L’administration américaine a ouvert la
voie à l’accentuation de la confrontation avec la Corée du Nord suite à son
test nucléaire du 9 octobre dernier, en faisant adopter de nouvelles sanctions
contre Pyongyang au Conseil de sécurité de l’ONU. Après une semaine de tordage
de bras par les Etats-Unis, la Chine et la Russie ont laissé tomber leurs objections
à la proposition de Washington et la résolution a été acceptée à l’unanimité.
La résolution de l’ONU condamne le test
nucléaire souterrain de la Corée du Nord, le décrivant comme « une
grave menace à la paix et à la sécurité ». Elle demande que Pyongyang « abandonne
toutes armes nucléaires et tous programmes nucléaires existants », suspende
toutes ses activités liées aux missiles balistiques, « retire l’annonce de
son retrait du Traité sur la non-prolifération (TNP) et l’invite à reprendre
les Pourparlers à Six sans conditions préalables ».
La résolution appelle les Etats membres de
l’ONU à bannir la vente ou le transfert de matériel et de technologie liés aux
armes de destruction massive, aussi bien que de matériel militaire important
comme les chars d’assaut et les navires de guerre ainsi que les produits de
luxe. Elle impose aussi un gel des actifs financiers nord-coréens et une
interdiction de voyage aux responsables et aux scientifiques qui sont liés aux
programmes de développement d’armes de destruction massive. En invoquant le
Chapitre 7 de la Charte de l’ONU, la résolution impose que tous les membres de
l’ONU la respectent.
L’ambassadeur de la Corée du Nord aux
Nations unies, Pak Gil Yon, a dit que son gouvernement « rejetait
totalement » la résolution du Conseil de sécurité et a condamné le Conseil
de sécurité de l’ONU pour avoir mené une « action de gangsters » et pour
appliquer une politique de « deux poids, deux mesures » en négligeant
les menaces nucléaires faites à Pyongyang par les Etats-Unis. Il a fait
référence en particulier au discours qu’a fait Bush en 2002 où il déclarait que
la Corée du Nord faisait partie de « l’axe du mal » avec l’Irak et l’Iran.
Pak a donné l’avertissement que si les Etats-Unis continuaient à « augmenter
la pression » sur la Corée du Nord, alors son gouvernement pourrait
considérer cela comme une déclaration de guerre et y répondre de façon
appropriée.
Il n’y a pas de doute que le test nucléaire de la Corée du
Nord était un geste téméraire et plutôt désespéré qui, loin d’améliorer sa
sécurité, a fait le jeu de l’administration Bush et menace de lancer une course
aux armements nucléaires dans le nord-est de l’Asie. Mais sa colère évidente
envers l’hypocrisie de l’ONU est certainement justifiée. Tout en condamnant
Pyongyang, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU n’ont rien à dire sur le
long historique de menaces de Washington envers la Corée du Nord, ses menaces
de « changements de régime » et son refus répété d’avoir de
pourparlers bilatéraux pour normaliser les rapports entre les deux pays.
L’ambassadeur américain aux Nations unies, John Bolton, a
pris un plaisir vindicatif à inclure un embargo sur les « produits de luxe »
dans la résolution. Son unique but est de renforcer la propagande américaine
dénigrant le dirigeant nord-coréen Kim Jong-il comme un playboy qui « affame
son propre peuple ». Les Nord-coréens ont perdu du poids, a déclaré Bolton
à la presse, et « peut-être que cette mesure signifiera une petite diète
pour Kim Jong-il ». En fait, les Etats-Unis, qui ont maintenu un embargo
contre la Corée du Nord depuis les années 1950 et qui ont exploité leur « aide
humanitaire » à des fins politiques, portent une lourde responsabilité
pour la crise qui a entraîné les terribles famines des années 1990.
La Corée du Nord a offert à maintes reprises d’abandonner
ses programmes nucléaires en échange d’une garantie de sécurité des Etats-Unis et
que les mesures soient entreprises pour mettre un terme à l’embargo américain
du pays. Après le test nucléaire de la semaine passée, Pyongyang a déclaré qu’elle
était prête à négocier la dénucléarisation de la péninsule coréenne. La Corée
du Nord a refusé de reprendre les pourparlers des Six, qui comprennent les deux
Corées, les Etats-Unis, la Chine, le Japon et la Russie après que Washington a
fait pression de façon provocante sur une banque de Macau pour qu’elle gèle les
actifs nord-coréens. En vertu de la nouvelle résolution de l’ONU, les
tentatives américaines pour étrangler Pyongyang financièrement vont évidemment
devenir plus pressantes.
La Chine, alliée officielle de la Corée du Nord, a été
prise dans un dilemme par l’essai nucléaire. Pékin a encouragé les pourparlers
à six voix afin de désamorcer la confrontation, qui dure depuis longtemps, au
sujet des programmes nucléaires nord-coréens et a fortement averti Pyongyang
qu’elle ne devait pas faire exploser d’engin nucléaire. La Chine s’inquiète profondément
du fait que le Japon pourrait exploiter l’essai pour développer son propre
arsenal nucléaire. Toutefois, au même moment, Pékin est hostile à la campagne
belliqueuse de l’administration Bush contre le régime de Pyongyang et craint
que l’augmentation constante des tensions en Asie du Nord-est ne soit dirigée
contre lui.
