Une conférence des donateurs internationaux pour le Liban,
qui s’est tenue le 31 août en Suède, a été une démonstration d’hypocrisie
éhontée. Alors que le Liban est complètement dévasté après l’attaque criminelle
israélienne d’un mois, les grandes puissances n’ont offert qu’une aide
dérisoire au peuple libanais, se félicitant ensuite elles-mêmes pour leurs
efforts. « Notre message doit être clair et ferme : vous n’êtes pas
seuls », a déclaré pompeusement le premier ministre suédois Goran Persson.
« La guerre est peut-être l’affaire de quelques-uns, mais la paix sera
toujours notre devoir commun. »
Les démarches à la conférence ont démontré le cynisme de
telles déclarations. Les Etats-Unis, les puissances européennes et arabes,
ainsi que des représentants de l’ONU, de la Banque mondiale et du Fonds
monétaire international, se sont engagés à verser 940 millions de dollars US,
faisant passer le total de l’aide internationale à 1,2 milliard $. Cette
somme ne représente qu’une petite fraction de ce qui est nécessaire. Le programme
des Nations unies pour le développement a évalué que la guerre a infligé pour
15 milliards $ de dommages physiques et économiques.
Israël a systématiquement détruit la plupart des
infrastructures sociales et économiques du Liban. L’aéroport de Beyrouth, des
centrales énergétiques, des routes, des ponts, des maisons et des commerces ont
été bombardés. Le gouvernement libanais a calculé que les dommages structurels
directs coûteront 3,6 milliards $ en réparations. Le premier ministre
Fouad Siniora s’est aussi engagé à payer 40 000 $ en compensation aux
familles dont les maisons ont été détruites ou endommagées. Alors qu’environ
130 000 personnes sont éligibles pour recevoir ce montant, on prévoit que
le projet coûtera plus de 5 milliards $.
L’Arabie saoudite, le Koweït et d’autres Etats riches en
pétrole ont fourni la majorité du 1,2 milliard $ qui a été promis, alors
que l’Union européenne a offert 117 millions $ et les Etats-Unis, 230
millions $. Ces dons ne couvriront pas les besoins de reconstruction
immédiats du Liban et, encore bien moins, n’atténueront pas la grave crise
économique causée par la guerre. On prévoit que le taux de chômage dépassera
les 20 pour cent pour le reste de l’année. La section du renseignement de The
Economist a affirmé que l’on devrait s’attendre à ce que le produit
intérieur brut du Liban pour 2006 soit 10 pour cent plus bas que les
précédentes prévisions.
« Les dommages sont tels que les quinze dernières
années de reconstruction et de réhabilitation qui ont suivi les précédents
problèmes vécus par le Liban sont maintenant anéanties », a déclaré la
semaine dernière Jean Fabre, du programme des Nations unies pour le développement.
« Quinze ans de travail ont été anéantis en un mois. »
Les « précédents problèmes » du Liban incluent
deux invasions israéliennes, en 1978 et 1982, une occupation israélienne du sud
du pays durant 18 ans, et une guerre civile de 15 ans entre 1975 et 1990. Même
avant le dernier bombardement israélien, la destruction et les bouleversements,
si répandus au Liban, n’avaient pas été résolus. Au début de l’année, le revenu
personnel au pays était un tiers plus bas que ce qu’il était en 1975. Le taux
de chômage officiel était de 9 pour cent et celui des jeunes, le double.
La conférence n’a prononcé aucune condamnation d’Israël pour la
guerre ou le désastre social qu’il a semé. Ni contre le gouvernement des Etats-Unis,
qui a collaboré aux préparatifs de guerre d’Israël et a accueilli l’invasion
qui avançait ses propres objectifs de domination de la région. Durant trois
semaines, les Etats-Unis ont bloqué les appels pour un cessez-le-feu immédiat
et encouragé Israël à intensifier ses bombardements.
Même si des représentants des Etats-Unis étaient présents à la
conférence, Washington n’a aucun intérêt à aider à la reconstruction du Liban
ou à venir en aide à sa population. L’administration Bush a refusé de s’engager
pour plus que l’aide de 230 millions $ promise au lendemain de l’entrée en
vigueur du cessez-le-feu.
Un article du Jerusalem Post avec pour titre « Les
Etats-Unis vont peut-être considérer une aide additionnelle pour les Forces de
défense israéliennes », publié le jour de la conférence, démontre quelles
sont les priorités du l’administration Bush. Selon un haut responsable
américain anonyme, Washington pourrait « sérieusement considérer »
toute requête du gouvernement d’Olmert pour rééquiper les Forces de défense israéliennes
pour un montant pouvant atteindre 2 milliards $. Cette somme se
rajouterait à l’aide militaire de 2 milliards $ que les Etats-Unis
accordent annuellement à Israël.
