Le premier ministre Tony Blair a pris la tête
de la sinistre campagne d’assauts contre la minorité musulmane britannique.
Cette semaine, Blair s’est servi de sa
conférence de presse mensuelle pour se solidariser avec l’attaque menée par l’ancien
ministre des Affaires étrangères, Jack Straw, contre le voile intégral ou niqab
en disant aux journalistes que c’était « une expression visible de
séparation au sein de la société et la raison pour laquelle les gens ne faisant
pas partie de cette communauté se sentent gênés ».
Blair a également soutenu la décision de la
municipalité de Kirklees de suspendre de son poste une enseignante auxiliaire,
Aishah Amzi, parce qu’elle refuse de retirer son voile en présence de collègues
masculins.
A la question de savoir s’il était possible
pour une femme portant le voile de contribuer pleinement à la société
britannique, Blair a répondu qu’il s’agissait là d’une « question bien
difficile… personne n’essaie de dire que les gens n’ont pas le droit de le
faire. Ce serait aller trop loin. Mais je pense que nous devons nous poser la
question de savoir comment intégrer correctement les gens dans notre
société. »
Le cas d’Amzi et les propos de Straw font
partie d’un débat plus large « qui surgit au petit bonheur la chance »,
a affirmé Blair. Cela se passe, sous des formes différentes, en Allemagne, en
France, en Italie, en Belgique, aux Pays-Bas et au Danemark. C’est un débat sur
le degré d’intégration des musulmans, a-t-il dit, et aussi « sur la
manière dont l’islam s’adapte au monde moderne et comment il s’en s’accommode. »
Il a ajouté que le sujet était déjà débattu « dans chaque village, ville
et cité » du Royaume-Uni, les gens recherchant un équilibre entre
« préservation d’une identité définie et intégration. »
Les déclarations de Blair représentent avant
tout un affront contre les droits démocratiques de Mme Amzi. Elle avait attaqué
la municipalité aux prud’hommes dans une situation où le premier ministre avait
déclaré son soutien à son employeur et où le ministre des Relations
intercommunautaires, Phil Woolas, avait exigé son « renvoi. » L’avocat
de Mme Amzi a dit que les déclarations de Blair s’étaient « spécifiquement
et directement » immiscées dans les débats aux prud’hommes et
représentaient une atteinte au code déontologique ministériel.Celui-ci exige
des ministres qu’ilsrespectent le fonctionnement de la justice. Il a
dit qu’il envisageait d’obtenir une ordonnance judiciaire à l’encontre de Blair
pour l’empêcher de s’exprimer davantage sur cette affaire.
Mais, l’enjeu est ici bien plus important. Ce
que Blair qualifie de « débat », qui préoccuperait en quelque sorte
spontanément les gens en Europe, est en réalité le fait que les élites
dirigeantes en Europe cultivent délibérément des préjugés antimusulmans avec le
soutien des médias, de vastes sections de la droite et des couches qui, pour la
forme, tiennent un langage de gauche. L’objectif étant de transformer les musulmans
en boucs émissaires sur lesquels tout rejeter et de détourner l’attention des
problèmes sociaux croissants et de légitimer les affirmations du gouvernement selon
lesquelles il mènerait la lutte pour la démocratie en Irak et en Afghanistan
ainsi que pour légitimer ses mesures répressives imposées dans le cadre de « la
guerre contre le terrorisme » autoproclamée.
Il n’existe pas de parallèle historique en
Grande-Bretagne à l’actuelle ampleur que prend la xénophobie officielle, à l’intervention
dans la vie culturelle et sociale, à la surveillance et aux mesures de
répression et qui sont présentement dirigées contre les trois pour cent que
représente la population musulmane. Cependant, on peut trouver des parallèles, dans
les années 1950 avec la peur du communisme de la période McCarthy aux
Etats-Unis et, de façon plus sinistre, avec l’antisémitisme cultivé par les
nazis dans l’Allemagne d’avant-guerre.
