Voici la troisième partie d’un rapport prononcé par
David North, président du bureau de rédaction international du World Socialist Web Site et secrétaire national du Parti de
l’égalité socialiste aux Etats-Unis, lors d’une réunion du PES qui a eu lieu le
week-end du 9 et 10 septembre.
Les deux premières parties de ce rapport ont été mises
en ligne mardi
le 12 septembre et mercredi
le 13 septembre.
L’état de la société américaine
Le 31 août, dans son discours au congrès national de la
Légion américaine en Utah, le président Bush a déclaré que « Les
gouvernements qui sont responsables envers leurs électeurs se concentrent à
bâtir des routes et des écoles, pas des armes de destruction massive. » Par
cette mesure, il n’existe pas un gouvernement moins responsable envers le
peuple que celui des Etats-Unis ! La part du budget fédéral réservée à la
construction de routes et à l’éducation ne constitue même pas 10 pour cent de
celle réservée officiellement à l’armée.
Il n’existe pas de barrière infranchissable entre la
politique étrangère et intérieure. Celles-ci expriment différemment les
intérêts et les perspectives de l’élite dirigeante. La politique étrangère des Etats-Unis
est l’expression, dans le domaine de la politique mondiale, des intérêts de
classe de l’oligarchie financière et corporative qui dirige les Etats-Unis. On
peut en effet établir un parallèle frappant entre l’indifférence démontrée par
l’administration Bush pour les besoins vitaux du peuple irakien à la suite de
l’invasion américaine et sa négligence brutale des citoyens de la Nouvelle-Orléans
à la suite de l’ouragan Katrina. Le gouvernement n’a rien fait pendant qu’une
ville entière était détruite, des milliers de personnes mourraient et des
dizaines de milliers se retrouvaient sans logement.
L’élite dirigeante a fait la démonstration de sa cruauté
aussi bien que son incompétence à la Nouvelle-Orléans comme à Bagdad.
Cet élément d’incompétence n’est pas un phénomène
accidentel, mais reflète plutôt de véritables et profondes tendances de la
décomposition et du déclin de toute la structure sociale des Etats-Unis. La
richesse de sa couche dirigeante augmente exponentiellement et
proportionnellement à la désintégration des infrastructures industrielles et
sociales du pays.
L’élite dirigeante acquiert de plus en plus la physionomie
sociale de la mafia. Une immense richesse personnelle est accumulée, non pas
par le développement des forces productives, mais par leur destruction.
L’époque des géants de l’industrie, dont la cruauté personnelle était au moins
associée à la création de gigantesques industries, date déjà d’un passé
lointain. Le directeur général de l’Amérique moderne est la personnification
d’un système économique parasite dont le but principal est la gratification
financière immédiate et l’enrichissement d’une petite élite privilégiée. La
gestion d’entreprise consiste en grande partie à détourner les ressources de la
compagnie des investissements productifs et à long terme, vers les comptes de
banque des cadres et des gros actionnaires.
Le 15 juillet 2006, le Wall Street Journal a publié
en première page une analyse de la réaction des grandes entreprises américaines
à la tragédie du 11 septembre. Alors que des dizaines de millions d’Américains
ordinaires pleuraient les morts de plus de 2 500 de leurs frères citoyens,
de hauts cadres des plus grandes entreprises américaines se réjouissaient de l’occasion
d’enrichissement inattendue que leur offrait la tragédie.
Les bourses furent fermées durant six jours à la suite de
l’attaque sur le World Trade Center. Les prix des actions chutèrent de plus de
14 pour cent après la réouverture du marché le 17 septembre 2001. Les
dirigeants de 186 grandes compagnies profitèrent de la chute abrupte et
temporaire des valeurs d’actions en s’accordant de lucratives actions à bas
prix. Quatre-vingt-onze compagnies, qui n’accordaient habituellement pas
d’actions, le firent après le 17 septembre 2001, distribuant pour 325 millions
$US d’actions.
