Deux déclarations coup sur coup des deux
personnalités les plus éminentes du Parti républicain et du Parti démocrate endossant
l’usage de la torture rendent clair que l’assaut sans précédent sur les droits
démocratiques et le recours par le gouvernement à des méthodes criminelles continuera
après les élections de mi-mandat du 7 novembre, peu importe quel parti les
gagnera.
Dans une entrevue avec un animateur de
radio droitier mardi, le vice-président américain Dick Cheney a publiquement
reconnu que l’administration Bush a utilisé la torture lors de l’interrogation
des soi-disant « combattants ennemis» et a dit que la décision de
soumettre ces détenus à la tristement célèbre pratique du supplice de la
noyade (waterboarding) était de façon flagrante justifiée au point d’être une « évidence » .
Dans l’entrevue, Scott Hennen de la station WDAY à Fargo,
une ville du Dakota Nord, a dit à Cheney que les auditeurs lui avaient demandé
de « laisser savoir au vice-président que s’il faut plonger un terroriste
dans l’eau, nous sommes entièrement d’accord, si c’est pour sauver des vies
américaines ». Il a continué en décrivant le débat sur cette forme de
torture comme « stupide » lorsque l’on considère les prétendues
menaces terroristes et demandé à Cheney s’il était d’accord.
Cheney a acquiescé et a décrit cette forme
d’interrogatoire comme « un outil très important que nous avons pour
pouvoir protéger la nation ». L’administration a affirmé à maintes
reprises que ces méthodes illégales de torture ont permis de démasquer des
attentats terroristes planifiés, mais n’a présenté aucune preuve pour appuyer
ses dires et n’a amené personne devant la justice en lien avec ses soi-disant
attentats.
L’animateur a continué en demandant au président,
« Seriez-vous d’accord pour dire que plonger quelqu’un dans l’eau est une évidence,
si cela peut sauver des vies. »
« C’est une évidence pour moi, a
répondu Cheney, mais pour un certain temps, j’ai été critiqué pour être le
vice-président “en faveur de la torture”. Nous ne torturons pas… Mais le fait est
que vous pouvez avoir un programme d’interrogation plutôt robuste sans torturer
et nous devons pouvoir faire cela. »
L’affirmation de Cheney selon laquelle « Nous
ne torturons pas » est un mensonge flagrant. Le supplice de la noyade est
une forme de torture dans laquelle la tête de la victime est maintenue sous l’eau
ou de l’eau est versée sur un morceau de tissu maintenu sur la bouche et le nez
de la victime, ce qui simule la noyade et provoque un réflexe du vomissement et
la panique. Il est répété jusqu’à ce que le sujet accepte de parler.
Cette procédure est reconnue
internationalement comme une méthode cruelle et inhumaine et comme de la
torture. Les Etats-Unis eux-mêmes ont condamné un soldat japonais à quinze ans
de prison pour crime de guerre pour avoir utilisé cette technique contre un
prisonnier de guerre américain. Elle a été interdite par une loi américaine et
explicitement répudiée par l’armée dans son dernier manuel des procédures.
L’entrevue de Cheney a été conduite comme partie
d’un événement qui a regroupé 42 animateurs de radio, la majorité écrasante de ceux-ci
de la droite, pour diffuser des entrevues en direct avec des responsables de l’administration
à partir d’une tente sur la pelouse de la Maison-Blanche. Le message général
consistait en accusations à la McCarthy contre les opposants politiques de l’administration
et en une tentative de créer un climat de peur devant de prétendues menaces
terroristes, tout ceci en préparation pour les élections de mi-mandat.
Ainsi, Cheney a dit à Hennen que la défaite
du sénateur sortant du Connecticut, Joseph Lieberman, dans les primaires
démocrates cet été avait été « un message aux terroristes d’outre-mer que
leur stratégie fondamentale consistant à briser la volonté du peuple américain
a peut-être, dans les faits, réussie ».
Après avoir déclaré que le supplice de la
noyade était une « évidence », Cheney a ajouté « Grâce à la
direction que donne le président et à l’action du Congrès, nous avons l’autorité
et nous pouvons continuer ce programme. »
Cheney faisait référence à la loi sur les
commissions militaires de 2006, la législation radicale qui crée un système de
tribunaux militaires expéditifs et permet au président d’emprisonner toute
personne en tant que « combattant ennemi illégal » d’un trait de
plume. Bush a signé la loi le 17 octobre. Elle représente la plus importante
attaque sur les droits démocratiques et les libertés civiles
constitutionnellement protégés de l’histoire américaine qui, pour la première
fois répudie le droit vieux de plusieurs siècles de l’habeas corpus, empêche
l’emprisonnement arbitraire, affirme qu’une personne détenue doit être amené
dans un temps raisonnable devant une cour de justice et permet à un détenu de
contester son emprisonnement en cour.
