Le général britannique commandant les
forces de l’OTAN en Afghanistan, le lieutenant-général David Richards, a eu des
pourparlers avec le président militaire du Pakistan, Pervez Musharraf, le 9
octobre. Selon un porte-parole des deux dirigeants militaires, la rencontre
était de la « routine », mais les informations publiées avant cette
rencontre réfutent ces déclarations.
Richards s’est rendu à Islamabad
principalement pour convaincre Musharraf de serrer la bride ses services du
renseignement militaire, le ISI, dont les dirigeants de l’OTAN croient qu’il
entraîne les combattants talibans à attaquer les troupes de l’Alliance en
Afghanistan. On s’attendait aussi que Richards demande que des dirigeants
talibans clés vivant au Pakistan soient arrêtés.
Selon le Sunday Times du 8 octobre,
la preuve amassée par les services du renseignement des Etats-Unis, de l’OTAN
et de l’Afghanistan est supposée comprendre des photos et des vidéos satellite
de camps talibans basés au Pakistan servant à l’entraînement de soldats et de
personnes se préparant à des attentats suicides. Cette preuve comporte un
discours où il est dit que le Mullah Omar, le dirigeant taliban, est toujours
vivant.
Le Times rapporte que des
combattants et des personnes ayant raté leur bombardement suicide talibans sous
arrêt ont confirmé qu’ils avaient été entraînés par les services du
renseignement pakistanais.
Avant de quitter Islamabad, Richards a dit
aux journalistes que Musharraf avait publiquement reconnu qu’il y avait « un
problème taliban du côté pakistanais de la frontière. Il ne fait aucun doute
que quelque chose doit être fait. »
Il a ajouté d’un ton sarcastique « Nous
devons accepter que le gouvernement pakistanais n’est pas omnipotent et que ce
n’est pas facile, mais cela doit être fait et nous travaillons très fort à cet
effet. Je suis confiant que les intentions du gouvernement pakistanais sont
claires et qu’il va livrer la marchandise. »
D’autres membres anonymes de l’armée ont
été moins diplomatiques sur l’implication du Pakistan en Afghanistan. Un
officier britannique a dit au Times : « Je me sens très acide
de voir nos gars mourir à cause du Pakistan. »
Un commandant senior américain a ajouté « Nous
ne pouvons plus l’ignorer. Musharraf doit prouver de quel côté il se trouve. »
Musharraf est un dirigeant attaqué de
toutes parts. Hamid Karzaï, le dirigeant de l’Afghanistan désigné par les Etats-Unis,
s’est plaint à maintes reprises du rôle du Pakistan qui offre une enclave de
protection aux combattants talibans, disant qu’ils ont ouvertement ouvert des
camps à Karachi et à Quetta, près de la frontière afghane. « Il y a une
campagne ouverte par le Pakistan contre l’Afghanistan et la présence des troupes
de coalition dans ce pays » a-t-il dit récemment.
Dans le passé, le Pakistan a déclaré qu’il
voulait que l’Afghanistan reconnaisse la ligne de Durand, la frontière de 2640 km
entre les deux pays. Les dirigeants afghans disent que la frontière dessinée
par les Britanniques à l’époque coloniale octroi au Pakistan du territoire
pachtou afghan. Aucun gouvernement afghan, y compris le régime des talibans
dominé par l’ethnie pachtou qui était reconnu par le Pakistan, n’a jamais
accepté cette frontière.
A Washington, il y a deux semaines, avec le
président Bush servant d’intermédiaire, Musharraf a eu une rencontre tendue
avec Karzaï. Les révélations faites auparavant par Musharraf — dans son
autobiographie qui vient d’être publiée — que l’adjoint au secrétaire d’Etat
américain Richard Armitage avait averti le directeur du service du
renseignement pakistanais que le Pakistan devait « être prêt à être bombardé,
[être] prêt à retourner à l’âge de pierre », si ses dirigeants n’adoptaient
pas la ligne américaine de la « guerre au terrorisme » ont teinté les
pourparlers.
Aussi durant la visite, Karzaï a donné au
Pakistan les noms et les adresses de supposés organisateurs d’attentats suicide
utilisant un camp près de Peshawar au Pakistan et qui a été infiltré par un
agent afghan. La semaine dernière, un sac à ordure contenant son corps a été
découvert dans le camp avec une note avertissant les autres hommes des tribus
de ne pas espionner pour les Américains.
