Selon l’émission FifthEstatedu réseau de télévision public canadien
CBC et le Globe and Mail, la « cellule
terroriste de Toronto » arrêtée en juin pour avoir prétendument comploté
des actes terroristes importants avec des cibles canadiennes n’était pas
infiltrée que par un seul agent, comme il était connu jusqu’à ce jour, mais par
deux agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Le
deuxième homme musulman sur la liste de paie des forces de sécurité canadiennes
aurait été impliqué dans la tentative des supposés terroristes de construire
des explosifs puissants.
Suivant l’arrestation au début juin
de 18 jeunes hommes de la région de Toronto sur des accusations de terrorisme,
le gouvernement et les médias ont répété jusqu’à
l’écœurement que seule l’intervention rapide des services du
renseignement et des agences de sécurité avait empêché une atrocité terroriste
majeure.
Les affirmations des autorités que
les personnes arrêtées représentaient une menace réelle et imminente reposaient
sur deux éléments, qui se sont tous deux révélés être très fragiles. D’un côté,
ils indiquaient un « camp d’entraînement terroriste » qui a eu lieu dans
l’Ontario rurale en décembre 2005. De l’autre, l’intention des Torontois de
mettre leurs plans terroristes à exécution était prouvée par leur supposée
tentative d’acquérir de grandes quantités de nitrate d’ammonium, un engrais
avec lequel on peut fabriquer des bombes.
Dans les jours immédiatement après
les arrestations, le World Socialist Web Site a
fortement insisté que « que toutes les affirmations du gouvernement et de
la police concernant le présumé complot terroriste, ainsi que les révélations
et spéculations supplémentaires fournies par les médias, soient traitées avec
la plus grande prudence et avec un haut niveau de scepticisme. Aucun des
soi-disant faits présentés par les autorités ne peut être accepté sans examen
critique. »
Cet avertissement a rapidement été
confirmé lorsque, en juillet, l’identité d’une première taupe du SCRS a été
rendue publique. MubinShaikh
a admis à la presse qu’il travaillait avec le SCRS depuis deux ans, se liant d’amitié
avec les membres du groupe de Toronto et finissant par organiser un « camp
d’entraînement terroriste » de deux semaines. Ce camp, qui consistait
largement en jeu de balles de peinture, a été sous haute surveillance secrète
par le SCRS et la Gendarmerie royale du Canada (GRC), alors qu’une unité d’élite
des Forces armées canadiennes était prête à intervenir à quelques minutes en
hélicoptère du site où avait lieu l’entraînement.
Avec la nouvelle de la semaine
passée qu’une deuxième taupe était au cœur de la partie « fabrication d’une
bombe » du complot, la question est soulevée de nouveau de savoir jusqu’à
quel point le supposé complot de Toronto a été, si ce n’est une fabrication
entière de l’appareil sécuritaire et du renseignement canadien, à tout le moins
réalisé avec un encouragement et une « aide » importants de sa part.
Clairement, les agences de sécurité
canadiennes étaient en position de manipuler les soi-disant comploteurs, un
groupe composé presque exclusivement de jeunes hommes. Et elles les ont
manipulés : l’arrestation des 18 a eu lieu peu de temps après la tentative
d’achat de l’engrais dont le vendeur était un agent clandestin de la GRC.
De plus, il est incontestable que l’appareil
sécuritaire national et le gouvernement ont manipulé la population. Etant donné le fait que les soi-disant terroristes étaient
sous surveillance étroite depuis au moins six mois avant leur arrestation et
étant donné la présence de deux taupes au cœur du supposé complot, il serait
absurde d’affirmer que ce n’est que l’intervention rapide du SCRS et de la GRC
qui a empêché une atrocité terroriste. Au contraire, tout tend à montrer que le
« démantèlement du complot » a eu lieu à un moment choisi par les
dirigeants des agences du renseignement et de sécurité et le gouvernement.
Le rôle exact qu'a joué la deuxième taupe, dont l'identité demeure secrète,
dans l'opération policière d'achat d’engrais qui visait à coincer les suspects
est encore flou et le gouvernement conservateur, qui a présenté le
« complot terroriste » de Toronto comme la justification de
l'intensification de l'intervention militaire canadienne dans le sud de
l'Afghanistan, et les agences de sécurité canadiennes n'ont aucune raison de
vouloir clarifier ce rôle.
La CBC et le Globe & Mail ont soigneusement présenté leurs
reportages de telle façon à ne pas suggérer que la deuxième taupe aurait pu
joué un rôle plus important que simplement « faciliter » l'achat
d'ingrédients explosifs.
Selon la CBC, le rôle de la deuxième taupe était de fournir « la preuve
aux autorités que les conspirateurs possédaient du matériel qu'ils croyaient
pouvoir être utilisé pour faire des bombes ». Étant donné que les rapports
ont affirmé que la deuxième taupe avait une formation en ingénierie agricole et
en chimie, et surtout étant donné ce qui a été rapporté sur le rôle de la
première taupe dans l'organisation et la direction du « camp
d'entraînement terroriste », il est raisonnable de se demander si ces
« preuves » ont été accumulées après que la taupe ait expliqué aux
suspects comment utiliser le nitrate d'ammonium pour fabriquer des bombes et/ou
leur ait proposé qu'ils se procurent de l’engrais pour fabriquer des
explosifs.