La loi octroie aussi au président le droit
de décider quelles techniques d’interrogation sont légales en vertu des
Conventions de Genève et de la loi américaine, autorisant dans les faits l’administration
Bush à continuer ses méthodes de torture.
Il est clair des commentaires de Cheney que
la Maison-Blanche voit cette loi, votée avec une majorité substantielle dans
les deux chambres du Congrès, non seulement comme un permis pour torturer, mais
comme une confirmation que le président en tant que « commandeur en chef »
a le pouvoir de faire ce qu’il veut au nom de la soi-disant « guerre au
terrorisme ».
Mais la création d’un cadre légal pour un Etat
répressif et autoritaire, qui enchâsse la torture dans ses lois, n’est pas que
le projet des républicains de droite qui dirige la Maison-Blanche de Bush.
Tout en feignant l’outrage quant à la loi
sur les commissions militaires et en posant comme les défenseurs des libertés
civiles, les démocrates du Congrès, dont un nombre important a voté en faveur
de la loi dans les deux chambres, ont délibérément laissé la loi être acceptée.
Les dirigeants du parti au Sénat se sont
entendus avec les dirigeants républicains pour ne pas bloquer le vote de la
loi. Les démocrates avaient déjà utilisé cette tactique législative pour des
questions beaucoup moins importantes qu’une loi répudiant le fondement des
droits démocratiques et les principales de base de la Constitution américaine. Le
but des démocrates était de contrer la propagande électorale des républicains
que leur parti est « faible devant le terrorisme ».
Hillary Clinton peut supporter la torture
Parmi ceux qui ont facilité l’adoption de la Loi sur les
commissions militaires se trouvait mon opposante, le sénateur démocrate de New
York Hillary Clinton. Elle a pris la parole au Sénat pour condamner la loi.
Attirant l’attention sur une section de la loi permettant au président de
décréter des mesures à l’exécutif établissant quelles méthodes d’interrogation
seraient acceptables, Clinton a demandé avec rhétorique, « Sommes-nous
tombés si bas pour débattre de la quantité de torture que nous sommes prêts à
supporter ? » Et malgré tout, elle, comme les autres démocrates au Sénat,
sont restés passifs et ont permis à la mesure d’être votée au Sénat, sachant
qu’elle serait acceptée.
À peine deux semaines après avoir fait son discours
anti-torture, Mme Clinton a clairement démontré qu’elle pouvait supporter la
torture après tout.
S’adressant au comité de rédaction du Daily News de
New York le 11 octobre, Clinton a affirmé qu’elle reconnaissait que dans
certaines situations, les interrogations nécessitaient de la
« sévérité ». Selon le journal, la conversation a fait référence au
supplice de la noyade, à l’hypothermie et à d’autres méthodes reconnues
internationalement comme de la torture.
« J’ai affirmé que ça se produisait très rarement,
mais que si ça arrivait, il devait y avoir une sorte d’autorité légale pour
pouvoir s’en charger, » a-t-elle répondu. « Encore une fois, je crois
que le président doit en avoir la responsabilité. Il doit y avoir un frein et
un contrepoids, et des rapports doivent être rédigés. Cela ne me dérange pas
que ces rapports demeurent top secret. »
Interrogée de nouveau sur le caractère acceptable de la
torture, elle a déclaré : « Dans ces situations où nous avons des
raisons suffisantes de croire que quelque chose est imminent, oui, mais nous
devons avoir un frein et un contrepoids. »
En d’autres mots, Clinton est prête à appuyer la loi qui
accorde explicitement au président américain le droit d’ordonner la torture de
tout suspect, en autant que le président affirme qu’il existe une « menace
imminente » à la sécurité nationale – ce que fait la Maison-Blanche de
Bush sur une base quasi routinière. Comme « frein et contrepoids »,
elle propose qu’un rapport « top secret » soit délivré aux membres du
Congrès, caché au peuple américain.
