Le test nucléaire de la Corée du Nord lundi
dernier a provoqué une importante crise politique au sein de la direction
chinoise, qui se cherche à établir comment elle y répondra. Elle confronte une
grande pression de l’administration Bush pour qu’elle donne son soutien à de
dures sanctions contre la Corée du Nord — un geste qui ne fera qu’approfondir la
divergence qui se développe avec son allié officiel de longue date.
Après que Pyongyang eut annoncé son test
proche la semaine passée, Beijing s’y est opposé avec vigueur et a appuyé une
déclaration du président du Conseil de sécurité de l’ONU qui la condamnait. L’ambassadeur
chinois à l’ONU Wang Guangya a averti à New York que « personne ne
protégerait » la Corée du Nord et qu’elle devra subir de « sérieuses
conséquences » si elle faisait sauter son engin nucléaire.
La menace implicite que la Corée du Nord
perde le soutien de son principal bienfaiteur économique a été soulignée par la
visite du premier ministre japonais Shinzo Abe à Beijing le week-end dernier. Abe
et le président chinois Hu Jintao ont émis une déclaration commune disant que
le test nucléaire était un sujet de préoccupation pour les deux gouvernements.
L’appui de Hu pour Abe, qui exploite depuis
longtemps la « menace » nord-coréenne pour justifier la renaissance
du militarisme japonais, était particulièrement irritant pour Pyongyang. Les
responsables de la Corée du Nord ont dénoncé la Chine pour être « chauvine »
et ont déclaré qu’ils n’avaient pas besoin de la protection de la Chine. Lundi,
la Corée du Nord n’a averti la Chine de l’explosion que 20 minutes avant qu’elle
ait lieu.
Deux heures plus tard, Beijing publiait une
déclaration furieuse pour « s’opposer résolument » au test nucléaire.
Le ministre chinois des Affaires étrangères a condamné la Corée du Nord pour
avoir « ignoré l’opposition universelle de la communauté internationale et
avoir mené de façon flagrante un test nucléaire ». Au même temps, il
appelait pour de la retenue de tous les côtés et pour une résolution négociée
de la crise. Aux Nations unies, l’ambassadeur chinois Wang a appuyé « des
mesures punitives » contre la Corée du Nord, mais s’est opposé à des
éléments clés de la proposition de résolution des Etats-Unis.
La Chine craint que le test puisse être le
déclencheur d’une course aux armements nucléaires dans la région du nord-est de
l’Asie, avec le Japon et même la Corée du Sud qui obtiendront la bombe
atomique. Mercredi, Abe a officiellement répété la politique officielle du
Japon selon laquelle le pays ne voulait pas d’arsenal nucléaire. Mais une discussion
est actuellement en cours dans les cercles dirigeants du Japon sur un
changement de position. Le mois dernier seulement, l’ancien premier ministre
Yasuhiro Nakasone a suggéré que le Japon devrait considérer développer des armes
nucléaires. « Nous sommes actuellement dépendants des armes nucléaires
américaines, mais nous ne savons pas nécessairement comme l’attitude américaine
va évoluer. »
Le test nucléaire de la Corée du Nord vient
briser l’accord tacite qu’avait Beijing envers les Etats-Unis qu’il empêcherait
Pyongyang d’acquérir des armes nucléaires si les Etats-Unis empêchaient ses
alliés — le Japon et la Corée du Sud — de faire de même. Alors que la Corée du
Nord réagissait à la position de plus en plus agressive de l’administration Bush
avec des menaces de son cru, la Chine devait réaliser un acte d’équilibrage délicat.
Depuis 2003, Beijing a forcé Pyongyang à prendre part à des pourparlers à six
voix, auxquels participaient les Etats-Unis, les deux Corées, la Chine, le
Japon et la Russie, en ligne avec les demandes de Washington pour des
pourparlers multilatéraux.
