Une pièce, retraçant les dernières heures de
la vie du poète Federico Garcia Lorca et précédant son meurtre par des membres
des phalanges fascistes, a finalement été jouée à Madrid, et n’eut qu’une seule
représentation.
La pièce, Lorca eran todos (Lorca
c’était nous tous), du dramaturge catalan Pepe Rubianes, aurait dû être
présentée début septembre au Teatro Español de Madrid pour marquer le 70ème
anniversaire du meurtre de Lorca. La pièce avait déjà été jouée avec succès
l’année dernière à Barcelone.
La pièce jouée à Madrid fut dénoncée par des
forces de droite dont des groupes religieux qui avaient promis de venir manifester
devant le théâtre.
Les protestations tournaient autour de
commentaires faits par Rubianes à la télévision catalane en janvier. Lors d’une
interview diffusée sur la chaîne publique catalane TV3, Rubianes avait dénoncé nationalement
et localement les dirigeants de droite du Partido Popular (PP). Il avait
également qualifié les auditeurs du réseau catholique Cope Radio comme représentant
un « culte ». Ses commentaires les plus controversés concernaient
l’Espagne elle-même.
Partisan du nationalisme catalan, Rubianes avait
dit au cours de l’émission de l’après-midi, « Que cette p—n d’Espagne aille
se faire f—e ! et que leurs c—s explosent ! »
Les propos de Rubianes offrirent à la droite,
qui d’habitude dénonce les appels lancés en faveur de l’autonomie régionale ou du
séparatisme comme étant une trahison de l’Espagne, un prétexte pour organiser
une attaque contre la liberté d’expression.
Lorsque le Conseil audiovisuel catalan (CAC) déclara
qu’il n’avait reçu qu’une seule plainte quant aux propos de Rubianes, le groupe
de presse catholique Hazteoir créa un weblog pour encourager les gens à
protester.
Rubianes fut poursuivi en justice pour ses commentaires
et publia plusieurs fois des excuses. Tentant de clarifier ses remarques, il
dit avoir parlé de « l’Espagne qui avait tué Lorca, qui avait laissé
mourir de douleur [Antonio] Machado à Collioure et qui avait laissé mourir Miguel Hernandez en
prison. »
Les trois poètes avaient été victimes des
forces franquistes, ils avaient été visés pour leur soutien à la République.
Lorca fut fusillé et jeté dans une tombe anonyme. Antonio Machado, un pacifiste
qui avait salué la République, fut forcé de quitter l’Espagne et mourut en
France en 1939. Hernandez fut condamné à mort par le régime de Franco pour ses
activités républicaines. La condamnation fut commuée en une peine de trois ans
de prison ; il mourut de tuberculose en prison en 1942.
Confronté aux menaces de violence permanentes
proférées contre le théâtre et les acteurs et aux menaces de mort à son
encontre, ainsi qu’à l’annonce que le groupe religieux Alternativa Española
manifesterait devant le théâtre, Rubianes prit la décision d’annuler le
spectacle.
Alberto Ruiz-Gallardon, le maire de Madrid et membre
du PP, ne se contentant pas d’une reculade personnelle du dramaturge, annonça
au cours d’une conférence de presse hâtivement organisée que celui-ci ne jouerait
pas la pièce au Théâtre espagnol étant donné que les autorités municipales
« ne l’avaient pas engagé sous contrat ». Le dirigeant du PP, Mariano
Rajoy dit que la décision de Gallardon à savoir de ne pas permettre que la
représentation ait lieu était « bonne ».
En réaction, Rubianes compara l’Espagne à
l’Afghanistan sous la botte des talibans. L’offensive menée par le PP se heurta
à une opposition de la part d’autres secteurs de la politique et de la culture.
Mario Gas, le directeur du Théâtre espagnol, menaça de démissionner en signe de
protestation.
Gallardon fut obligé de publier un communiqué mensonger
niant le fait qu’une censure quelconque eût été imposée et insistant pour dire
que Rubianes avait lui-même pris la décision de déprogrammer la pièce.
La campagne organisée par la droite a
également incité un syndicat à offrir sa salle en remplacement comme lieu du
spectacle. Quand Lorca eran todos fut en fin de compte joué, un
porte-parole de la compagnie théâtrale dit qu’ils voulaient faire de la pièce
une réussite et « qu’il y avait quelque chose de symbolique dans tout
ça ».
Rubianes n’a pas assisté à l’unique représentation.
Mais une centaine de manifestants de droite ont protesté devant la salle du
syndicat en hurlant des insanités à l’encontre du public au fur et à mesure
qu’il arrivait.
Il ne s’agit pas là du seul spectacle qui ait
eu à subir des attaques cette année. En mars, le spectacle de Leo Bassi, La
Révélation, a également été confronté à la violence de la droite, y compris
deux tentatives d’incendie criminel, dont l’une dans sa loge, et d’innombrables
menaces de bombes et de manifestations orchestrées par Alternativa Española,
un groupe conservateur chrétien. Les autorités locales ont coupé toute
subvention au festival qui l’avait organisé.
Bassi a qualifié son spectacle « d’hommage
aux valeurs laïques » et de défense de l’athéisme. Des
contre-manifestations furent organisées en soutien à la fois de Bassi et de
Rubianes.
(Article original anglais paru le 12 octobre 2006)