Le mois dernier, le mari du sénateur démocrate, Bill
Clinton, a fait une déclaration semblable, proposant qu’un tribunal soit mis
sur pied pour émettre des permis de torture. « S’ils croient vraiment
à un certain moment que la seule façon d’obtenir des renseignements fiables est
de les soutirer à quelqu’un en le battant ou en le droguant, alors ils peuvent
présenter leur cas devant le Tribunal sur le renseignement étranger, ou un
autre tribunal, sous les mêmes conditions que pour les écoutes
téléphoniques. Rétroactivement... »
En d’autres termes, l’ancien président démocrate propose
d’établir des tribunaux qui fourniraient une permission légale à la torture –
de façon rétroactive. Les interrogateurs se sentiraient en sécurité de savoir
qu’ils peuvent torturer des suspects, y compris des citoyens américains, et
préparer une justification de leurs actes après avoir soutiré une confession.
Le fait que les deux partis défendent ouvertement de telles
méthodes et en font le débat en plein milieu d’une campagne électorale indique,
comme l’a déclaré Mme Clinton au Sénat, quel bas niveau vient d’atteindre le
système américain biparti. C’est aussi une indication du rejet total par
l’élite dirigeante américaine d’un quelconque engagement envers les garanties
les plus élémentaires des droits démocratiques.
Cette campagne électorale a révélé l’absence de différences
substantielles entre le Parti démocrate et la Maison-Blanche de Bush sur ces
questions. Les deux partis de la grande entreprise embrassent pleinement la
« guerre au terrorisme » comme justification pour mener une guerre
d’agression à l’étranger et renier les droits démocratiques et les formes de
gouvernance constitutionnelle à l’intérieur même des États-Unis.
Le récent débat d’Hillary Clinton avec son opposant
républicain de droite John Spencer l’a confirmé. Alors que Spencer tentait
d’attaquer la candidate sortante démocrate sur son opposition au répressif
Patriot Act américain et au programme d’écoute illégale de l’Agence de sécurité
nationale (NSA) de l’administration Bush, Clinton a répliqué que ses désaccords
n’étaient que tactiques ou en lien à la procédure.
Elle fit remarquer qu’elle avait voté pour le premier
Patriot Act, qui avait été voté au Sénat en 2001 avec une seule voix contre, et
pour sa reconduction plus tôt cette année. Elle avait à peine cherché à obtenir
un débat soutenu sur la loi, avec l’objectif premier d’obtenir plus de
financement pour la police et les agences de sécurité de New York.
Quant aux opérations d’espionnage de la NSA, elle a reconnu
qu’« en cas d’urgence véritable », la police et les agences du
renseignement devraient avoir le pouvoir de faire de la surveillance sans
mandat — en obtenant l’approbation d’une cour après le fait —, mais s’est
opposée à ce que l’administration n’en informe pas le Congrès.
Il est très clair qu’une victoire des démocrates en
novembre et même s’ils obtenaient la présidence en 2008 ne résulterait en l’abrogation
du Patriot Act, de la loi sur les commissions militaires et de toute autre
mesure digne d’un Etat policier votée sous Bush. Les deux partis sont
pleinement engagés dans la construction d’un cadre légal pour une dictature
présidentielle.
Ce n’est pas une question d’idéologie de droite. Plutôt, cela
est la manifestation politique inévitable d’une grande inégalité, toujours en
croissance, qui est devenue la caractéristique dominante de la vie sociale
américaine.
Dans un contexte où le fossé entre l’oligarchie financière
au sommet et les larges masses des travailleurs atteint des proportions sans précédent
dans l’histoire, la démocratie devient intenable. Pour autant que l’élite
dirigeante soit concernée, la véritable menace ne vient pas des terroristes
islamiques, mais plutôt des larges masses des travailleurs aux Etats-Unis. Elle
renforce les pouvoirs policiers de l’Etat pour mener la répression politique au
pays et pour contrer la menace de révolte sociale d’en bas.
La défense des droits démocratiques n’est aujourd’hui possible
que par la mobilisation politique indépendante des masses des travailleurs se
basant sur un programme socialiste qui mettra un terme au système de profit,
qui est responsable pour l’intensification de l’inégalité sociale.
Le Parti de l’égalité socialiste intervient dans les
élections du 7 novembre pour jeter les bases politiques d’un tel mouvement
socialiste de masse. Un vote pour nos candidats renforcera cet effort, mais
avant tout, la lutte contre la guerre, la répression et l’inégalité sociale
exige que les travailleurs, les étudiants et les jeunes se joignent au PES et entreprennent
la lutte pour une alternative socialiste.
(Article original anglais paru le 28 octobre 2006)