En jouant un rôle utile pour l’administration
Bush, la Chine a été capable d’améliorer ses rapports avec Washington. Mais
cette tactique a toujours comporté de grands dangers. Les Etats-Unis ont
exploité le programme nucléaire nord-coréen comme un outil pratique pour accroître
les tensions régionales et pour affirmer de nouveau son rôle dominant contre
ses rivaux — particulièrement Beijing. Du point de vue des Etats-Unis, les
pourparlers à six n’étaient qu’une façon d’augmenter la pression sur les autres
participants pour qu’ils prennent une ligne plus dure avec Pyongyang.
L’appel de Beijing pour de la « retenue »
de tous est une tentative désespérée d’empêcher une confrontation ouverte. La
Chine a envoyé une mission diplomatique à Pyongyang pour presser Kim de revenir
aux réunions multilatérales. Au même moment, le président chinois Hu a
téléphoné à Bush pour réitérer sa ferme opposition à la « nucléarisation »
de la péninsule coréenne. Mais alors que ses principaux efforts diplomatiques se
sont effondrés, toutefois, la Chine est forcée de réévaluer sa stratégie.
Un
tampon utile pour la Chine
La Corée du Nord a été un Etat tampon utile
à Beijing pour les 50 dernières années. Après le déclenchement de la guerre de
Corée en 1950, Mao Zedong a envoyé des millions de soldats chinois au-delà de
ses frontières pour empêcher les forces américaines d’établir un Etat client à
la frontière de la Chine. En 1961, même alors que la Corée du Nord tendait vers
Moscou dans la dispute entre l’Union soviétique et la Chine, Beijing a
néanmoins atteint une alliance militaire officielle avec Pyongyang.
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique
en 1991, la Chine a été la principale bouée de sauvetage économique du régime
stalinien à Pyongyang. Beijing approvisionne la Corée en nourriture et en
pétrole et est son plus grand partenaire commercial et son principal
investisseur. Les dirigeants de la Chine ont pressé le dirigeant nord-coréen
Kim Jong-il de suivre la voie de la « réforme du marché » en offrant
de la main-d’œuvre à bon marché aux investisseurs étrangers. La « politique
du Soleil » de la Corée du Sud de développement économique du nord
semblait, à la fin des années 2000, offrir le moyen de diminuer les tensions et
de réunifier la péninsule coréenne.
Quant à elle, la Corée du Nord a cherché une
garantie de sécurité et la normalisation des relations avec les Etats-Unis. La
posture téméraire de Pyongyang n’a jamais eu pour but de mener une véritable lutte
anti-impérialiste, mais plutôt de faire pression sur les Etats-Unis pour en
arriver à une entente. Le jour suivant le test nucléaire, la Corée du Nord a
offert d’abandonner son programme d’armes nucléaires si les Etats-Unis prenaient
les « mesures correspondantes ». L’administration Bush, toutefois, s’est
constamment opposée à tous pourparlers bilatéraux directs avec Pyongyang pour
mettre fin à la confrontation actuelle. En 2002, Bush a en fait désigné la
Corée du Nord pour un « changement de régime » en l’incluant dans son
« axe du mal » aux côtés de l’Irak et de l’Iran.
Une résolution pacifique à l'impasse avec la Corée du Nord irait à
l'encontre des intérêts américains. La Chine a déjà remplacé les Etats-Unis en
tant que plus grand partenaire commercial de la Corée du Sud et du Japon.
L'intégration de la Corée du Nord dans les économies dynamiques de la région
augmenterait le potentiel d'un bloc commercial contre les Etats-Unis, conjugué
à des demandes de la Corée du Sud et du Japon visant le retrait de bases
militaires américaines. De plus, une Asie du Nord-Est plus stable permettrait
au Japon et à la Chine d'exploiter les vastes ressources de pétrole et de gaz
de l'Extrême-Orient russe. Moscou utilise déjà ses réserves d'énergie comme une
arme stratégique pour développer des liens plus étroits avec l'Asie orientale,
et plus particulièrement la Chine, pour faire contrepoids aux Etats-Unis. Les
puissances européennes sont intéressées à établir d'étroits liens commerciaux
et de transport avec l'Asie orientale par voies terrestres. La péninsule
coréenne constitue une voie-clé.