Au cours de ces dernières semaines les ténors
gouvernementaux se sont bousculés pour associer leur voix à la rengaine des
attaques contre le voile (que seule une infime minorité de femmes musulmanes
porte) comme étant un obstacle majeur à de bonnes « relations intercommunautaires »,
ou pour lancer un avertissement plus général de l’existence d’un danger
d’extrémisme dans la communauté musulmane. Parmi eux on ne trouve pas seulement
Blair et Woolas (qui est le ministre des Relations intercommunautaires), mais
aussi le ministre des Finances, Gordon Brown, la ministre des Affaires
constitutionnelles, Harriet Harman et le ministre de l’Intérieur, John Reid qui
en a appelé aux parents musulmans pour surveiller leurs enfants et exigé que les
«petits durs » musulmans soient maîtrisés. Ils ont été soutenus par Trevor
Phillips, que Blair a nommé à la tête de la Commission pour l’égalité raciale.
Pour ne pas être en reste, le dirigeant des
conservateurs, David Cameron, a profité d’un discours tenu lors du congrès de
son parti pour promettre qu’il empêchera toute formation de « ghettos
musulmans ». David Davis, le ministre de l’Intérieur du Shadow cabinet
(gouvernement fantôme de l’opposition) entrera dans les annales pour avoir
soutenu Straw et averti que les musulmans couraient le danger de tomber dans
« un apartheid volontaire. »
C’est devenu une habitude pour Blair et d’autres
personnalités du gouvernement que de proclamer que l’intégrisme islamique représente
une menace existentielle pour la civilisation occidentale. Mais ces derniers
temps, cependant, ceci a été dépeint explicitement comme une lutte entre le christianisme
et l’islam. Le pape a ouvert la marche en affirmant que le christianisme était le
fondement de la civilisation européenne et en impliquant, lors de son récent
discours, que tandis que le christianisme était disséminé par la raison, l’islam
l’était par la violence.
L’Eglise anglicane a à présent également
déclaré que la Grande-Bretagne devrait être considérée comme un pays chrétien alors
que le chef de l’armée britannique, le général Sir Richard Dannatt, a parlé
d’une menace islamique contre le mode vie « judéo-chrétien » de la
Grande-Bretagne. Ce message a été repris par d’autres, tels Melanie Phillips du
Daily Mail qui a écrit que « le christianisme est en train d’être
effacé du scénario national… C’est la raison pour laquelle la querelle sur la
place du voile et de la croix dans la vie publique est tellement significative.
Il ne s’agit pas de préjugés ou de discrimination. Il s’agit de survie
culturelle. »
La conséquence de ce climat empoisonné a été
une rafale d’attaques lancées par des éléments de droite qui se sentent
ragaillardis par l’approbation officielle de leurs préjugés antimusulmans. Les
organisations musulmanes ont dit qu’il y avait une recrudescence des attaques racistes
physiques et verbales, notamment à l’encontre des femmes auxquelles on arrache
le foulard ou le voile. Des bombes incendiaires ont été lancées contre des
mosquées et des centres islamiques à Falkirk et Preston, qui ont aussi été
attaqués par des bandes jetant des pierres.
Ce qui aurait été bien pire c’est si l’opinion
publique avait manifesté des craintes, mais c’est bien plutôt les élites
dirigeantes qui essayaient de les attiser. En fait, la grande majorité des
travailleurs britanniques est opposée à cette chasse aux sorcières
antimusulmane et à cet alarmisme. Un récent sondage a révélé que tandis qu’une
faible majorité des interrogés est d’accord avec Straw pour dire que le voile est
« une expression visible de séparation, » près de 80 pour cent ont
dit que les femmes musulmanes avaient le droit de le porter. Parmi les jeunes,
seuls 31 pour cent partagent la déclaration de Straw. Et 74 pour cent de
l’ensemble des personnes interrogées sont opposées à toute restriction
juridique du voile.
