier a
déclaré qu’ils « multiplieront considérablement les occasions des FAC
pour sécuriser et stabiliser » la région de Kandahar.
Renforcer le contingent de 2300 soldats des FAC en
Afghanistan a été l’une des mesures prises par le gouvernement conservateur au
cours des derniers jours pour contrer l’augmentation de la résistance talibane
au sud de l’Afghanistan et l’opposition croissante parmi la population
canadienne face à la guerre menée par les FAC au nom du gouvernement d’Hamid
Karzaï, régime installé par les États-Unis et dépendant d’eux.
Cette semaine, le premier ministre Stephen Harper a
consacré son discours à l’occasion du cinquième anniversaire de l’attaque
terroriste du 11 septembre 2001 à soutenir que les FAC devaient jouer un rôle
d’avant-garde dans la suppression des talibans, en tant que contribution
canadienne à la « guerre au terrorisme ».
Comme toile de fond à son discours, les assistants de
Harper ont rassemblé de membres de la famille de plusieurs Canadiens qui avaient
trouvé la mort dans l’attentat sur le World Trade Center et de plusieurs
soldats des FAC servant actuellement en Afghanistan. Harper a conclu son
discours en demandant aux Canadiens de prier pour les victimes du 11 septembre
et pour les soldats canadiens en Afghanistan.
En mai dernier, Harper et ses conservateurs ont fait voter
à toutes vapeurs par le parlement une résolution qui autorisait le prolongement
de deux ans, soit au moins jusqu’en 2009, de la participation canadienne à
l’opération de contre-insurrection en Afghanistan. De plus, le vote de cette
résolution permettait que la mission canadienne soit élargie pour inclure la
prise en charge pour un an, à partir de février 2008, du commandement général
de l’opération de l’OTAN en Afghanistan.
La visite de la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza
Rice, en Nouvelle-Écosse cette semaine, prétendument pour remercier les
Canadiens d’avoir hébergé les voyageurs des vols en direction des Etats-Unis déroutés
vers le Canada le 11 septembre 2001, a été aussi utilisée par le gouvernement conservateur
pour tenter de gonfler l’appui à l’intervention canadienne en Afghanistan.
Et jeudi, le bureau de Harper a annoncé que le président
afghan, Hamid Karzaï, allait visiter Ottawa et Montréal du 21 au 23 septembre
pour ce qu’il a qualifié de « visite de travail ». On accordera au
président afghan le rare privilège de s’adresser au parlement canadien.
Les FAC et l’OTAN ont été déconcertées par la détermination
de la résistance des talibans et par l’augmentation de la colère populaire en
Afghanistan devant le traitement qui leur est infligé par les forces armées des
Etats-Unis et de l’OTAN et devant l’échec des puissances occidentales à
respecter leurs promesses de reconstruction et d’aide au développement.
Récemment, le Telegraph de Londres citait le capitaine
Leo Docherty, un ex aide de camp du commandant des forces britanniques dans la
province de Helmand disant que la mission de l’OTAN dans le sud de
l’Afghanistan était devenue un « manuel d’instruction pour saboter un
contre insurrection…[N] ous avons perdu nos cœurs et notre esprit avant même
d’avoir commencer. »
Plus tôt ce mois, en appelant les pays de l’OTAN à envoyer 2500
soldats supplémentaires pour la campagne contre-insurrectionnelle dans le sud de
l’Afghanistan, Ray Henault, le président du Comité militaire de l’OTAN et
ancien chef des FAC, a dit que l’occupation de l’Afghanistan était « la
mission de l’OTAN la plus complexe jamais entreprise ».
A ce point-ci, son appel pour plus de troupes est largement
demeuré lettre morte. En fait, les frictions se sont accrues au sein de l’OTAN
sur la question de déterminer qui devra porter le fardeau de la campagne
contre-insurrectionnelle.
Alors que les représentants militaires canadiens et les dirigeants
du gouvernement avaient averti qu’il allait y avoir des morts suite au
déploiement des troupes canadiennes au sud de l’Afghanistan — même s’ils
éprouvaient un plaisir pervers devant le sang versé croyant qu’il allait aider
à effacer l’image de force de maintien de la paix qu’ont les FAC et qu’ils
détestent tant —, ils ont été pris par surprise par la ténacité des talibans et
l’augmentation du nombre des morts.
Des 32 soldats canadiens tués en Afghanistan depuis
l’intervention des FAC en 2001, 24 sont morts depuis le début de 2006 et 16
dans les trois derniers mois.
Mais ce qui est encore plus inquiétant pour le gouvernement
de Harper ce sont les sondages d’opinion indiquant que la majorité des
canadiens s’oppose à l’Intervention des FAC en Afghanistan et ceci malgré le
barrage médiatique en faveur de l’intervention.
