Le gouvernement mexicain a menacé les enseignants en grève de
la ville d’Oaxaca de répression policière et militaire cette semaine s’ils
n’acceptaient pas l’accord négocié entre le gouvernement de Vicente Fox, le
syndicat des enseignants et l’APPO, Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca.
Le 12 octobre, les enseignants en grève avaient décidé par un vote de rejeter cet
accord.
Dans les faits, la répression a déjà commencé. Ce qui avait pendant
des mois pris la forme d’un conflit d’intensité moyenne entre grévistes et
groupes de défense du gouvernement s’est considérablement intensifié. Samedi
dernier, un escadron composé de soldats en civil a tué un gréviste et blessé
plusieurs autres.
Un peu plus tôt la même semaine, un groupe d’APPO qui essayait
de convaincre les policiers de quitter leur commissariat a essuyé des coups de
feu qui auraient été tirés par la police elle-même. La semaine dernière aussi
une milice a occupé avec violence une station radio de la communauté régionale
gérée par les Indiens Nahuatl et Mazateca. Lorsque des femmes Mazateca ont
essayé de manifester dans Oaxaca en signe de protestation, une « chaîne
humaine » organisée par le Parti révolutionnaire institutionnel, qui
contrôle le gouvernement de l’Etat, a bloqué la seule voie de sortie de la
ville de Mazatlan-Villa Flores.
Dans son numéro du 15 octobre, le magazine politique mexicain,
Proceso, a décrit le contenu d’un document en sa possession – Plan
Hierro (Plan d’acier). Ce plan détaille les tactiques que les forces de
sécurité sont censées suivre pour prendre le contrôle d’Oaxaca, ville de
250 000 habitants.
Processo s’est entretenu avec un
prêtre qui a demandé que l’on ne révèle pas son identité. Il a dit :
« Maintenant, nous vivons dans la peur ; jamais nous n’imaginions que
nous assisterions à des scènes comme celles que l’on a pu voir en Amérique
Centrale dans les années 60, 70 et 80. La police en civil qui a recours à des
actes de répression illogiques et incontrôlés tels des détentions arbitraires
et des coups de feu lors de manifestations. » Le président Fox n’a jusqu’à
présent pas mis en œuvre ce plan. Trois mille policiers de la police fédérale
et plusieurs contingents de l’armée de terre et de la marine ont été mobilisés
et pourraient rapidement entrer dans la ville. Les enseignants en grève font
savoir que le gouvernement de l’Etat a embauché un groupe de mercenaires – le
Groupe Zeta – pour commettre des assassinats et autres actes de terrorisme
d’Etat.
La lutte des enseignants a commencé le 22 mai, quand
5 000 adhérents du syndicat des travailleurs de l’Education nationale
(SNTE) de la branche d’Oaxaca se sont mis en grève sur la question des
salaires, des conditions de travail et du budget de l’Education.
Le 14 juin, la police de l’Etat d’Oaxaca avait attaqué le campement
des enseignants sur la place centrale d’Oaxaca. Avant de les faire battre en
retraite les forces de sécurité avaient tué deux grévistes, en avaient blessé
quelques vingtaines d’autres et brûlé leur campement. Des enseignants
absolument indignés avaient exigé la démission d’Ulises Ruiz, gouverneur
d’Etat.
La lutte des enseignants a obtenu le soutien de la classe
ouvrière, des paysans et des chômeurs de tout l’Etat. Cette lutte a été
l’étincelle qui a poussé la région au bord de l’insurrection. Derrière la
demande de démission de Ruiz, on trouve une frustration sociale profonde quant
à l’effondrement du niveau de vie qui s’ajoute à l’indifférence du gouvernement
face aux dégâts causés par le passage de l’ouragan destructeur Stan. La colère
populaire a été encore plus attisée par les révélations de corruption répandue,
telle les fonds gouvernementaux détournés au profit de candidats du PRI lors
des élections nationales du 2 juillet.
Suite à la répression du 14 juin, une coalition de communautés
ethniques, d’organisations paysannes et le SNTE ont formé l’APPO, Assemblée populaire
des peuples d’Oaxaca. L’APPO a ensuite investi les stations de radio,
télévision et autres médias et les bâtiments publics d’Oaxaca. Ces deux
derniers mois, le gouvernement d’Etat d’Oaxaca a effectivement cessé de
fonctionner. Le gouverneur assiégé ne peut plus se déplacer que par hélicoptère
ou escorter de gardes armés.
La grève des enseignants d’Oaxaca est la culmination de 26
années de revendications par les éducateurs pour des améliorations dans les
établissements scolaires, dont des salaires et des conditions de travail décents,
un programme de petit déjeuner pour les élèves et un budget suffisant pour
réparer les bâtiments des établissements publics qui tombent en ruines et pour
équiper tous les établissements scolaires de manuels et de fournitures
modernes.
Les enseignants d’Oaxaca travaillent souvent dans des communautés
indiennes rurales isolées et appauvries (l’Etat compte plus de 17 groupes
ethniques distincts) à des centaines de kilomètres de la capitale.Nombreux sont
les enseignants qui achètent des livres et des crayons pour leurs élèves à leurs
frais. Malgré le coût élevé de la vie dans la région, les salaires des
enseignants d’Oaxaca sont nettement en dessous de la moyenne nationale.