Néanmoins, l’approbation officielle concédée à
l’islamophobie représente un danger croissant pour les musulmans britanniques. Cela
a incité Jonathan Freedland du Guardian à poser la question de « ce
que cela doit être, que d’être un musulman en Grande-Bretagne. Je suppose qu’il
doit y avoir un sentiment de crainte en allumant la radio ou la télévision et
même de se rendre chez le marchand de journaux. Que vont-ils dire de nous
aujourd’hui ? » Les politiciens tout comme les médias « s’en
sont pris maintes fois à une seule petite minorité, d’abord en les
aiguillonnant puis en les pilonnant comme si elle représentait le seul grand
problème de la vie nationale. »
Freedland conclut, « J’essaie de
m’imaginer comment je me sentirais si ce torrent de gros titres remplaçait le
mot “musulman” par “juif” : Les juifs créent l’apartheid, les juifs dont
on devrait interdire les étranges coutumes et habits. Je ne serais pas juste effrayé.
J’irais chercher mon passeport. »
Du point de vue des droits démocratiques de
tous les citoyens britanniques, les mesures prises directement par le
gouvernement et ciblant les musulmans sont encore pires. Après les menaces et
mises en garde adressées aux parents, aux imams et aux groupes musulmans pour
qu’ils identifient et répriment les extrémistes, le gouvernement a à présent
entrepris de regrouper toutes sortes d’institutions dans un réseau de
surveillance qui aura pour objectif de cibler les musulmans.
Le 16 octobre, le Guardian a divulgué un
document rédigé par le ministère de l’Education et proposant que l’on demande
aux maîtres de conférences et au personnel des universités et autres établissements
d’études supérieures d’espionner les étudiants de « type indien » et
musulmans qu’ils soupçonnent être impliqués dans l’extrémisme islamique. Ils
sont instruits de transmettre au service du renseignement (Special Branch) des
informations sur les étudiants. Le document reconnaît ensuite que les
universités rechigneront à communiquer des informations de crainte que cela
revienne à « collaborer avec les “services secrets” » et qu’il y aura
« des inquiétudes sur le fait que la police cible certaines couches de la
population estudiantine (c’est à dire, les musulmans) ».
Le document appelle au contrôle des tracts et
des orateurs d’associations islamiques et parle d’utilisation suspecte de
l’ordinateur par des étudiants « indiens ». Ruth Kelly, secrétaire
d’Etat aux Communautés, a également tenu une réunion à huis clos avec des
représentants de vingt municipalités de Londres. Elle a dit à des autorités
locales-clé d’identifier « les points chauds » sensibles à
l’extrémisme islamique et elle a demandé aux fonctionnaires de l’administration
locale de voir s’ils faisaient suffisamment d’efforts pour s’attaquer à
l’extrémisme dans les établissements scolaires et universités.
Paul Mackney, secrétaire général du syndicat
des universitaires, a averti que les universités « sont absorbées par une
sorte de maccarthysme islamique qui a de graves implications pour la liberté d’enseignement,
les libertés civiques, et le brouillage des limites entre ce qui est illégal et
ce qui pourrait être indésirable. »
Toutefois, de telles pratiques relevant du maccarthysme
ne se limiteront pas aux seuls musulmans, ce qui est aussi le cas des attaques
contre les droits démocratiques qui sont présentement mis en œuvre. La
politique radicale pratiquée sur les campus universitaires ne se limite pas
vraiment à une poignée d’associations islamiques ou d’étudiants musulmans. Une
fois que la dénonciation de ceux qui sont perçus comme une menace est devenue la
norme, il sera facile d’étendre cette ordonnance judiciaire plus largement aux
universités et partout ailleurs dans la vie publique.
Il est impératif que les travailleurs et tous
ceux qui sont soucieux de préserver les droits démocratiques montent au créneau
pour lutter politiquement contre les attaques qui sont présentement menées
contre les musulmans en Grande-Bretagne et de par l’Europe. C’est une question
de principe que la persécution de minorités religieuses et ethniques par l’Etat
et les médias soit combattue. Et, sans une telle contre-offensive, il ne peut y
avoir de combat vraiment efficace contre le militarisme et la guerre ainsi que la
présente usurpation des libertés civiques fondamentales.
(Article original anglais paru le 20 octobre 2006)