Plutôt que de soulever ces questions évidentes, le rapport de la CBC insinue
que le rôle de la taupe n'était pas central au complot. Son rôle n'a pu se
limiter qu'à fournir aux présumés conspirateurs de plus grandes quantités de
matériel explosif : « Des sources ont déclaré à la CBC que le
diplôme du jeune informateur en ingénierie agricole aurait pu donner aux
présumés conspirateurs un accès à de beaucoup plus grandes quantités de nitrate
d'ammonium que ce qu'ils auraient pu se procurer chez des détaillants
ordinaires ».
Au même moment, le Globe & Mail offre cette explication
tortueuse : « On croit qu'il [l'informateur] aurait mis en
contact des suspects importants avec un agent de police, possiblement lui-même,
qui aurait affirmé pouvoir acheter des tonnes de nitrate
d'ammonium ».
Depuis les arrestations de juin, les médias de la grande entreprise et de
l'État n'ont pas seulement failli à la tâche d'évaluer de façon critique les
affirmations du gouvernement et des agences de sécurité. Ils ont joué un rôle
important dans la tentative de l'establishment canadien d'utiliser le présumé
complot terroriste de Toronto pour forcer un tournant majeur vers la droite.
Les médias ont amplifié les déclarations sordides de la police à propos des
possibles scénarios terroristes, incluant le spectacle macabre de la
décapitation de députés du parlement. Ils ont écrit des éditoriaux en appui à
de plus grands pouvoirs et financement pour les agences de sécurité et de
renseignement canadiennes et ils ont défendu les assertions du premier ministre
Stephen Harper que le Canada, autant que les États-Unis, était impliqué dans
une « guerre au terrorisme » sans fin qui nécessitait des
interventions militaires à l'étranger.
Comme ça été le cas avec la première taupe, les médias ont diligemment régurgité la ligne de l'appareil de la sécurité nationale
que « les actions de ces agents » étaient motivées par le désir de
« prévenir une calamité civile », de « repayer le Canada», et le
reste, même s'ils rapportent simultanément des faits qui suggèrent une histoire
très différente.
La première taupe prétendait avoir été payée 77 000 $ par le SCRS pour
ses services d'infiltration de la « cellule » de Toronto et d’organisation
du camp d'entraînement et attendre encore le paiement d'un montant supplémentaire
de 300 000 $. Ces chiffres en eux-mêmes remettent en question non
seulement les motivations de la taupe, mais également la fiabilité des
informations qu'il a pu transmettre à ses patrons. Il avait clairement une
forte incitation matérielle à offrir aux services de sécurité ce qu’elles recherchaient.
Le Globe & Mail rapporte
également qu'avant de signer son engagement en tant qu'agent de police, la
seconde taupe avait de sérieux ennuis financiers, suite à plusieurs tentatives
de se lancer en affaires qui ont mal tourné et dans lesquelles il avait
impliqué sa famille. Le journal indique les parents de la taupe ont fait
faillite en 2003, les documents indiquant une dette de 26 000 $ et un
actif de seulement 4000 $. Par contre, après qu’il ait disparu après
les arrestations sensationnelles de juin, des chèques ont commencé à
mystérieusement arriver dans les boîtes aux lettres de ses créanciers.
Apparemment, le paiement de ses dettes ne semblait plus être un problème,
suggérant que la seconde taupe a fort commodément été récompensée et avait un
sérieux incitatif pécuniaire à aider le SCRC et la GRC à obtenir la
« preuve » contre les terroristes allégués de Toronto.
Il est curieux que dans le cas des deux taupes leur embauche par les forces
de sécurités coïncide à peu près avec un tournant vers l'orthodoxie religieuse.
Durant la même période que Shaikh était sur la liste
de paie du SCRS, il était aussi un défenseur ouvert et bruyant de la tentative
avortée de convaincre le gouvernement ontarien d'utiliser la charia comme
système légal pour régler certaines disputes de nature familiale. Selon
le Globe & Mail, la seconde taupe
a également évolué en direction du fondamentalisme à partir de 2002. Le journal
cite un partenaire d'affaires de la taupe qui « pensait presque qu’il
était un wahhabite ».
La CBC et le Globe ont refusé de
donner le nom de la seconde taupe, qui serait selon ce qu'ils laissent
entendre, dans un programme de protection de témoins, citant une disposition
légale qui interdirait de divulguer l'identité des agents opérant pour la
sécurité nationale. Mais l'identité de la taupe est sans aucun doute
connue de la plupart si ce n’est de tous les 18 accusés du présumé complot
terroriste de Toronto.
La détermination du SCRS et de la GRC à garder secrète l'identité de la
taupe suggère qu'ils planifient peut-être de tirer avantage des nouvelles lois
canadiennes sur la sécurité pour empêcher le public d'examiner leurs
actions. En vertu de ses nouvelles dispositions, au nom de
« l'intérêt de la sécurité nationale », le public,
l'accusé et les avocats de la défense peuvent ne pas avoir accès à des parties
de la « preuve » entre les mains de la poursuite dans les causes de
terrorisme.