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WSWS : Nouvelles et analyses : Australie

Peter Norman 1942-2006

Un athlète australien qui soutenait la lutte pour les droits civiques aux USA

Par Margaret Rees
25 octobre 2006

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Il y a de cela trente-huit ans, le 16 octobre 1968, la cérémonie de remise des médailles aux jeux olympiques de Mexico était convertie en une manifestation symbolique de la lutte contre l’oppression.

Les sprinters noirs américains, Tommy Smith et John Carlos, respectivement premier et troisième du 200 mètres hommes, avaient levé le poing en signe de défiance tandis que résonnait l’hymne national américain. Leur prise de position pour soutenir les droits civiques contre le racisme eut des répercussions dans le monde entier. La photo de leur geste de protestation est devenue l’une des images les plus reconnues dans le monde, après celle du premier alunissage.

Le médaillé d’argent inattendu, l’Australien Peter Norman âgé de 26 ans, arborait, en signe de soutien à ses deux collègues, un badge de l’“Olympic Project for Human Rights” (Projet olympique pour les droits de l’Homme), mouvement de protestation en faveur des droits civiques crée par l’athlète noir Harry Edwards avant les Jeux.

Norman est mort le 3 octobre d’une crise cardiaque. Dans un hommage émouvant, Smith et Carlos se sont rendus en Australie, pour y faire son éloge à ses funérailles le 9 octobre. Ils ont raconté comment ils lui avaient demandé, passant sous le tunnel les conduisant à la cérémonie de remise des médailles s’il les soutenait dans l’action qu’ils avaient l’intention d’entreprendre. Norman avait répondu qu’il soutenait les droits de l’Homme pour tous et qu’il serait des leurs.

Comme un supporter se penchait par-dessus la barrière pour serrer la main de Smith, les trois athlètes lui demandèrent de leur donner son badge du Projet olympique. Norman l’accrocha sur lui et le porta pour marquer son soutien à la manifestation qui se tint sur le podium. Norman dit à des reporters à Mexico : « Je crois aux droits civiques. Tous les hommes naissent égaux et devraient être traités ainsi. »

Carlos dit aux personnes venues aux funérailles: « N’importe quelle personne jeune et blanche n’aurait pas eu le bon sens, le courage et la fermeté de caractère de rester là. Peter n’a pas bronché. A aucun moment il n’a détourné le regard, à aucun moment il n’a tourné la tête. Il n’a pas même dit « aïe ». Vous avez perdu en lui un soldat remarquable. »

Les funérailles de Norman sont devenues la réaffirmation poignante de ce que ce jour avait signifié. La présence digne de Smith et Carlos a souligné la position de principe adoptée par le trio en 1968. En tête de cortège, devant les personnes qui portaient le cercueil, sur la musique du film « Les chariots de feu » Smith et Carlos ont fait la démonstration du lien durable d’une amitié et d’une solidarité par delà les frontières.

L’effet était palpable sur tous ceux présents à la cérémonie. Comme Jan, l’épouse de Norman l’a dit plus tard : « On avait l’impression qu’il allait se redresser dans son cercueil et dire qu’il était d’accord. »

La période de 1968 à 1975 fut tumultueuse. Pays après pays on assistait à des mouvements massifs de travailleurs, y compris aux Etats-Unis et en Australie. Dans les années 60, des émeutes avaient secoué les villes américaines. Six mois avant les Jeux olympiques de Mexico, l’assassinat de Martin Luther King avait provoqué davantage d’agitation dans toute l’Amérique. En mai-juin 1968, les travailleurs français organisaient une grève générale qui faillit renverser le gouvernement de De Gaulle.

La manifestation sur le podium était liée aux expériences que les trois jeunes athlètes avaient vécues lors de ces soulèvements, et de la radicalisation qui se produisait parmi les jeunes du monde entier. Tous trois étaient issus de la classe ouvrière.

Par contraste à la glorification de l’individualisme et du succès financier qui dominaient, où des athlètes talentueux sont transformés en produits coûteux, ils adoptèrent une position de principe aux Jeux olympiques et en payèrent le prix. Le Comité olympique américain, sous la pression internationale, expulsa des Jeux Smith et Carlos. A partir de là, leur vie et leur carrière dans l’athlétisme international furent brisées.   

Norman aussi subit une punition officielle. Le représentant olympique australien, Ray Weinberg a dit aux funérailles que bien que Norman se qualifiait en tous points de vue pour les Jeux olympiques de Munich de 1972 il avait été délibérément écarté quand l’équipe australienne avait été sélectionnée.

Steve Simmons, représentant d’USA Track and Field (Athlétisme américain) dit lors des funérailles combien il s’était mis en colère lorsqu’il s’était rendu compte qu’on avait ignoré Norman et qu’il n’assistait même pas aux Jeux olympiques de Sydney en 2000. Il s’était arrangé pour que Peter et Jan Norman y assistent et leur avait donné sa chambre d’hôtel et avait dormi sur un lit de fortune dans la chambre de l’entraîneur.

Jan Norman a dit : « Steve Simmons pensait que personne en Australie ne s’en préoccupait [de Peter Norman]. Et c’est là que, pour la première fois, je me suis rendu compte de ce que Peter représentait pour eux. Ils nous traitaient comme des rois.Je dormais presque debout lors des Jeux olympiques tant nous étions conviés à des réceptions. Nous y avons rencontré la petite-fille de Jesse Owen, qui nous a dit qu’elle était honorée de rencontrer Peter Norman. C’est là que j’ai commencé à comprendre comment ils voyaient la chose. » 

Jesse Owens était l’athlète noir américain qui avait gagné quatre médailles d’or, dont le 200 mètres, aux Jeux olympiques de Berlin d’Hitler en 1936, démentant à merveille les théories raciales nazies. Owens avait soutenu la position prise par Smith et Carlos en 1968.