Certaines de ces compagnies avaient perdu des employés dans
la tragédie du 11 septembre. Par exemple, Teradyne Corporation a perdu un
employé sur le vol 11 d’American Airlines. Mais le directeur général de la
compagnie n’a pas laissé passer l’occasion de transformer la tragédie en un
profit personnel inattendu. On lui accorda 600 000 options d’achat, ce qui
lui permit d’acheter des actions à 24 pour cent moins cher qu’avant le 11
septembre.
Pour le directeur général de Teradyne et beaucoup d’autres
cadres, le 11 septembre fut un coup de chance. T. Rowe Price accorda 280 000
options d’achat à deux hauts cadres. Le directeur général de Merrill Lynch
reçut 753 770 options d’achat. On accorda au directeur général de Home
Depot un million d’options d’achat. Et le Wall Street Journal de
demander : « Les compagnies auraient-elles de façon inconvenante profité
d’une tragédie nationale? » On pourrait dire cela, mais que dire de plus ?
Cette sombre et horrible histoire de cadres de Wall Street
récoltant de riches récompenses de la mort et de la destruction représente
justement la réalité sociale des Etats-Unis après le 11 septembre. Durant les
cinq dernières années de la « guerre au terrorisme », les tendances
de concentration de richesse et d’inégalités sociales qui existaient avant le
11 septembre se sont accélérées.
Un rapport sur l’inégalité de revenus publié récemment par
les célèbres économistes Thomas Piketty et Emmanuel Saez documente
l’accélération du rythme de la concentration de la richesse aux Etats-Unis. Venant
appuyer les résultats de leur analyse révolutionnaire de 2003 sur l’inégalité
de revenus aux Etats-Unis entre 1913 et 1998, les dernières données analysées
par Piketty et Saez établissent que les gains des revenus du un pour cent le
plus riche de la société américaine sont un multiple substantiel des
augmentations réalisées par les 99 pour cent restants. De plus, le 0,1 pour
cent le plus riche de la société a profité des plus grandes augmentations.
Selon un résumé des découvertes de Piketty-Saez préparé par
le Centre d’étude des priorités politiques et budgétaires :
* Le revenu moyen après ajustement de
l’inflation pour 99 pour cent des familles a augmenté de seulement 3 pour cent
en 2003-2004. Cette augmentation du revenu moyen reflète en grande mesure les
gains enregistrés par la couche supérieure de 20 pour cent des familles. En
d’autres termes, la croissance du revenu de la couche inférieure de 80 pour
cent des familles a soit stagnée, soit déclinée.
* 41 pour cent de l’augmentation du
revenu moyen sont allés à 1 pour cent des familles — celles gagnant plus de 315 000 $
annuellement.
* La part des revenus avant impôts
récolté par le 1 pour cent le plus riche a augmenté de 17,5 pour cent en 2003 à
19.5 pour cent en 2004. Une telle augmentation n’a eu lieu que cinq fois depuis
1913.
* La part du revenu total américain en
2004 qui est allé au 1 pour cent le plus riche était plus grande qu’à n’importe
quel autre moment depuis 1929 — à l’exception des années 1999 et 2000, au
sommet de la bulle boursière de la décennie précédente.
* Si l’on considère les 0,1 pour cent
des familles les plus fortunées, la part du revenu national qu’ils accaparent a
augmenté de 1,3 pour cent, passant de 7,9 pour cent à 9,2 pour cent entre 2003
et 2004. Ce qui signifie que plus de la moitié de tous les gains sur les
revenus de la couche des 1 pour cent des familles les plus riches est allée aux
familles américaines les plus riches, les 0,1 pour cent supérieurs, soit en d’autres
mots, les couches supérieures de l’oligarchie sociale américaine.
Les chiffres pour 2003-2004 poursuivre une
tendance vers un niveau toujours plus grand d’inégalité sociale qui à commencée
au milieu des années 1970. Avant cela, à partir de la Deuxième Guerre mondiale
jusqu’à la récession de 1973-74, la part du revenu national allant aux familles
de la classe ouvrière a augmenté substantiellement. La tendance a été renversée
par l’offensive de la grande entreprise contre la classe ouvrière qui a débuté
sous l’administration Carter et a été accélérée par le président Reagan et ses
successeurs.
