Toute la fureur qu’a soulevée l’affaire du
congressiste républicain Mark Foley est une autre manifestation d’une tradition
bien établie de la politique américaine : l’utilisation de scandales médiatiques
en tant que moyen de lutter pour un changement de politique et en tant que
moyen de régler ses comptes au sein de l’élite dirigeante, ceci en manipulant l’opinion
publique et en cachant au peuple les véritables questions en jeu.
Il y a maintenant une histoire de près de
35 années de tels scandales, qui vont des peccadilles de congressistes comme
Wilbur Mills et Wayne Hays jusqu’à l’enquête Abscam et le « Koreagate »
en passant par la myriade des enquêtes sur l’administration Clinton —
Whitewater, Travelgate et une demi-douzaine d’autres — et le point culminant
que fut l’affaire Lewinsky et la destitution de Clinton.
Il y a assurément une profonde ironie dans
le spectacle que nous offre actuellement le Congrès. Les dirigeants
républicains au Congrès, qui affirmaient que Clinton devait être destitué parce
qu’il avait tenté de cacher une affaire sexuelle sont maintenant accusés de dissimulation
systématique qui visait à protéger un prédateur sexuel. Ceux qui ont renforcé
leur base politique par des appels à la bigoterie anti-homosexuelle et à la
condamnation morale de la promiscuité sexuelle se retrouvent au beau milieu du
champ de mines qu’ils ont eux-mêmes semées.
Peut-être que la plus grande hypocrisie
vient des dirigeants du Congrès qui se plaignent que le moment choisi pour
exposer Foley prouve que c’est une tentative des médias et du Parti démocrate
de manipuler les élections de novembre prochain. Et cela, d’un parti qui a
parfait l’art d’utiliser la provocation politique pour influencer les résultats
électoraux !
Beaucoup de l’aigreur des propos des
adjoints de Bush et des dirigeants républicains au Congrès vient du sentiment
qu’ils ont été battus sur le terrain qu’ils considèrent comme leur champ de spécialité.
Dans la campagne actuelle, l’administration Bush espérait utiliser une campagne
de peur au terrorisme bidon — lancée en août par des allégations d’un nouveau
et vaste complot terroriste contre les avions de ligne américains, qui furent
suivies par les discours de Bush en commémoration du 11-Septembre — pour semer
la panique parmi l’électorat.
Ceci étant dit, il ne fait aucun doute que
l’affaire Foley a été saisie par des sections de l’establishment politique —
républicain autant que démocrate — pour faire pression sur l’administration
Bush et la forcer à effectuer certains changements à sa politique,
particulièrement en ce qui a trait à l’Irak et au grand Moyen-Orient.
L’immense attention qu’accordent les médias
au cas Foley a suivi plusieurs semaines d’attaques sur la façon dont l’administration
Bush a mené la guerre en Irak, premièrement en coulant dans la presse un
document de la CIA, le National Intelligence Estimate, qui concluait que
la guerre avait augmenté et non pas diminué la menace terroriste aux Etats-Unis.
Ensuite, il y a eu la publication de State
of Denial (Etat de déni), un livre du
journaliste Bob Woodward, une exposition de l’incompétence et du désarroi
interne de l’administration Bush, d’autant plus dommageable que Woodward avait
écrit deux livres sur les politiques de guerre du Bush, en 2002 et en 2004, qui
étaient plutôt flatteurs pour la Maison-Blanche.
L’effet combiné de ces attaques pourrait
bien résulter en une majorité pour les démocrates dans une chambre du Congrès, peut-être
bien même les deux, un résultat qui semble de plus en plus probable. On s’attend
généralement à ce que les démocrates obtiennent au moins cinq sièges du Sénat
présentement aux républicains, ce qui résulterait en une chambre haute divisée
50 à 50 et où le vice-président Dick Cheney détient le vote brisant une
égalité. Tout gain supplémentaire des démocrates leur donnerait le contrôle du
Sénat.
Quant à la Chambre des représentants, un
congressiste républicain de premier plan, Thomas S. Davis, le président du
comité de la Chambre pour la réforme gouvernementale, a dit au Washington
Post cette semaine que les républicains pourraient perdre entre 7 et 30
sièges. S’ils en perdaient 15, le contrôle de la Chambre passerait aux mains
des démocrates. L’estimation de Davis pourrait bien être une sous-estimation
délibérée, les experts des médias prédisant que près de 70 sièges républicains
sont en danger alors qu’aussi peu que 20 sièges démocrates sont dans la même
situation.
La principale question en contestation au
sein de l’élite dirigeante américaine est la guerre en Irak, et plus largement,
l’orientation de la politique américaine au Moyen-Orient et en Asie centrale. Il
existe un large consensus que les résultats des invasions de Bush en
Afghanistan et en Irak ont été désastreux pour la position mondiale de l’impérialisme
américain.
Le gros des troupes au sol que l’armée
américaine peut déployer l’est dans ces deux pays. L’armée américaine subit des
pertes, tant humaines que matérielles, qui dégradent sérieusement l’efficacité
à long terme de l’armée et des Marines et réduisent la crédibilité des menaces américaines
de faire usage de force contre des cibles potentielles comme la Corée du Nord,
l’Iran, la Syrie et le Venezuela.