Le sentiment anti-guerre est nourri tant par l’augmentation
de la conscience du caractère colonial de la mission des FAC que par le scepticisme
ou l’hostilité envers la prétention politique de l’establishment et des médias
selon qui le but de la mission est de protéger les Canadiens ordinaires du
terrorisme.
Malgré le biais pro-guerre des grands
médias, on peut parfois y lire des informations sur les FAC prenant des
villages d’assaut, menaçant et tuant des civils, y compris un jeune garçon de
10 ans le mois passé. Une bonne partie de la population canadienne est hostile
à l’administration Bush et reconnaît, au moins jusqu’à un certain point, qu’elle
a utilisé les attentats du 11 septembre 2001 pour mettre en œuvre ses plans prêts
depuis longtemps pour élargir la mainmise américaine sur le pétrole du
Moyen-Orient et de l’Asie centrale au moyen de guerres d’agression.
La grande entreprise canadienne, au
contraire, est enthousiaste envers l’intervention de FAC en Afghanistan et envers
la tentative du gouvernement Harper de l’utiliser pour donner au Canada une
politique étrangère plus « robuste », c’est-à-dire plus militariste.
Ce n’est pas seulement parce l’élite
canadienne veut être dans les bonnes grâces de l’administration Bush, croyant
que dans un monde de plus en plus sujet aux déséquilibres économiques et géostratégiques
explosifs, il est plus sage de forger des liens plus étroits avec les Etats-Unis.
Au moyen d’une politique étrangère plus militariste, le Capital canadien vise à
satisfaire ses propres ambitions impérialistes. C’est ce qu’a révélé un
éditorial récent du National Post qui a dit qu’Harper devait demander en
contrepartie pour le resserrement de son alliance avec les Etats-Unis que
Washington reconnaisse les revendications canadiennes sur une immense section
de l’océan Arctique, potentiellement très riche en ressources.
Parce que la grande entreprise canadienne
considère que l’intervention en Afghanistan est cruciale dans sa tentative de
changer de façon importante la politique étrangère et la stratégie géopolitique
canadiennes et parce qu’elle est très au fait qu’elle n’a pas d’appui populaire
pour ce changement, les médias de la grande entreprise et l’élite politique ont
été fortement offensé par l’appel du quatrième parti au pays, le
social-démocrate Nouveau Parti démocratique (NPD), pour que le Canada retire
ses troupes du sud de l’Afghanistan et qu’il encourage l’OTAN et le gouvernement
afghan à entreprendre des pourparlers pour la paix avec les talibans.
Sans exception, tous les plus importants
quotidiens du Canada anglais et au Québec ont dénoncé la position du NPD pour être
« irresponsable ». Le Toronto Star, un quotidien libéral, s’est
plaint « Quitter l’Afghanistan maintenant compromettrait la crédibilité du
Canada sur la scène internationale. »
Le Bloc québécois, un parti indépendantiste
et le Parti libéral, l’opposition officielle ont dénoncé le NPD avec force.
La position du NPD, qui a été annoncée par
le dirigeant du NPD fédéral Jack Layton à la fin du mois d’août et qui a été
endossée par le congrès fédéral du parti le week-end dernier, n’a rien à voir
avec une opposition de principes à l’occupation de l’Afghanistan ou à l’impérialisme
canadien.
Tout d’abord, Layton a dit qu’il voulait
seulement que les troupes se retirent d’Afghanistan en février 2007 pour ne pas
miner les efforts des partenaires canadiens de l’OTAN. Maintenant, Layton et le
NPD disent que le contingent des FAC à Kandahar devrait être retiré aussi tôt
qu’il sera « sûr » de le faire, tout en réitérant qu’ils voulaient
que les troupes canadiennes restent à Kaboul et qu’ils soutenaient le gouvernement
Karzaï.
Les demandes du NPD sur la question du déploiement
des FAC vont de pair avec des appels nationalistes canadiens et des promesses que
les sociaux-démocrates sont prêts à soutenir le déploiement des FAC dans des
guerres outremers. Selon le NPD, la mission est simplement « la mauvaise [mission]
pour le Canada », les troupes ne sont pas équipées comme il le faudrait,
la mission est mal définie, il n’y a pas de stratégie de sortie, la capacité du
Canada à défendre ses intérêts dans le monde est minée par la politique de
Harper qui lie la politique étrangère canadienne trop étroitement à celle des Etats-Unis.
Si les troupes étaient retirées, déclare le NPD, alors le Canada pourrait
déployer des troupes dans d’autres missions de paix sanctionnées par les
impérialistes, comme celle du Liban ou en Haïti.
Néanmoins, l’élite dirigeante craint que la
position du NPD va attiser les sentiments anti-guerre et miner sa tentative de
décrire l’opposition à l’intervention des FAC en Afghanistan comme
anti-patriotique si ce n’est comme un appui aux talibans, ce qui explique l’intensité
de leurs condamnations.
(Article original anglais paru le 16
septembre 2006)