L’on évalue à 200.000 le nombre de
travailleurs, leurs familles et de jeunes gens à être descendus dans la rue
samedi dans cinq grandes villes d’Allemagne (Berlin, Stuttgart, Frankfurt,
Dortmund et Munich) pour protester contre les coupes imposées par le
gouvernement social-démocrate SPD-Verts et l’actuelle coalition gouvernementale
constituée par les partis conservateurs, Parti chrétien-démocrate (CDU) et
Union chrétienne-sociale (CSU), et le SPD.
Les manifestations avaient été appelées par la
Fédération des syndicats ouvriers allemands (DGB). Nombreux furent ceux qui
participèrent aux manifestations pour exprimer leur colère et leur frustration
à l’égard de la politique pratiquée par l’actuel gouvernement ainsi que son
prédécesseur et qui a conduit à un niveau d’inégalité sociale sans précédent.
Les discours tenus par des bureaucrates syndicaux
influents contrastaient violemment avec le bilan de leur collaboration au
quotidien avec le gouvernement. De nombreux accords récents qui ont entraîné
des fermetures d’usines, des pertes d’emplois, des réductions de salaires et
des attaques contre les conditions de travail portent les signatures de ces
mêmes dirigeants syndicaux qui dénoncent à présent les coupes sociales, le
chômage et la population grandissante de « pauvres qui ont un emploi »
qui a participé aux manifestations de samedi.
Le cynisme des bureaucrates syndicaux avait
été souligné par leur défaillance à organiser la moindre protestation dans les
villes de l’Allemagne de l’Est où le niveau du chômage et de la pauvreté atteint
près du double de celui observé dans l’ancienne Allemagne de l’Ouest. Ignorés
par les bureaucrates syndicaux, de nombreux travailleurs de l’Est sont
néanmoins venus à Berlin pour exprimer leur dégout et leur colère contre la
politique gouvernementale ainsi que contre le rôle pernicieux joué par les représentants
syndicaux eux-mêmes.
Quelque 60.000 personnes s’étaient rassemblées
dans la capitale allemande arborant des pancartes et des banderoles pour
protester contre la politique gouvernementale qui a résulté dans la
détérioration des conditions de vie de millions de citoyens allemands. De
nombreuses pancartes reprenaient des questions spécifiques en dénonçant les
attaques gouvernementales contre un large éventail de questions sociales,
telles l’éducation (classes surchargées et manque de personnel enseignant), la
baisse du nombre de places d’apprentissage pour les jeunes, la réduction de la
retraite (y compris les projets avancés par le SPD pour relever l’âge de départ
à la retraite à 67 ans). Pour attirer l’attention sur l’augmentation de la
pauvreté en Allemagne et la hausse du nombre de travailleurs pauvres, de
nombreux manifestants avaient revêtu des t-shirts portant le slogan
« employé mais pauvre. »
Le contexte de la manifestation avait été le
débat sur la soi-disant sous-classe en Allemagne. Les chiffres publiés dans un
rapport officiel ont révélé un taux de pauvreté élevé dans le pays, allant
jusqu’à 25 pour cent des citoyens vivant dans l’ex Allemagne de l’Est. D’autres
statistiques signalent une insécurité économique croissante et un
désillusionnement grandissant face aux partis politiques officiels.
La seule mesure à avoir contribué le plus à la
détérioration du niveau de vie est la loi antisociale Hartz IV mise en place
par l’ancien gouvernement SPD-Verts. Alors que les dirigeants syndicaux ont, lors
des manifestations, attiré l’attention sur la division sociale croissante en Allemagne
dont les conséquences constituent une menace pour la démocratie, ils ont évité
toute référence au rôle qu’ils ont eux-mêmes joué dans le développement et
l’application de la loi Hartz IV.
Le principal orateur du rassemblement qui
s’est tenu à Dortmund a été Jürgen Peters, le patron du syndicat IG Metall, le
plus important syndicat d’Allemagne et l’un des plus grands syndicats du monde.
Dans le discours qu’il a prononcé dans l’ancien centre minier et sidérurgique
de la Ruhr, Peters a critiqué la politique de l’actuelle grande coalition sans
pour autant mentionner son propre rôle dans la mise en oeuvre de cette
politique. En tant que président de l’IG Metall et membre influent du SPD,
Peters avait chargé des hauts fonctionnaires de son syndicat de participer aux
négociations au sein de la Commission Hartz IV. Sous la direction de son
collègue du SPD et membre d’IG Metall, Peter Hartz, les mesures antisociales
les plus draconiennes de l’Allemagne d’après-guerre furent élaborées pour le
compte du gouvernement SPD-Verts.
Le principal orateur à Berlin, Frank Bsirske,
président du syndicat unifié des services, Ver.di, et membre dirigeant du parti
des Verts, a souligné la position hypocrite de la bureaucratie syndicale.
Bsirske a dénoncé l’accroissement des inégalités sociales dans la société
allemande qui se traduit par des bénéfices vertigineux et une hausse constante
de la rémunération des grands patrons et des banquiers d’un côté et par une
misère sociale de l’autre.