Des lettres envoyées aux journaux ont fait remarquer que le premier ministre australien John Howard ne s’était pas précipité aux funérailles de Peter Norman comme il l’avait fait à celles du « chasseur de crocodiles » millionnaire Steve Irwin. Et pourtant Norman détient toujours le record australien du 200 mètres à 20 secondes 06 et que ce temps aurait gagné une médaille d’or aux Jeux olympiques de Sydney. Quand un film des derniers 50 mètres foudroyants de sa course de Mexico a été visionné lors des funérailles, le public a applaudi spontanément.

Le 9 octobre a été proclamé jour de commémoration de Peter Norman par l’USA Track and Field, ce qui représente un honneur sans précédent. L’athlète olympique Michael Johnson a fait parvenir un message aux funérailles. « J’ai entendu parler de Peter Norman lorsque je suis devenu un grand admirateur et fan de Tommy Smith et John Carlos, pas seulement pour ce que ces hommes ont accompli dans le domaine de l’athlétisme, mais pour le courage et la bravoure dont ils ont fait preuve en prenant position pour ce en quoi ils croyaient sur le podium des Jeux olympiques de Mexico en 1968. »

« J’ai beaucoup lu sur cette histoire et j’ai beaucoup de respect pour Peter Norman, athlète australien bien loin des questions controversées que Smith et Carlos combattaient, et qui avait décidé de participer à leur protestation… Ils auraient tous trois pu célébrer de façon égoïste leurs nombreuses années de dur labeur et le point culminant de ce travail intense qui les avait conduits au succès à Mexico. Au lieu de cela, ils ont décidé d’utiliser ce moment pour attirer l’attention du monde sur une cause plus grande. Peter Norman n’était pas seulement un athlète remarquable, c’était aussi un homme remarquable. »

Les centaines de personnes venues lui rendre un dernier hommage étaient le reflet du large éventail des centres d’intérêt de Norman, parmi lesquels on compte des groupes sportifs et son travail d’acteur dans une troupe de théâtre de restaurant connue sous le nom de Circle Players. Des dizaines d’enseignants sont venus des écoles secondaires des banlieues ouest de Melbourne, des collègues de Norman lorsqu’il travaillait comme professeur d’éducation physique ainsi que de son épouse.

L’une des personnes qui portaient son cercueil, Colin Stevens, professeur de dessin qui connaissait Norman depuis plus de 35 ans dit: « Je ne me suis jamais intéressé au sport, je n’avais jamais vraiment pensé à ce record olympique. Je le considérais tout simplement comme un ami sur lequel je pouvais compter si jamais j’avais des problèmes. »

Norman avait travaillé comme professeur pendant 20 ans à Williamstown Technical School, où il était représentant syndical dans le syndicat des professeurs du technique, et il avait souvent été choisi comme porte-parole de délégations syndicales. Une fois, comme les enseignants étaient en grève au même moment que les ouvriers des docks de Williamstown, tout à côté, Norman avait pris la parole, en tant que représentant des enseignants à une assemblée générale des dockers leur apportant un message de solidarité dans la salle même où ses funérailles se sont déroulées.

L’adhésion des enseignants à un syndicat était alors la norme, et grèves et manifestations étaient liées au désir de faire qu’une éducation de qualité soit un droit pour tous. A partir des années 80, la dégénérescence des syndicats a vu ces syndicats et le gouvernement travailliste d’Etat et fédéral infliger défaite après défaite à la classe ouvrière.

Avec la diminution du militantisme dans les écoles, il y a eu un recul des acquis obtenus. Bien que la photo de sa course aux Jeux olympiques de Mexico trônait dans la grande salle du lycée, les diplômes d’enseignant de Norman furent remis en question et il fut renvoyé de la profession de façon sommaire. Il fut contraint de revenir à son ancien métier, celui de boucher. Il réussit cependant à se défendre et fut rétabli dans ses fonctions à Melton Technical School où il travailla pendant un moment avant d’être embauché par le département à la Jeunesse, aux ports et aux loisirs.

L’année dernière, l’université d’Etat de San Jose commémora l’événement de Mexico par une statue, et Norman assista à la cérémonie d’inauguration. Cela ne lui posa pas de problème de voir que la statue l’avait exclu et cette réaction est liée à son attitude modeste eu égard son propre rôle en 1968. « Je n’étais qu’un galet jeté dans des eaux profondes et dormantes », dit-il à Smith.

Cinq enfants survivent à Norman, Janita, Sandy et Gary de son premier mariage et Belinda et Emma de son second.

Le neveu de Norman, Matt, a fait un film sur la vie de son oncle. Quand le site Internet du film a été relié à Google après la mort de Norman, le site a été visité 850 000 fois en l’espace d’une semaine, et de nombreux visiteurs ont envoyé des messages de condoléances. Cette statistique à elle seule indique que la conscience populaire s’éveille et qu’il y a un intérêt profond pour les principes égalitaires malgré le barrage médiatique continu pour réduire le sport et tout autre aspect de la vie sociale à l’intérêt personnel cupide.

(Article original anglais paru le 23 octobre 2006)

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