Durant le voyage de Musharraf en Grande-Bretagne,
une rencontre avec le premier ministre Tony Blair le 28 septembre est passé au
second plan alors qu’un document du ministère de la Défense a été coulé dans la
presse suggérant que le ISI pakistanais soutenait les talibans. La BBC a cité
le document : « Le Pakistan n’est pas actuellement stable, mais plutôt
sur le bord du chaos. »
Musharraf a nié les allégations avec
colère. « Je rejette ces allégations entièrement, à 200 pour cent, a-t-il
dit. L’ISI est une force disciplinée qui casse le dos d’al-Qaïda. »
« Ces calomnies contre l’ISI sont
faites par des individus qui ont leurs propres intérêts et par ceux qui ne
comprennent pas la réalité sur le terrain » a dit le dirigeant pakistanais
à la BBC.
Musharraf a depuis concédé que « quelques
généraux de l’ISI à la retraite » sont peut-être impliqués avec les
talibans. Il a aussi dit que la Grande-Bretagne devrait prendre plus de
responsabilité pour les poseurs de bombes du 7 juillet à Londres, certains d’entre
eux ayant voyagé au Pakistan avant de réaliser leurs attentats.
« Il n’y a aucun doute que les poseurs
de bombes de Londres… sont venus au Pakistan d’une façon ou d’une autre, a-t-il
dit. Mais cela n’absout pas le Royaume-Uni de ses responsabilités. Les jeunes…
sont venus au Pakistan pour un mois ou deux, et vous mettez tout le blâme sur
ces deux mois… sans parler des 27 années ou peu importe où ils ont souffert
dans votre pays. »
On pense que le document du ministère de la
Défense a été écrit par un responsable des services du renseignement à l’Académie
de la défense qui a interviewé des universitaires et des responsables de l’armée
pakistanaises pour préparer une note sur le pays et ses « efforts
anti-terroristes globaux ».
Il déclare que le ISI, tout en étant
supposé combattre le terrorisme, soutenait secrètement une coalition de partis
religieux connue comme le MNA et ainsi, soutenait en fait les talibans et al-Qaïda.
« Indirectement, le Pakistan, au moyen
de ISI, a soutenu le terrorisme et l’extrémisme, que ce soit pour les
événements du 7 juillet à Londres ou en Afghanistan et en Irak » peut-on
lire dans le document.
Le rapport recommandait d’utiliser des
voies de communication militaires entre la Grande-Bretagne et les armées
pakistanaises pour persuader Musharraf — qui a pris le pouvoir après un coup en
1999 — d’accepter des élections libres et de faire pression sur l’armée pour qu’elle
démantèle l’ISI.
Le document affirme que « le Pakistan est au bord du
chaos », soutenant que Musharraf ne représente pas la stabilité et que
s’orienter vers un pouvoir civil « pourrait en fait être la seule façon de
maintenir et d’améliorer la stabilité, évitant l’effondrement et
l’anarchie ».
En certains endroits, le document s’oppose à des éléments
de la politique étrangère de Downing Street, insinuant que « la
Grande-Bretagne aurait suivi les politiques américaines dans la guerre mondiale
au terrorisme à l’encontre, selon certains, de ses propres intérêts ».
L’officier du ministère de la Défense affirme que le
Pentagone n’a pas de grand plan stratégique, et que « les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne ne peuvent commencer à renverser la situation qu’après avoir
identifié les véritables ennemis... et tenté d’établir une meilleure et plus
juste vision ».
Le document poursuit en déclarant que les forces
britanniques en Irak « sont dans les faits prises en otages... Nous combattons
(et sommes sans doute ou potentiellement en train de perdre) sur deux
fronts ».
Downing Street a rassuré Musharraf que le document divulgué
« ne reflétait pas les opinions du gouvernement », étant malgré tout
peu encourageant pour le chef pakistanais et Blair lui-même. Cette fuite ne
peut que provenir des plus hauts échelons de l’armée et a pour objectif de non
seulement mettre le maximum de pression sur le chef pakistanais, mais aussi de
forcer un changement dans la politique britannique, en Afghanistan et en Irak.
De retour chez lui après son voyage à Washington et à
Londres, Musharraf a été accueilli par un rapport de la police indienne qui
impliquait les services de renseignement pakistanais dans les attentats de
Bombay de juillet qui ont tué 186 personnes. Le rapport a soutenu posséder des
preuves de l’implication d’un groupe militant islamiste basé au Pakistan :
Lashkar-e-Taiba. « Toute l’attaque a été planifiée par les services du
renseignement pakistanais et menée par Lashkar-e-Taiba et ses exécutants en
Inde », a déclaré A.N. Roy, le chef de police de Bombay.
Le Pakistan a répliqué que l’Inde ne devrait pas pointer du
doigt sans preuve. « C’est sans fondement et irresponsable », a
déclaré la porte-parole du ministère des Affaires étrangères pakistanais.