Tout aussi important est le tort politique
subit tant à l’intérieur qu’à l’étranger. Il n’y a pratiquement aucune
possibilité de trouver un appui populaire au sein du peuple américain pour les nouvelles
aventures militaires requises pour élargir et étendre le contrôle américain sur
le Moyen-Orient et la région de la mer Caspienne, tous deux riches en pétrole.
Et partout à travers le monde, l’hostilité populaire envers les Etats-Unis et
les intérêts stratégiques et économiques de l’impérialisme américain est à un
sommet historique.
Un consensus commence à se faire au sein de
l’oligarchie financière qui constitue le véritable pouvoir dirigeant aux Etats-Unis.
Il ne s’agit pas de se retirer de l’Irak, une mesure qui est opposée par toutes
les sections de la classe dirigeante. Il faut plutôt un changement de cap où il
faut passer d’une occupation américaine directe à une relation plus éloignée où
les troupes américaines seraient déployées dans des régions qui vont des
voisins immédiats de l’Irak, la Syrie et l’Iran jusqu’à l’Extrême-Orient ou même
les Caraïbes.
Ce consensus trouve expression dans le
travail de la commission Baker-Hamilton, un comité des stratèges de premier
plan de l’élite dirigeante dirigé par l’ancien secrétaire d’Etat James Baker,
un consigliere de longue date de la famille Bush. Le coprésident du
comité, l’ancien président démocrate du comité des Affaires étrangères de la
Chambre des représentants, Lee Hamilton, a eu une fonction semblable dans la
Commission sur le 11-Septembre.
Les autres membres du comité comprennent
les démocrates William J. Perry, ancien secrétaire à la Défense de Clinton, l’ancien
sénateur Charles Robb et Vernon Jordan, un copain de Clinton et ancien
dirigeant de la Urban League. Les républicains y ont l’ancien maire de New York
Rudolph Giuliani et le juge de la Cour suprême à la retraite, Sandra Day O’Connor.
Des mois après la formation du comité, il
semblait mort-né. Mais après que l’invasion du Liban par Israël — soutenu sans réserves
par l’administration Bush — se soit terminée par une débâcle politique et militaire,
la commission est devenue le véhicule pour les demandes de l’establishment
politique pour une réévaluation de la politique américaine au Moyen-Orient.
La commission Baker-Hamilton ne fera de recommandations
officielles qu’après l’élection, mais le 8 octobre, Baker était présent à l’émission
« This Week » sur le réseau ABC pour en donner un avant-goût,
disant que la commission « croit qu’il existe des alternatives entre les
alternatives déclarées, celles qui sont présentement dans le débat politique,
soit “poursuivre la mission” ou “sortir de là” ».
Baker a ouvertement critiqué l’administration Bush pour son
refus de négocier avec la Syrie, l’Iran, la Corée du Nord et d’autres pays aux
gouvernements hostiles. « Je crois aux pourparlers avec les
ennemis », a-t-il déclaré, se rappelant ses 15 voyages en Syrie alors
qu’il était secrétaire d’État dans l’administration du père de Bush.
Après être revenu d’une visite d’une semaine en Irak lors
de laquelle ils n’ont jamais quitté la Zone verte, Baker et Hamilton ont tenu
une conférence de presse pour déclarer que le gouvernement du premier ministre
Nouri al-Maliki ne disposait plus que de quelques mois pour établir son
autorité et améliorer les conditions de sécurité, soit d’ici la fin de l’année.
Dans son entrevue au réseau ABC, Baker a exprimé son accord
avec le sénateur John Warner de la Virginie, le président républicain de la
commission sur la Défense qui est revenu la semaine dernière d’une visite en
Irak et qui a affirmé que le pays était en train de « déraper », tout
en appelant à un « changement de stratégie » si le gouvernement de
Maliki n’était pas en mesure de stabiliser Bagdad et d’autres villes
importantes d’ici deux à trois mois.
Mercredi lors de sa conférence de presse, qui avait été
organisée rapidement par la Maison-Blanche pour contenir l’avalanche médiatique
du scandale Foley et utiliser l’essai nucléaire nord-coréen pour attirer de
nouveau l’attention sur sa « guerre au terrorisme », Bush a semblé
pour la première fois exprimer une volonté de modifier ses tactiques en Irak.
« Ce que je pense : ne fais pas ce que tu fais si ça ne fonctionne
pas; fais autre chose », a-t-il déclaré. En ajoutant toutefois :
« Poursuivre la mission veut aussi dire de ne pas quitter tant que la
tâche n’est pas finie. Nous allons finir la tâche en Irak ».
Un changement dans la stratégie utilisée par
l’administration Bush en Irak à la veille des élections américaines, que le
contrôle du Congrès revienne aux républicains ou aux démocrates, semble
maintenant inévitable. Cela ne représenterait pas une concession à l’opinion
anti-guerre aux États-Unis et à travers le monde. Au contraire, cela
représenterait une tentative de l’élite dirigeante américaine pour poursuivre
une guerre impopulaire sous une nouvelle forme potentiellement encore plus
sanglante.