Les inégalités sociales, dit-il, « ne
sont pas un problème démographique, mais une bombe à retardement sociale »,
qui doit être « désamorcée ». Il a attaqué les projets du
gouvernement d’augmenter la taxe à la valeur ajoutée (TVA) qui, dit-il,
mettrait en danger la croissance économique en Allemagne, il a exigé
l’introduction d’un salaire minimum et appelé à une répartition plus juste du
fardeau fiscal. En donnant un vilain coup xénophobe à l’adresse des
travailleurs d’Europe de l’Est, Bsirske a dénoncé les travailleurs polonais
qui, dit-il, mettent en danger les possibilités d’emploi des travailleurs
allemands en étant prêts à travailler pour un euro de l’heure dans la région du
Rhin.
Tout en critiquant l’augmentation de la
pauvreté et les bataillons de « pauvres qui ont un emploi » existant
en Allemagne, Bsirske a omis de mentionner le rôle qu’il a lui-même joué en
contribuant à cet état de fait. C’était Bsirske qui avait collaboré avec Harald
Wolf, le sénateur de Berlin chargé des questions économiques pour imposer une
baisse de salaire de 10 pour cent pour les salariés des transports
berlinois ; et, rien que cette année, son syndicat Ver.di a fait fonction
de briseur de grève dans une série de grèves de médecins et du personnel
hospitalier. De plus, tout au long des sept années du gouvernement SPD-Verts,
le syndicat Ver.di a joué un rôle primordial dans la suppression de toute
opposition à l’encontre de la législation antisociale de ce gouvernement.
Le discours de Bsirske a été interrompu à
maintes reprises par des cris et des appels émanant d’une délégation de
travailleurs qui sont en grève en ce moment même à Berlin et qui se tenaient au
premier rang de la foule tout près de la tribune avec leurs pancartes. Des
travailleurs de l’usine Bosch de Berlin scandaient « Nous voulons la
grève ! » Les deux tiers de l’effectif de l’usine avaient récemment
voté la poursuite de la grève pour défendre leur emploi, et ce, en dépit du
fait que leurs dirigeants syndicaux leur avaient conseillé de reprendre le
travail.
A Stuttgart, le président du DGB, Michael
Sommer, a mis en garde contre les conséquences qu’auraient à long terme l’accroissement
des inégalités sociales pour la démocratie en Allemagne, en déclarant,
« Les victoires électorales des néonazis, la déception politique, le fait
que les gens délaissent les partis de masse, le fait que de moins en moins de
monde participe aux élections devraient être un avertissement et pas seulement
pour nous. »
Lorsque Sommer (qui est membre du SPD depuis
1981) parle d’« avertissement et pas seulement pour nous, » il
conseille aux cercles dirigeants et au monde des affaires qu’ils ne peuvent pas
se permettre d’exclure les syndicats de l’élaboration de la future politique.
Sommer a poursuivi en critiquant les projets du vice-chancelier, Franz
Müntefering (SPD), de retarder l’âge de la retraite et a appelé à mettre fin à une
politique consistant à lancer des ultimatums et qui avait déjà caractérisé les
dernières étapes du gouvernement SPD-Verts de Gerhard Schröder.
Il y a deux ans, les importantes
manifestations contre Hartz IV et contre d’autres coupes sociales avaient joué
un rôle décisif dans la décision du chancelier de l’époque, Schröder, d’annoncer
des élections anticipées dans le but de dégager la voie à un gouvernement mieux
apte à imposer le programme du patronat. Il est significatif de noter que les
vagues de protestations et de manifestations contre Hartz IV de 2003 et de 2004
étaient organisées indépendamment des syndicats.
Cette fois-ci, les dirigeants syndicaux ont envoyé
un signal clair au gouvernement de grande coalition. Lors des manifestations de
samedi, ils se sont exprimés par-dessus les têtes des manifestants pour viser
les cercles économiques et politiques les plus influents de la bourgeoisie
allemande. « Pour votre propre bien-être, embarquez-nous et nous ferons de
notre mieux pour empêcher les perturbations sociales. » Tels étaient les
sous-entendus des discours émanant de la tribune.
Et le message a été bien reçu. Parmi ceux qui
applaudissaient chaleureusement les discours à Berlin, il y avait Harald Wolf, du
Parti de la Gauche.PDS, parti du socialisme démocratique et sénateur de Berlin
chargé des finances ainsi que le président du Parti de la Gauche.PDS, Lothar
Bisky. Au premier rang du rassemblement de Francfort se trouvait l’ancien
président d’IG Metall, Franz Steinkühler, qui avait été l’instigateur dans les
années 1980 du virage à droite des syndicats. Accusé de délit d’initié il avait
été obligé de quitter le syndicat en 1993. Il est aujourd’hui conseil en
immobilier et en entreprise.
Des équipes de sympathisants et de membres du
Parti de l’égalité sociale (PSG) ont participé aux nombreuses manifestations et
distribué des milliers de tracts de la déclaration, « La lutte contre les
coupes antisociales requiert une perspective socialiste internationale »
qui a été chaleureusement accueillie par les manifestants. Des dizaines de
signatures ont été rassemblées en soutien à l’appel lancé par le Parti de l’égalité
socialiste (PES) du Sri Lanka en faveur d’une enquête sur le meurtre du sympathisant du PES, Sivapragasam Mariyadas.