La campagne politique visant à attiser les sentiments anti-islamiques
en France a atteint un nouveau pic avec le débat féroce autour de l’article
écrit par un professeur de philosophie, Robert Redeker.
La majorité des médias français et bon nombre d’hommes
politiques en vue ont eu tôt fait de décrire la polémique faisant suite aux
attaques au vitriol de Redeker sur l’islam comme une querelle sur la liberté
d’expression, la liberté de la presse, la défense des principes démocratiques
de la République française et des droits de l’Homme. En réalité, l’article de
Redeker était une provocation délibérée visant à mobiliser les forces les plus
droitières en France comme à l’étranger.
Le 19 septembre, quelques jours avant le début du ramadan,
Redeker publiait un article dans le Figaro intitulé « Face aux
intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ? »
Dans cet article, il qualifiait le prophète Mahomet de « chef
de guerre impitoyable, pillard, massacreur de juifs et polygame ». Il
disait du Coran que c’est « un livre d’inouïe violence » et l’islam
une religion d’« exaltation de la violence ». Comparant islam et
christianisme, Redeker a écrit « Jésus est un maître d’amour, Mahomet un
maître de haine. »
Redeker a ensuite déclaré que l’islam essayait « d’imposer
à l’Europe ses règles », en demandant par exemple que les piscines aménagent
des horaires spéciaux pour les femmes et en interdisant les caricatures de
Mahomet.
« L’islam tente d’obliger l’Europe à se plier à sa vision
de l’homme. Comme jadis avec le communisme, l’Occident se retrouve sous
surveillance idéologique », écrit-il.
Suite à la publication de cet article, Redeker a reçu des
menaces de mort sur sa personne et sa famille, sous forme de courriels et de
publications sur des sites Internet islamistes, ce qui l’a contraint à quitter
son domicile et à vivre caché.
De telles menaces de la part d’intégristes islamiques doivent être
clairement condamnées, car elles représentent une atteinte à la liberté
d’expression.
Redeker a le droit de publier ses idées, aussi néfastes
soient-elles. Et ceux qui cherchent à les supprimer par des menaces de violence
le font pour servir une idéologie réactionnaire qui est irréconciliablement
hostile aux droits démocratiques essentiels. L’intégrisme islamique ne
représente pas les intérêts des ouvriers et paysans opprimés, mais bien plutôt
ceux d’une couche de capitalistes et de petits bourgeois qui cherchent à
exploiter les illusions religieuses et à promouvoir le communautarisme afin de
gagner le soutien populaire à leurs efforts pour garder le pouvoir, et ses
privilèges attenants, dans divers pays d’Asie, du Moyen-Orient et d’Afrique.
La grande majorité des musulmans sont contre de telles menaces
à l’encontre de Redeker et Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte
musulman, a dénoncé ces menaces de mort déclarant « nul n'a la faculté de
se faire justice lui-même ». Elles ne font que le jeu de Redeker et de
ceux qui pensent comme lui et désirent attiser un sentiment anti-islam.
La diatribe de Redeker contre la foi islamique fait suite à
des tentatives délibérées par des politiciens de divers pays européens d’attiser
des sentiments anti-islamiques tout en proclamant la supériorité de la culture
chrétienne occidentale. Cette campagne est utilisée pour justifier les
déclarations suivant lesquelles les actions militaires au Moyen-Orient et
ailleurs visant à des changements de régime — et en même temps au contrôle par
l’occident des réserves de pétrole et de gaz — est une lutte pour la démocratie
contre le cléricalisme réactionnaire. Cette diatribe représente aussi une
justification des attaques sur les droits démocratiques, associées à la
« guerre contre le terrorisme » qui cible en particulier les musulmans,
mais qui peut ensuite être utilisée contre la classe ouvrière toute entière.
Redeker contribue au magazine de droite Les Temps modernes (fondé
à l’origine par le philosophe Jean-Paul Sartre) et a dénoncé précédemment l’opposition
française à la guerre en Irak.
Son article dans le Figaro, principal journal
conservateur français, était présenté comme une défense de la récente
conférence donnée en Allemagne par le pape Benoît XVI et qui cherchait aussi à
décrire l’islam comme violent et irrationnel contrairement au christianisme.