Le niveau de concentration sans précédent
des richesses aux Etats-Unis n’est pas qu’une simple petite tache sur une
société autrement en santé. Bien qu’elle soit le résultat de la propriété privée
des moyens de production et qu’elle soit incorporée dans les relations sociales
du capitalisme, l’incontrôlable augmentation de la richesse des plus riches aux
Etats-Unis a atteint une dimension telle qu’elle est devenue un facteur déterminant
dans la direction de la vie politique et économique. Tous les aspects de la
politique étrangère et domestique ainsi que la mise en place des priorités
nationales est déterminé, directement et immédiatement, par la soif insatiable
d’accumulation de richesse personnelle toujours plus grande de l’oligarchie
dirigeante.
La mise en œuvre des priorités corporatives
et la détermination des stratégies d’affaires sont déterminées quasi
entièrement en fonction de l’impact anticipé sur le revenu personnel des
dirigeants exécutifs des compagnies. Le but principal et ayant préséance sur
presque tout le reste, est d’assurer le paiement de millions et de dizaines de
millions de dollars à ses dirigeants exécutifs et ses principaux actionnaires.
L’être social de l’élite dirigeante dépend
de l’exploitation et du pillage impitoyables de la société dans son ensemble.
L’impact à plus long terme des décisions prises dans le cadre de la poursuite
d’un niveau de richesse personnelle grotesque et vraiment obscène — le manque
de fonds dans les entreprises elles-mêmes pour la recherche, le développement
et le réapprovisionnement de leur base productive, la diversion de ressources
qui devraient aller aux investissements productifs, mais vont vers des
aventures fragiles, mal conçues et socialement destructives et, plus que tout,
l’érosion de l’infrastructure sociale et l’appauvrissement de sections de plus
en plus importantes de la société — ne préoccupe pas particulièrement l’élite
dirigeante. Elle est aussi aveugle aux conséquences de ses actions que l’était
l’aristocratie française qui s’amusait à la cour de Versailles.
En considérant les activités de
l’oligarchie aux Etats-Unis, on peut mieux comprendre les processus sociaux qui
ont créé, durant la Révolution française, un appui de masse enthousiaste pour
la guillotine. De plus en plus, l’élite dirigeante fonctionne comme un élément
étranger et toxique de la société, dont les demandes et les prérogatives sont
incompatibles, et même en opposition, avec les besoins de la société dans son
ensemble. Pour parler franchement, le riche est devenu un véritable problème
social.
Tout l’ordre politique américain actuel
n’est rien de plus que l’expression concentrée de cet environnement obsolète,
réactionnaire et socialement abrutissant. Tout l’establishment politique vit
dans un monde totalement isolé et qui ne peut satisfaire aux besoins et aux
opinions de larges masses de la population.
Aucun des problèmes confrontant la société
ne peut être discuté ouvertement. Les médias de masse, contrôlés par des
sociétés géantes, cherchent à maintenir à tout prix la fiction usée que les Etats-Unis
forment une société démocratique dans laquelle tous les citoyens bénéficient
d’une chance égale.
Le mécanisme politique qui garantit une
défense sans compromis des intérêts des riches, qui protège l’oligarchie
financière et de la grande entreprise de toute opposition à ses prérogatives et
qui laisse en fait les larges masses de la population travailleuse sans voix
politique indépendante est le système bipartite des démocrates et des
républicains.
Comment peut-on autrement expliquer le fait
que l’importante opposition populaire à la guerre en Irak ne trouve aucune
expression sérieuse au sein de l’establishment politique ? En fait, le
plus l’opposition populaire à la guerre croit, le plus intransigeant l’establishment
politique devient dans son insistance que la guerre doit continuer et doit être
élargie.
Aucune lutte contre la guerre et pour l’adoption
d’une politique sociale aux Etats-Unis n’est possible sans la destruction de la
dictature bipartite et la création d’un mouvement politique de la classe
ouvrière, réellement indépendant et socialiste.
