Durant la dernière semaine, une série de documents du Pentagone et du
gouvernement, publiés ou coulés dans la presse, a souligné le fiasco de plus en
plus grand auquel doit faire face l'occupation américaine de l'Irak.
Le plus surprenant d'entre eux est un rapport classé secret, rédigé par
l'officier en chef des services de renseignement de la Marine américaine en
Irak, qui conclut que les États-Unis ont déjà perdu dans leurs tentatives
d'écraser la résistance dans la province agitée de Anbar.
Selon une évaluation du document par le Washington Post, l'officier
des services du renseignement, le colonel Pete Devlin, en est arrivé à la
conclusion « qu'il n'y a pratiquement rien que puisse faire l'armée
américaine pour améliorer la situation politique et sociale là-bas ».
Le journal a cité les paroles d'un officier familier avec le rapport, qui
date du 16 août, « Nous n'avons pas été vaincus militairement, mais nous
avons été vaincus politiquement, et c'est ainsi que les guerres se gagnent et
se perdent. » L'article du Post poursuivait ainsi : « Une
autre personne connaissant le rapport a dit qu'il n'y avait plus rien à faire
avec Anbar; une troisième a affirmé que les États-Unis avaient perdu à
Anbar. »
Le journal a noté que le ton du rapport était particulièrement significatif
étant donné l'attitude excessivement optimiste généralement adoptée par l'armée
en Irak, contrairement à la CIA, qui a aussi fait de graves évaluations de la
situation.
La province d'Anbar à majorité chiite, qui est la plus grande d'Irak, est
voisine de la Syrie, de l'Arabie saoudite et de la Jordanie. La province de
l'ouest a été le théâtre des offensives les plus importantes et sanglantes
menées par l'armée américaine, qui possède environ 30 000 soldats déployés
dans la région. Parmi celles-ci, le siège sanglant de Fallujah en novembre
2004, lors duquel des milliers de personnes furent tuées et la ville essentiellement
rasée.
Des unités de la Marine et de l'armée américaines sont impliqués dans des
combats sans relâche dans la capitale provinciale de Ramadi, une ville
d'environ 400 000 habitants, qui a été témoin de la résistance la plus
intense de n'importe quelle région du pays occupée par les États-Unis, une
résistance responsable de la moitié ou plus de toutes les attaques lancées par
la résistance irakienne.
La fuite du rapport de Devlin exprime assurément les désaccords grandissants
aux plus hauts échelons du commandement militaire américain au sujet des
politiques de Washington en Irak. La fuite, qui se produit au beau milieu des
tentatives préélectorales de l'administration Bush pour présenter l'occupation
de l'Irak comme le cœur de la « guerre au terrorisme », ne pouvait
être plus dévastatrice.
La réaction de l'administration a été d'ordonner au général le plus haut
gradé dans la province d'Anbar de faire une présentation inhabituelle à la presse,
par téléphone, de la base de la Marine à Fallujah, ayant pour but apparemment
de réfuter l'évaluation des services de renseignements.
Toutefois, le général Richard Zilmer n'a pas semblé vouloir respecter les
conditions de la Maison-Blanche. Il a ainsi déclaré aux journalistes :
« J'ai vu le rapport et je suis d'accord avec cette évaluation »,
ajoutant seulement que le document « n'avait pas pour but d'aborder les
effets positifs » des forces d'occupation dans la région.
Il a soutenu que les forces américaines étaient capables
« d'étouffer » la résistance irakienne, mais pas de la vaincre. Cet
« étouffement » fait apparemment référence aux opérations comme
Fallujah et d'autres offensives américaines dans la vallée de l'Euphrate, qui
n'ont fait que déplacer les combattants de la résistance d'une région à
l'autre, tout en intensifiant au même moment l'hostilité populaire envers
l'occupation américaine et faisant grossir les rangs de la résistance.
Zilmer, qui a reconnu que ceux que les États-Unis combattaient étaient en
grande majorité des Irakiens et non pas de soi-disant « combattants
étrangers », a ajouté que même le fait de déployer plus de soldats
américains dans la région ne « fournirait qu'une solution temporaire »,
et ne pourrait remplacer un progrès politique et social, que Washington s'est
montré terriblement incapable d'engendrer.