La Chine, appuyée par la Russie, s’est opposée à deux
éléments du projet de résolution des États-Unis : l’utilisation du
chapitre 7 de la charte de l’ONU, qui a été exploitée par les États-Unis pour
justifier leur invasion de l’Irak, et l’interception et la fouille du fret à
destination et en provenance de la Corée du Nord. Selon le New York Times,
des « négociations tendues » se sont déroulées jusqu’à la dernière
minute avant le vote de l’ONU. Au bout du compte, les États-Unis ont modifié la
résolution en invoquant l’article 41 du chapitre 7, qui réfère spécifiquement à
des « mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée ».
Néanmoins, la
résolution permet aux États membres de coopérer « en
procédant à l’inspection du fret à destination ou en provenance de la
République populaire démocratique de Corée » pour empêcher le
« trafic illicite » d’armes de destruction massive. La clause déclare
qu’une telle action doit être en accord avec le droit international et, aux
exigences de la Chine, a omis une référence spécifique à l’utilisation de la
force militaire pour arrêter les navires en eaux internationales, mais elle
donne aux États-Unis le pouvoir de poursuivre leur provocante Initiative de
sécurité contre la prolifération (ISP).
Sous la ISP lancée en 2003, les États-Unis et leurs alliés,
incluant le Japon et la Chine, se sont préparés à intercepter des navires en
hautes mers et des avions dans l’espace aérien international sous le prétexte de
chercher des armes de destruction massive. Bolton, en tant que sous-secrétaire
d'État à la maîtrise des armements et à la sécurité des États-Unis, a été celui
qui a avancé la proposition, qui tentait de légaliser ce qui est illégal sous
le droit international et considéré comme de la piraterie ou un acte de guerre.
En 2003, Bolton a argumenté que l’interdiction de navires et d’avions était
permise par le droit international.
Moins d’une heure après que la résolution eut été passée,
l’ambassadeur chinois à l’ONU, Wang Guangya, a déclaré que la Chine ne
participerait à aucun régime d’inspection, car cela créerait un « conflit
qui aurait de sérieuses répercussions sur la région ». S’adressant aux
journalistes, il a affirmé : « La Chine ne participera pas
politiquement à la ISP. Je crois que les actions prises sous la ISP mèneront
facilement, intentionnellement ou non... à diverses intensifications du conflit
ou provocations ». Wang a incité les États membres à adopter une
« attitude prudente et responsable » envers les inspections et à
éviter les mesures provocantes.
Dimanche, Bolton a prudemment évité la question du droit
international, déclarant que les fouilles pourraient se faire dans les ports et
sur les voies terrestres. Il a soutenu à CNN que la résolution n’appelait pas à
un blocus maritime de la Corée du Nord, et que l’interdiction des articles
pouvait être réalisée sans blocus. Toutefois, le ministre australien des
Affires étrangères, Alexander Downer, a annoncé dimanche que le gouvernement
Howard considérait déjà envoyer des navires de guerre pour participer à un
blocus de la Corée du Nord.
Les États-Unis et leurs alliés considèrent sérieusement l’utilisation
de moyens militaires pour intercepter des vaisseaux nord-coréens, malgré le
fait que la résolution de l’ONU exclut l’usage de la force armée. L’administration
Bush, qui a de manière répétée démontré son mépris pour le droit international
et l’ONU, a maintenant les moyens de provoquer des incidents en haute mer qui
pourront être utilisé pour justifier des actions plus agressives, incluant
l’utilisation de la force militaire, contre la Corée.
C’est donc sans surprise que le président Bush a salué la
réponse de l’ONU comme étant « rapide et résolue ». Bolton a déclaré
que les États-Unis étaient « très satisfaits » avec la résolution,
qui était « exactement en ligne » avec ses recommandations. La
secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice est sur le point de partir vers l’Asie du Nord-Est
pour faire pression sur la Chine et la Corée du Sud en particulier, pour qu’ils
adoptent une attitude plus dure contre la Corée du Nord.
L’administration Bush a répondu aux commentaires qu’a faits
Wang samedi en insistant sur le fait que la Chine était obligée d’appliquer tous
les aspects de la résolution de l’ONU. « Je suis certaine que la Chine va
s’acquitter de ses responsabilités », a déclaré Rice. Bolton notait que si
la Chine acceptait de retirer son soutien à la Corée du Nord, cela
« aurait un effet persuasif puissant à Pyongyang…Je pense que la Chine a
une lourde responsabilité. »
Clairement, Washington considère la résolution de l’ONU simplement
comme un premier pas. Comme Bolton le laissait savoir, les pressions
américaines vont chercher à faire accepter à la Chine qu’elle impose des sanctions
plus importantes à la Corée du Nord, incluant l’approvisionnement en nourriture
et en pétrole. La Chine est le plus important partenaire commercial de la Corée
du Nord et la source de son pétrole. Malgré toute sa propagande concernant Kim
Jong-il qui affamerait son peuple, l’administration Bush n’hésiterait pas un
instant à ruiner l’économie nord-coréenne pour tenter de forcer le pays à se
soumettre en affamant son peuple.
La réponse agressive des Etats-Unis aux remarques de Wang souligne
le fait que la première préoccupation de Washington n’est pas le test nucléaire
ou même la Corée du Nord. Les Etats-Unis, qui possèdent des milliers d’armes
nucléaires sophistiquées, ne sont pas sérieusement menacés par la Corée du
Nord. L’administration Bush a constamment exploité la crise nucléaire nord-coréenne
afin d’accroître les tensions en Asie du Nord-Est pour y assurer sa domination
contre ses rivaux, particulièrement la Chine
Au même moment, l’attitude menaçante de Washington contre
la Corée du Nord vise également à menacer d’autres pays dans la mire de
l’administration Bush, particulièrement l’Iran.
(Article original anglais paru le 16
octobre 2006)