Les Etats-Unis ont refusé de joindre leur voix à celle des
autres représentants internationaux sur la question du blocus aérien et
maritime de Tel-Aviv contre le Liban. Le gouvernement libanais, qui estime à 45
millions $ par jour le coût de l’encerclement du pays par Israël, a accusé
l’Etat israélien de mener une guerre économique. Le blocus, en vigueur depuis
le début de la guerre le 13 juillet, a causé une pénurie quasi générale
d’essence, de médicaments et d’autres biens essentiels.
Même l’ONU a été forcée de protester contre les opérations si
outrageusement illégales d’Israël. « L’aide, lorsqu’il y un blocus, c’est
comme de mettre quelqu’un sur respirateur avec un pied sur la ligne
d’oxygène », déclarait Mark Malloch Brown adjoint du secrétaire général de
l’ONU.
Restructuration économique
Les principales puissances présentes à la conférence des
donateurs étaient toutes motivées par leurs propres intérêts. Un certain nombre
de pays d’Europe et de la région du golfe Persique ont des investissements
significatifs et des intérêts commerciaux au Liban et ils espèrent utiliser
l’aide économique comme levier pour faire progresser des réformes pro-entreprises.
Ces mesures vont appauvrir encore plus les travailleurs ordinaires libanais et
exacerber les inégalités sociales et les divisions sectaires.
Le Liban a une dette publique de 40 milliards $ et le
rapport dette/ produit intérieur brut le plus élevée au monde, 180 pour cent.
Les investisseurs étrangers ont averti qu’il y aurait une crise à moins que
cette dette ne soit payée. « Même l’investisseur le plus fidèle peut à la
longue perdre confiance en la capacité du gouvernement d’honorer sa dette et une
crise peut alors s’ensuivre avec des effets économiques et sociaux
potentiellement dévastateurs. »
Le Fonds monétaire international (FMI) et
la Banque mondiale ont demandé que le gouvernement libanais réduise sa dette en
augmentant ses impôts et ses taxes, en coupant dans ses dépenses et en
privatisant des industries propriété de l’Etat, y compris le réseau électrique,
les télécommunications et l’eau. Les investisseurs internationaux ont aussi
fait pression pour des conditions d’investissement plus favorables telles moins
de réglementation des affaires, moins de barrières commerciales, une plus
grande « flexibilité » du marché du travail et une plus petite
fonction publique.
Ces diktats ont été énoncés par les
prêteurs au Liban à la conférence de « Paris II » en 2002 appelée
pour empêcher une banqueroute nationale en restructurant la dette. Toutefois,
peu des mesures demandées ont été en fait implantées à cause de l’opposition
populaire et des divisions au sein de l’élite dirigeante.
« La racine des problèmes du Liban se
trouve dans sa structure de gouvernance », se plaint la Banque mondiale.
Les institutions politiques et économiques du pays reposent sur une division
communautariste du pouvoir, les sunnites, les chiites, les chrétiens et d’autres
sectes minoritaires ayant droit de veto sur les principales propositions de
politiques. Depuis l’indépendance, le pouvoir de la bourgeoisie libanaise s’est
appuyé sur ce sectarisme qui imprègne tous les aspects de la vie politique,
sociale et économique du pays.
L’arrangement politique existant,
toutefois, est maintenant largement perçu comme un obstacle à l’implémentation
des demandes du capital financier. « Alors qu’un semblant d’Etat moderne
existe, il n’y a pas d’institutions modernes », a noté Carnegie Endowment,
un organisme basé à Washington. « En résumé, le Liban est une oligarchie
confessionnelle. Le résultat est une paralysie politique et administrative perpétuelle ;
les institutions existantes ne peuvent introduire les réformes nécessaires de
crainte que ces changements modifient le statu quo et l’équilibre entre
les intérêts des communautés. A cause de cela, il est pratiquement impossible
d’établir un programme national de réforme politique et économique. »
Les puissances européennes et arabes
considèrent que la crise résultant de l’invasion israélienne offre l’occasion
de faire tomber les barrières empêchant cette restructuration économique. Alors
que les délégués internationaux à la conférence des donateurs en Suède ont été
prudents de projeter une image d’aidants humanitaires et n’ont pas demandé de
réformes économiques en contrepartie de leurs promesses d’aide, il n’y a aucun
doute que les donateurs s’attendent à quelque chose en échange de leur aide.
« Les fournisseurs d’aide
internationale veulent naturellement savoir que leurs fonds sont utilisés à bon
escient et ils indiquent habituellement comment l’argent doit être
dépensé », a dit à la BBC Kim McCredie, un gestionnaire de haut niveau de
la firme comptable KPMG. « Pour certains, cela représente l’occasion
d’imposer des changements qui ont pour but d’améliorer la performance
économique ou l’infrastructure de prestation sociale du pays. Ce sera aussi
l’occasion pour exercer une influence régionale en vertu de la position
stratégique du Liban au Moyen-Orient. »
(article original anglais paru le 2
septembre 2006)