Le débrayage du 22 mai a été provoqué par le détournement éhonté,
de la part de l’administration du gouverneur Ruiz, de l’argent alloué à
l’éducation, pour la campagne du candidat du PRI à la présidentielle, Roberto
Madrazo. Des millions de dollars ont disparu, dont 60 millions de dollars
prévus pour le petit déjeuner des enfants et une somme indéterminée de dons
privés d’aide collectés après la catastrophe de l’ouragan Stan.
Avec Zacatecas et Chiapas, Oaxaca est un des Etats les plus
pauvres du Mexique. A Oaxaca, le revenu par habitant de moins de 3 dollars par
jour représente la moitié de la moyenne nationale, et moins d’un quart de la
moyenne de Mexico City. La pauvreté de la région a été aggravée suite au passage
de l’ouragan Stan et de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) avec
les Etats-Unis et le Canada.
Un an après que l’ouragan Stan ait dévasté la région en
octobre dernier, de nombreux habitants d’Oaxaca souffrent toujours des effets
de la destruction des ponts, des routes et du système d’acheminement de l’eau
et des canalisations. Des dizaines et des dizaines de communautés paysannes
n’ont toujours rien reçu des fonds de reconstruction promis par le
gouvernement.
L’importation de maïs et de haricots américains à bas prix —
conséquence de l’ALENA — a eu un effet dévastateur sur une grande partie de
l’agriculture de l’Etat. De nombreuses fermes ont été abandonnées, leurs
propriétaires ayant été forcés d’émigrer à Mexico City ou aux Etats Unis. Des
milliers dépendent de l’argent que leur envoient des membres de leur famille
installés aux Etats-Unis.
Des mesures prises par l’Etat en rapport avec ALENA ont
conduit au pillage complet des ressources en eau des communautés paysannes. De
l’eau qui avant était disponible pour l’irrigation est à présent commercialisée
et dirigée vers la succursale d’embouteillage de Coca-Cola à Oaxaca et vers les
chaînes hôtelières dans le corridor touristique de Bahias de Hauatulco.
Exaspérés par l’indifférence de l’Etat et des autorités fédérales, des milliers
ont rallié la lutte des enseignants.
Le président nouvellement élu, Felipe Calderon du Parti
d’action nationale insiste pour que la crise d’Oaxaca soit résolue avant qu’il
ne prenne officiellement ses fonctions le 1er décembre. Le gouvernement en fin
de mandat de Vicente Fox hésite entre la répression ouverte par une force de
police fédérale et des soldats de l’armée de terre et de la marine et une
solution négociée avec l’APPO.
Les enseignants ont voté lundi contre une solution négociée entre
APPO, les dirigeants du SNTE et le gouvernement fédéral au motif que cela
laisserait Ruiz à son poste. L’accord aurait mis fin à l’occupation et remis
les enseignants au travail en contrepartie d’argent et d’une amnistie pour les
actions potentiellement illégales commises par les enseignants au cours de leur
mouvement. La révocation du gouverneur a été laissée entre les mains du Sénat
et une commission sénatoriale a été nommée pour examiner la situation.
Dès le début, APPO, établie comme coalition de 360
organisations paysannes et communautaires, dont le SNTE, « avec pour seul
objectif celui de faire tomber le tyran [Ruiz] » a, d’après la dirigeante
d’APPO, Dolores Villalobos Cumatz, rejeté une orientation politique électorale.
Cumatz décrit APPO comme un canal pour les revendications des gens en matière
de justice et de bonne gouvernance. Dans la pratique, APPO limite ces
revendications à la révocation de Ruiz et au soutien des revendications de la
grève des enseignants. Si Ruiz démissionnait et si les enseignants voyaient
toutes leurs revendications satisfaites, les causes qui sous-tendent la crise –
pauvreté et exploitation de classe et ethnique – persisteraient.
Il existe un parallèle entre les protestations à Oaxaca et les
mobilisations organisées par le Parti de la révolution démocratique à Mexico
City en juillet, août et septembre. Ces mobilisations ont réuni des centaines
de milliers de personnes soutenant la revendication du candidat présidentiel du
PRD Andres Manuel Lopez Obrador pour un recomptage complet de toutes les voix lors
de l’élection présidentielle du 2 juillet.
Tout comme Lopez Obrador, l’APPO confine la lutte à des
manifestations de protestation. Lopez Obrador utilise la rhétorique populaire
pour dissimuler la subordination de la classe ouvrière mexicaine aux exigences
des investisseurs internationaux. Les dirigeants de l’APPO limitent les
objectifs du mouvement en canalisant la colère populaire vers des
manifestations, des occupations et autres actions de protestation.
L’APPO s’est placée à la tête d’une insurrection populaire
mais n’a présenté aucune alternative réelle sinon la révocation du gouverneur
Ruiz, sans soulever la question de sa succession. Sans une telle alternative,
l’unique réel bénéficiaire de la révocation de Ruiz est le PRD qui est largement
pressenti pour diriger le prochain gouvernement d’Oaxaca.
(Article original anglais paru le 16
octobre 2006)