Ce rapport des services du renseignement militaire qui causa une grande
fureur suivait un autre document accablant, bien que non confidentiel, produit
le 11 septembre par le Bureau d'imputabilité gouvernemental (BIC), l’organisme du
Congrès chargé des enquêtes.
Le rapport du BIC, qui est basé en grande partie sur des études menées par
d'autres agences, dont plusieurs qui n'avaient pas été publiées antérieurement,
indique une augmentation constante du nombre des attaques armées par la
résistance contre l'occupation américaine. Il établit que « le nombre
total des attaques rapportées de janvier 2006 à juillet 2006, était d'environ
56 pour cent plus élevé que le nombre total pour la même période en 2005 ».
Un graphique accompagnant le document indique que le nombre d'attaques est
passé d'environ 100 qu’il était en mai 2003 à 4500 en juillet 2006.
Alors que le rapport note l’évidente augmentation des « luttes
sectaires », il déclare qu'il y a eu une « augmentation significative
dans le nombre des attaques contre les forces de la coalition qui demeurent la
principale cible ».
Les conclusions du BIC contredisent directement les thèses de
l'administration Bush que les avancées de la « démocratie » — qui s’est
prétendument exprimée par la tenue d'élections nationales — va réduire le bain
de sang en Irak. Au contraire, le rapport cite les conclusions du
directeur des services du renseignement de la Défense (SRD) selon lequel
« les élections de décembre semblent avoir intensifié les tensions sectaires
et polarisé les divisions sectaires ». Il cite également un rapport de
l'Institut pour la paix des Etats-Unis, une agence gouvernementale qui a conclu
que « l'attention sur l'identité ethnique et sectaire s’est accentuée
suite au processus politique en Irak, alors que le sentiment nationaliste et le
sens de l'identité irakienne ont faibli ».
Le rapport du BIC réfère également à un rapport du directeur du service du
renseignement national reconnaissant que malgré les tentatives du Pentagone
de « mettre sur pied » une armée irakienne, « plusieurs éléments
des forces de sécurité irakiennes sont loyaux aux forces sectaires et aux
intérêts des partis politiques ». Il cite également un rapport du
Pentagone qui conclut que les unités de la police et de l'armée étaient
organisées selon des lignes ethniques et régionales, avec des officiers seniors
commandant « seulement aux soldats de la même religion ou origine régionale
qu’eux. »
Le rapport souligne également la débâcle économique provoquée par la guerre
et l'occupation américaine en Irak. Il cite les chiffres du mois dernier
démontrant que l'Irak ne produisait que 2,17 millions de barils par jour, bien
en deçà du niveau d'avant la guerre de 2,6 millions par jour.
Durant la même période, il a établi la disponibilité en électricité en
moyenne à « 5,9 heures par jour à Bagdad et 10,7 heures à l'échelle nationale »
— conditions qui rendent la vie économique normale littéralement impossible.
Il en a résulté un déclin catastrophique du niveau de vie des masses
ouvrières en Irak. Il est prévu que le taux d'inflation allait doubler
cette année, atteignant le taux pénalisant de 70 pour cent. Le prix de
l'essence et de l'électricité, a entre temps, augmenté de 270 pour cent
seulement depuis l'an dernier.
Le rapport du BIC décrit la résistance
irakienne comme « forte et tenace », déclarant que les « insurgés
continuent à faire la démonstration de leur capacité à recruter de nouveaux
combattants, à s’approvisionner et à attaquer les forces sécuritaires de la
coalition et de l’Irak ». Il continue « Les conditions qui se
détériorent menacent le progrès résultant des actions américaines et
internationales pour aider l’Irak dans le domaine politique et économique. »
Pendant ce temps, l’organisation contre les
engins explosifs improvisés du Pentagone rapporte que le nombre d’explosions de
bombes le long des routes — la principale cause de la mort de 2600 soldats en
Irak — a atteint 1200 en août, soit quatre fois plus qu’en janvier 2004.
Washington dépense en moyenne 10 milliards
$ par mois dans l’aventure irakienne et le Sénat américain a accepté la semaine
passée l’affectation de 63 milliards $ supplémentaires dans les opérations
militaires en Irak et en Afghanistan.