Le discours de Ratzinger à Regensburg en Allemagne fait partie
de toute une série d’actions délibérément provocatrices, discours et articles
dirigés contre les musulmans, qui avait débuté par les caricatures publiées
dans le journal danois Jyllands-Posten l’année dernière et qui représentaient
Mahomet comme un terroriste. Plus récemment, l’ancien ministre de l’Intérieur
britannique Jack Straw a lancé une nouvelle provocation dans sa circonscription
de Blackburn (ayant une grande communauté musulmane) en déclarant que le voile
islamique « rendait plus difficiles les relations entre les deux
communautés ». En Allemagne, des hommes politiques de droite ont cherché à
créer un climat d’hystérie autour de la récente annulation d’un opéra de Mozart
à Berlin, le mois dernier, basée sur des déclarations selon lesquelles le
spectacle offenserait les Turcs et provoquerait des violences de la part de
groupes islamiques.
Un certain nombre de politiciens et intellectuels français en
vue ont pris la défense de Redeker. Certains l’auront fait sur la base de leur
engagement à préserver la liberté d’expression mais d’autres voient la
situation critique de Redeker comme une cause célèbre utile par laquelle
attiser le sentiment anti-musulman et raciste.
Philippe de Villiers, dirigeant français de l’extrême-droite à
la tête du Mouvement pour la France (MPF) anti-européen et anti-immigrés, a
demandé que le président français donne immédiatement asile à Redeker dans le
palais présidentiel de l’Elysée. Bon nombre d’insultes exprimées par Redeker dans
son article avaient été dites par celui qui déjà en 2004 appelait à ce que l’on
cesse la construction de mosquées à Paris et déclarait, « Je suis le seul
homme politique à dire aux Français la vérité sur l’islamisation de la
France. »
De Villiers avait repris ce thème au début de l’année dans ses
préparatifs à la course à la présidentielle de 2007, réitérant sa demande que
l’on mette fin à la construction de mosquées. A la radio Europe 1 il avait
décrié ce qu’il appelle « l’islamisation progressive de la société française »
et déclaré « ce n’est pas à la France de s’adapter à l’islam mais à
l’islam de s’adapter à la France ». Les 5 millions de musulmans de France
constituent la plus importante minorité islamique d’Europe.
En des termes quasiment identiques à ceux utilisés par
Redeker, de Villiers avait poursuivi, « nous devons imposer notre
conception de la liberté, et non celle des autres » et rejeté des
concessions telles que servir de la viande halal dans les cantines pour les
musulmans, ou aménager des horaires spéciaux pour les femmes dans les piscines
publiques ou réécrire les livres d’histoire.
Le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy n’a pas non plus
tardé à voler au secours de Redeker. Il a déclaré que les critiques et les
menaces proférées contre Redeker étaient « absolument scandaleuses »
et que « ceux qui menaçaient ce professeur de philosophie le font au
mépris des règles de la démocratie et de la République…Ils seront
poursuivis. »
Sarkozy a été l’un des premiers politiciens français à
provoquer une discussion publique ouverte sur l’islamisme et le rôle du voile
islamique. En avril 2003, il avait été fortement sifflé lors d’un meeting au
Bourget, près de Paris, lorsqu’il avait exigé que les femmes musulmanes
retirent leur voile islamique sur leurs photos d’identité. L’initiative de
Sarkozy avait ensuite été poussée plus loin dans une offensive politique,
émanant des partis de droite, soutenue par le Parti socialiste et diverses
organisations de gauche et qui a eu pour conséquence la loi discriminatoire votée
par l’Assemblée nationale en mars 2004 et qui interdit le voile islamique dans
les établissements scolaires de France.
Le site Internet du Parti socialiste condamne les menaces
faites à Redeker comme une atteinte à la liberté d’expression mais ne mentionne
nulle part le contenu de son article et ne cherche en aucune manière à prendre
ses distances avec ses idées. Le principal syndicat enseignant, la FSU
(Fédération syndicale unitaire) a adopté la même position.
La campagne de défense de Redeker est conduite par les copenseurs
de Redeker aux Temps modernes qui ont publié une lettre ouverte dans Le
Monde déclarant leur soutien.