Le fait est que sous le système biparti américain, dans
lequel les deux partis sont contrôlés par l’élite financière et défendent la
richesse et la puissance de la grande entreprise, la vaste majorité du peuple
américain est en réalité privée de ses droits de représentation.
Le 7 novembre, des millions de travailleurs voteront pour
des candidats démocrates et pourraient bien élire une majorité démocrate à la
Chambre des représentants et au Sénat. Mais bien que leurs votes puissent
exprimer leur mécontentement et leur haine de l’administration Bush, le
résultat sera l’élection d’un parti dont les chefs sont essentiellement voués
aux mêmes politiques de droite que l’administration Bush, et avant tout à la
nécessité pour l’impérialisme américain de maintenir son emprise sur le
Moyen-Orient riche en pétrole.
Les démocrates continuent d’exprimer leur désir de
« succès » et de « victoire » en Irak, pas de voir cette
guerre d’agression se terminer. Le premier geste de Nancy Pelosi, présidente de
la Chambre des représentants, ou de Harry Reid, chef de la majorité au Sénat,
sera d’en appeler à une approche bipartisane pour remplir les objectifs de
l’impérialisme américain en Irak. Pelosi a déjà fait échouer toutes discussions
de destitution de Bush : une mesure qui serait amplement justifiée étant
donné son rôle d’architecte d’une guerre d’agression – un crime de guerre
d’après le droit international – un défenseur de la torture, et un violateur
des lois américaines et des libertés civiles garanties par la Constitution des
États-Unis.
Les élections ont deux objectifs interreliés pour l’élite
dirigeante américaine. Elles canalisent le sentiment anti-guerre des masses dans
une voie sécuritaire. Quelque 66 pour cent des gens croient que la guerre n’en
vaut pas la peine et que Bush ment lorsqu’il parle de la guerre. Mais ces
sentiments vont, pour la plupart, se traduire dans la boîte de scrutin par un
vote pour un parti qui appuie la guerre et est conjointement responsable des
mensonges.
Au même moment, les élections offrent l’occasion de faire descendre
Bush de sa tour et de le forcer à apporter certains changements de politique,
particulièrement en ce qui concerne le redéploiement des ressources militaires
vers d’autres endroits, tout aussi critiques, du monde.
Il y certainement une conscience croissance parmi la masse
des Américains que le Parti démocrate n'offre aucune alternative sérieuse aux républicains.
Les sondages indiquent une chute dans les intentions de vote pour Bush sans
aucune croissance correspondante dans les appuis pour
« l’opposition ». Mais l’insatisfaction envers les deux partis, ce
n’est pas suffisant.
Ce qui est requis c’est le développement d’un mouvement
politique consciemment anticapitaliste parmi les travailleurs, dirigé non
seulement contre les démocrates et les républicains, mais contre toute la
structure d’entreprise qu’ils défendent.
Le Parti de l’égalité socialiste présente des candidats aux
élections de 2006 afin de mettre de l’avant la lutte pour la construction d’un
tel mouvement de la classe ouvrière. Nos candidats — dans l’Etat de New York,
le Maine, le Michigan, l’Illinois, l’Oregon et la Californie — soulèvent les
vraies questions dans ces élections, les questions que les deux partis de la
grande entreprise refusent de discuter.
Nous demandons la fin de la guerre criminelle et illégale
en Irak, le retrait de toutes les troupes américaines et étrangères de l’Irak,
de l’Afghanistan et ailleurs au Moyen Orient et de l’Asie Central. Nous
demandons le paiement de compensation massive pour les personnes des pays
envahis et dévastés par les armes américaines ainsi que la mise en accusation
de Bush, Cheney et de tous leurs confrères comme criminel de guerre.
Nous demandons la fin des attaques menées contre les droits
démocratiques sous la bannière de la « guerre contre la terreur ».
Nous demandons l’abrogation du Patriot Act, qui légalise l’espionnage de l’Etat
policier, et de la Loi sur les commissions militaires qui sanctionne la torture
et militarise les tribunaux. Nous demandons une enquête sérieuse sur les
attentats du 11 septembre 2001, afin de découvrir le rôle que les agences
gouvernementales des Etats-Unis ont joué pour permettre et même faciliter les
attaques terroristes.
Nous mettons de l’avant un programme socialiste pour
défendre les intérêts de la classe ouvrière : des emplois, un niveau de
vie décent, la restauration et l’expansion des services publics comme
l’éducation, l’établissement d’un droit à des services de santé pour tous, basé
sur un système de santé financé par l’État. La société doit être libérée de sa
subordination de la recherche de profit d’une poignée — le 1 pour cent de
millionnaire et de multimillionnaires — et la vie économique doit être
réorganisée sur la base de la propriété publique contrôlée démocratiquement.
Nous appelons tous ceux opposés à la guerre en Irak et au
programme de droite de l’administration Bush, à se joindre à la lutte du Parti
de l’égalité socialiste pour la construction d’un nouveau parti politique de la
classe ouvrière.
(Article original anglais paru le 14 octobre 2006)