L’expérience du Parti de l’égalité
socialiste au cours des dernières semaines a jeté une lumière importante sur
les conditions précaires de la démocratie aux Etats-Unis. Toute tentative par
un « tiers parti » d’être reconnu officiellement et de défier
l’hégémonie de l’oligarchie des deux partis se butte immédiatement à une masse
d’obstacles procéduriers dont le seul but est de protéger les démocrates et les
républicains d’avoir à affronter une opposition politique.
Même après que les « tiers
partis » rassemblent les milliers de signatures nécessaires selon la loi
pour être inscrit sur le bulletin de vote, ils doivent affronter des
contestations légales cyniques et faites de mauvaise foi dont l’unique but est
de priver la population de toute alternative aux deux partis de l’oligarchie
dirigeante.
La lutte que le PES a été forcé de mener
dans le 52e district de l’Illinois est un exemple du caractère complètement
antidémocratique et répressif de l’ordre politique. Des milliers de résidants —
un pourcentage appréciable des électeurs enregistrés du district — ont signé
les pétitions pour que le nom du candidat du PES, Joe Parnarauskis, soit
inscrit sur le bulletin de vote. Cela n’a pas empêché le Parti démocrate de
dépenser des dizaines de milliers de dollars en frais de justice pour notre
candidat ne soit pas inscrit. Et maintenant, même après qu’il a été montré que
toutes les objections des démocrates n’avaient pas de substance légale, les
agents du Parti démocrate refusent tout simplement de certifier le candidat du
PES et que son nom soit inscrit sur le bulletin de vote.
Si c’est ce qui est entrepris pour prévenir
une candidature indépendante dans une élection pour un seul siège au Sénat d’un
petit Etat, imaginez la réaction au développement d’un mouvement politique de
masse qui menace encore plus directement les intérêts de l’élite dirigeante !
Par ses actions, l’élite dirigeante fait la
démonstration qu’aucun changement progressiste de la politique intérieure ou
étrangère des Etats-Unis — c’est-à-dire toute mesure qui menacera la richesse
et les intérêts mondiaux du capitalisme américain — n’est possible sans une
lutte révolutionnaire.
En conclusion, voici une récapitulation
aussi concise que possible de la situation qui prévaut cinq ans après le 11
septembre. La campagne de l’impérialisme américain, qui a employé le prétexte
fourni par les événements de cette journée pour élargir son appétit pour
l’hégémonie mondiale, a rencontré une résistance et des difficultés
inattendues. L’échec à conquérir et pacifier l’Irak a miné l’image de
l’invincibilité de l’armée américaine. Le projet hégémonique de l’impérialisme
américain apparaît maintenant beaucoup plus problématique qu’il y a cinq ans.
Toutefois, l’élite dirigeante américaine
considère que retraiter de ses aspirations mondiales n’est pas une option
viable. La logique de l’impérialisme force les Etats-Unis à préparer de
nouvelles interventions, de plus en plus violentes — premièrement contre l’Iran,
plus tard contre la Chine et tout autre pays ou groupe de pays qui menacera la
domination américaine.
Mais les « guerres du 21e
siècle » promises par Bush doivent inévitablement approfondir les
profondes contradictions sociales au sein des Etats-Unis et générer une
opposition et une lutte populaires encore plus importantes. Le sentiment de
mécontentement et de colère populaires, déjà perceptible, ne fera que s’élargir
et s’intensifier. Les questions interreliées de la condition sociale et de
l’inégalité, des droits démocratiques et de la guerre impérialiste deviendront
de plus en plus unifiées dans la conscience populaire.
La période prolongée de stagnation
politique arrive à sa fin. Une nouvelle période tumultueuse de luttes sociales
et politiques au sein des Etats-Unis approche à grands pas. C’est cette
perspective qui animera le travail du Parti de l’égalité socialiste durant la
campagne électorale de cet automne.
Fin
(Article original anglais paru le 13
septembre 2006)