La situation militaire et politique qui empire en
Afghanistan menace maintenant d’empoisonner les relations avec le régime de
Musharraf, qui est perçu par Londres et Washington comme un allié peu fiable.
Le général Richards, après que le commandement américain eut cédé le contrôle
des zones à l’est du pays plus tôt ce mois-ci, est maintenant à la tête de 33
000 soldats de l’OTAN en Afghanistan.
Il a avertit que le pays était sur le point de basculer et
que les Afghans allaient probablement s’allier aux militants talibans
renaissants s’il n’y avait pas d’améliorations visibles dans les vies des gens
ordinaires d’ici six mois. « Ils vont dire, “Nous ne voulons pas les
talibans, mais nous préférons avoir cette vie d’austérité et désagréable que
cela implique que cinq autres années de combats” », a-t-il affirmé.
Selon un rapport de l’OTAN et des services du renseignement
de l’armée afghane à la suite de l’opération Méduse du mois dernier, les
talibans avaient accumulé 1 million de cartouches dans le district de Panjwai,
dans la province de Kandahar, avant les affrontements.
Les combattants avaient envoyé quelque 2000 grenades autopropulsées et 1000
mortiers durant la bataille, affirme le reporter. Le coût du stock de munitions
seulement était estimé à 5 millions $. Les responsables de l'OTAN
affirment qu'un tel montant d'argent et de préparation serait impossible sans
une aide extérieure.
L'importance de l’« arrière-garde » pakistanaise a aussi été
soulignée durant l'opération Méduse de l'OTAN, lorsque les services du
renseignement de l'OTAN ont détecté des mouvements de troupes talibans et
l'évacuation de combattants blessés vers la ceinture tribale à la frontière
nord du Pakistan.
Il y également un malaise croissant parmi les commandants de l'OTAN et les
politiciens afghans suite à l'entente conclue le 5 septembre entre Musharraf et
des éléments pro-talibans dans la région tribale de Waziristan. La trêve a été
justifiée par Musharraf pour mettre un terme aux incursions transfrontalières
vers l'Afghanistan, mais apparemment l'entente a eu l'effet contraire à celui
recherché en créant une zone sécuritaire pour les talibans leur permettant de
se regrouper et de lancer de nouvelles offensives contre les troupes
occidentales et afghanes.
Un porte-parole militaire américain, le colonel John Paradis, a dit que des
soldats avaient rapporté une augmentation que le nombre d'attaques le long de
la frontière avait été multiplié « par deux et même par trois » depuis
la signature de l'entente 'spécialement dans la régions du sud est à travers le
Nord Waziristan. »
Des affirmations selon lesquelles les chefs tribaux avaient signé l'entente
seulement après avoir reçu l'approbation du dirigeant des talibans, Mullah
Omar, a exacerbé la controverse.
Musharraf, a en fait, fait tout ce qu'il pouvait pour d'assurer les bonnes
grâces des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Il a publiquement soutenu les
efforts « antiterroristes » menés par les Etats-Unis depuis les
attaques du 11 septembre, malgré une forte opposition au Pakistan qui a tenté à
deux reprises de l'assassiner. L'armée pakistanaise a été forcée, sous la
pression des Etats-Unis, d'entrer dans les zones frontalières tribales avec
l'Afghanistan qui n'avaient jamais auparavant été sous le contrôle effectif du
gouvernement central.
La répression du régime contre son propre peuple au nom de la « guerre
à la terreur » a soulevé plus de plaintes qu'à l'habitude des groupes de
droits humains. Selon un rapport d'Amnistie International publié le 29
septembre, les autorités pakistanaise ont récemment enlevé des centaines de
personnes, les ont accusées de lien terroriste et les ont gardés dans des
endroits secrets ou les ont livrés aux agents américains.
Mais dans le contexte d'une crise militaire qui empire en Afghanistan pour
l'OTAN, ceci n'est plus suffisant. Le document du ministère de la Défense spécule
ouvertement sur un possible coup d'Etat pour remplacer Musharraf. Il mentionne
que l'année 2007 sera l'année « de craquement » durant laquelle les
pressions internationales contre Musharraf pourraient converger avec les
tentatives des militaires pakistanais pour garder le contrôle du pays via le
ISI et des mandataires politiques.
Les révélations de Musharraf concernant les menaces américaines qu’il fait dans
ses mémoires reflètent le sentiment qu'il pourrait bien être remercié pour sa
loyauté et pour s'être mis à dos son propre peuple par un coup de poignard dans
le dos par Washington. Le rapport du ministère de la Défense et les menaces de Richards
à son endroit confirment que de tels plans pour un changement de régime sont
activement considérés, même au prix d'une déstabilisation de l'un des plus
importants alliés régionaux de l'Ouest.
(Article original anglais paru le 16
octobre 2006)