Une autre indication que le fiasco empire en
Irak a été donnée dans un rapport mercredi que les forces de sécurité
irakiennes ont découvert les corps de 65 personnes exécutées dans Bagdad et ses
environs. Tous les corps étaient ligotés et portaient des traces de torture,
certains étaient décapités. La découverte macabre indiquait que des escadrons
de la mort pouvaient agir en toute impunité dans la capitale irakienne, même
après que les Etats-Unis y eurent concentré des milliers de soldats
supplémentaires dans une « opération de sécurité » largement annoncée
dans la presse et supposée ramener la paix à Bagdad.
Washington avait auparavant déclaré que le
renforcement du déploiement avait réussi à diminuer les morts résultants de la
violence sectaire à Bagdad de 52 pour cent entre juillet et août. Il a toutefois
été révélé la semaine dernière, que cette soi-disant histoire à succès était en
réalité le résultat d’une erreur de calcul du Pentagone.
Sans le dire à personne, les responsables
américains avaient exclu des centaines de personnes tuées dans des explosions d’automobiles
et des attaques au mortier de leur décompte des morts. Cette forme macabre de
fraude comptable en dit long sur l’ampleur du désespoir des autorités de l’occupation
américaine.
Le ministère irakien de la Santé a corrigé
la fausse image manufacturée par le Pentagone. Il a rapporté que le nombre de
résidants de Bagdad tué d’une façon violente le mois dernier atteignait 1536.
L’intensification du désastre produit de la
guerre et de l’occupation américaine a suscité des récriminations acerbes au
sein des cercles dirigeants aux Etats-Unis où les élections de mi-mandat auront
lieu dans deux mois.
L’administration Bush a lancé une offensive
de propagande ininterrompue, tentant de décrire la guerre en Irak comme une
lutte pour prévenir les attentats terroristes contre les Etats-Unis eux-mêmes
tout en diffamant tous ceux qui s’opposent à la guerre pour être des complices
d’al-Qaïda. Le Parti démocrate a répondu en accusant la Maison-Blanche
républicaine d’avoir gâché la guerre dont les objectifs trouvaient un large
soutien au sein de l’élite financière américaine.
De plus en plus, la campagne des démocrates
a porté sur l’accusation que la débâcle en Irak affaiblissait l’armée
américaine et empêchait qu’elle puisse intervenir en fait dans d’autres guerres
plus pressantes et dans de futures interventions américaines.
Samedi dernier, le candidat présidentiel
démocrate lors des élections de 2004, le sénateur du Massachusetts John Kerry,
a prononcé un discours dénonçant l’administration Bush pour avoir adopter la
stratégie « ne pas bouger et perdre » et a demandé qu’elle envoie
5000 soldats supplémentaires en Afghanistan pour supprimer l’opposition croissante
contre l’occupation américaine de ce pays.
Kerry a continué en appelant au « redéploiement »
des troupes américaines qui occupent actuellement l’Irak, rendant claires qu’il
ne faut pas mettre un terme aux tentatives de Washington de subjuguer le pays
riche en pétrole, mais simplement réorganiser le déploiement de l’armée de
façon plus rationnelle. L’occupation continuerait, selon Kerry, avec une « force
résiduelle pour compléter l’entraînement » des forces sécuritaires
irakiennes et pour « bloquer les interventions étrangères ». En d’autres
termes, des dizaines de milliers de soldats américains y demeureraient pour
assurer la domination des Etats-Unis sur l’Irak.
L’ancien président américain Bill Clinton a
adopté une approche similaire dans un discours qu’il a donné devant un
organisme charitable juif la semaine passée, déclarant « Nous avons besoin
de plus de soldats. » Il a ajouté « Nous ne pouvons avoir une
démocratie qui prend les jambes à son cou. »
Le New York Times de mercredi citait
le stratège politique démocrate Jim Jordan qui a dit que dans les élections de
mi-mandat de 2006, « il est mieux pour le parti de se définir comme musclé
et prêt à défendre le pays ».
Derrière cette stratégie, on trouve l’engagement
des deux principaux partis envers la continuation du militarisme mondial visant
à imposer l’hégémonie économique et politique des Etats-Unis. En voulant
présenter une image « musclée » et avec son appel pour « plus de
soldats », les démocrates se positionnent comme le parti qui rétablira la
conscription et lancera l’impérialisme américain dans de nouvelles guerres
encore plus terribles.