Tandis que certains signataires de la lettre ouverte ont apporté
leur soutien sur la base de la défense de la liberté d’expression et ont peut-être
des différends avec Redeker, ses principaux défenseurs — « Les nouveaux
philosophes » André Glucksmann, Bernard-Henry Lévy et Alain Finkielkraut —
poursuivent, eux, le même programme de droite que leur collègue.
Glucksmann et Bernard-Henry Lévy sont devenus des partisans
ouverts de la guerre impérialiste et les figures de proue d’une campagne de
mise en garde contre les dangers d’un prétendu « islamo-fascisme » ou
« fascislamisme » selon Lévy. Glucksmann a récemment écrit un article
dans le Figaro condamnant « le djihad universel », le « désir
de pouvoir » iranien et la stratégie de « subversion verte»
de l’islam radical. En mars 2006 Lévy avait cosigné un manifeste, « Ensemble
contre le nouveau totalitarisme », par solidarité avec le Jyllands-Posten.
Finkielkraut avait provoqué une controverse quand il avait nié
avec véhémence l’argument que les émeutes des jeunes Français et immigrés des
cités et villes de France à l’automne dernier avaient pour cause des
facteurs sociaux. « En France, on voudrait bien réduire les émeutes à leur
niveau social. Voir en elles une révolte de jeunes de banlieues contre leur
situation, la discrimination dont ils souffrent et contre le chômage. Le
problème est que la plupart de ces jeunes sont noirs ou arabes et s’identifient
à l’islam… il s’agit d’une révolte à caractère ethnico-religieux. »
Alors que beaucoup pensaient que la réponse au racisme était
une société multiraciale, avait-il ajouté, une société multiraciale pouvait
aussi devenir une société « multiraciste ».
Il n’existe pas d’élite dirigeante ayant un plus grand intérêt
à attiser le sentiment anti-musulman que l’élite dirigeante française. La
riposte politique en France au discours de Redeker doit être vue en relation
aux récents efforts du gouvernement de Paris d’accroître son influence
politique au Moyen-Orient suite à la perte de l’influence américaine dans la
région due à la désastreuse guerre en Irak. Après une certaine hésitation au
début, la France a accepté de jouer un rôle prédominant dans la force
d’intervention des Nations unies au Liban sur laquelle il y a eu récemment un
accord.
De façon tout aussi importante l’affaire Redeker est utilisée
pour poursuivre un programme très bien défini à l’intérieur du pays.
Cela fait exactement un an que les émeutes et protestations dans
les cités françaises secouaient la République et aucune des questions sociales persistantes
qui avaient provoqué ces émeutes n’ont été traitées. La réponse de Sarkozy et
du ministère de l’Intérieur a consisté à intensifier les interventions
policières autoritaires dans les cités ouvrières.
La police française monte quotidiennement des opérations dans
les cités à forte population immigrée, utilisant les tactiques les plus
brutales pour « récupérer » ce qu’ils appellent les zones de
« non-droit ». Pour ce faire, on utilise les brigades
anti-criminalité (BAC) lourdement armées.
On peut avoir la mesure de l’ampleur de l’action de la police
en regardant les statistiques : tandis que le nombre d’incidents enregistrés
par la police a doublé entre 1974 et 2004, le nombre d’arrestations pour délits
liés à la drogue est 39 fois plus important et les condamnations pour immigration
irrégulière ont augmenté de huit fois et demi. Le rapport entre le nombre d’arrestations
et le nombre de dépôts de plainte est passé de 43,3 pour cent à 31,8 pour cent
durant la même période.
Cette offensive se poursuit avec la même virulence depuis la
mort de deux adolescents qui essayaient d’échapper à la police en octobre
dernier, provoquant des batailles rangées entre police et jeunes des quartiers.
Le dirigeant du syndicat sécuritaire Action Police, Michel Thoomis a récemment
écrit à Sarkozy déclarant, « Il n'est plus question de violences urbaines.
C'est une intifada, avec des pierres et des cocktails Molotov. »
La tentative actuelle d’hommes politiques et d’idéologues
en vue de créer un climat d’hystérie autour des « dangers de
l’islamo-fascisme » en France – mis en avant par le récent article de Redeker
– fournit la couverture idéale à une telle intensification de l’action de la
police contre la classe ouvrière immigrée et française dans son ensemble.