Les tentatives chinoises de mettre un terme à la confrontation avec la Corée
du Nord par des pourparlers à six se sont continuellement butées à un problème
fondamental. Pour l'administration Bush, ses menaces constantes contre la Corée
du Nord ont joué le rôle très utile de maintenir une atmosphère de tension et
d'instabilité et d'affecter les plans économiques de ses rivaux. Il y a un
parallèle à faire avec l'Iran. Washington comprend que toute solution pacifique
à l'impasse avec Téhéran profiterait économiquement aux puissances européennes
et asiatiques qui ont déjà d'importants investissements en Iran.
L'essai nucléaire nord-coréen laisse la Chine dans un dilemme. Si Pékin se
montre incapable de rappeler à l'ordre la Corée du Nord, elle sera ciblée de
plus en plus par l'administration Bush à cause de son appui pour un « Etat
voyou ». Durant l'élection présidentielle américaine de 2000, la campagne
de Bush s'est concentrée beaucoup sur l'idée que la Chine était le
« compétiteur stratégique » des Etats-Unis. D'un autre côté, si Pékin
étrangle par des sanctions l'économie nord-coréenne, elle risque de précipiter
un effondrement politique déstabilisateur, et pas seulement pour la péninsule
coréenne, mais à l'intérieur de la Chine même.
De plus en plus d'indices montrent que Pékin prend ses distances avec la
Corée du Nord. A la suite de la dernière ronde de pourparlers à six en
septembre 2005, la Chine a fourni un appui crucial aux efforts du Trésor
américain pour sévir contre les « activités illicites » de la Corée
du Nord et l'a aidé à forcer une banque de Macao à geler les actifs de
Pyongyang. Après que les Etats-Unis eurent ignoré les demandes de la Corée du
Nord pour mettre un terme aux sanctions financières, Pyongyang a réagi
violemment en juillet en faisant l'essai d'un missile à longue portée. Comme le
dernier test nucléaire, c'était une tentative désespérée pour obtenir des
concessions de Washington.
Le fossé entre la Corée du Nord et la Chine était visible durant la
« crise du missile ». Le chef de la Corée du Nord, Kim Jong-il, a
refusé de rencontrer une délégation chinoise de haute instance qui avait était
envoyée à Pyongyang pour le persuader de participer à nouveau aux pourparlers
multilatéraux. Les représentants chinois ont dû faire le pied de grue pendant
des jours pour obtenir une entrevue. La réponse de la Chine a été d'appuyer la
résolution japonaise 1965 au Conseil de sécurité de l'ONU qui condamnait les
essais de missile. La relation entre les deux pays, qui était décrite en Chine
comme étant très étroite, en est train de se détériorer très rapidement.
L'essai nucléaire a suscité un débat parmi les cercles dirigeants chinois.
Zhang Liankui, enseignant à l'Ecole centrale du Parti communiste, a déclaré au Financial
Times le 9 octobre : « C'est le plus gros échec diplomatique
depuis l'établissement de la République populaire [en 1949]. La Chine est la
plus grande perdante, car elle a offensé la Corée du Nord et les Etats-Unis.
« C'était une politique stupide pour la Chine de
considérer l'arme nucléaire de la Corée du Nord comme un levier contre les Etats-Unis.
Au lieu de cela, l'arme nucléaire va être pointée vers la Chine », a dit
Zhang. Les armes nucléaires auxquelles il réfère ne sont pas celles grossières
de la Corée du Nord, mais celles beaucoup plus sophistiquées et puissantes que
pourrait rapidement fabriquer le Japon ou la Corée du Sud.
Shen Dingli, un expert de premier plan des questions de
sécurité chinoise de l'Université Fudan de Shanghai, a déclaré que la Chine ne
pouvait pas tout simplement laisser tomber son alliance avec la Corée du Nord.
Il a dit au New York Times : « La Chine doit continuer de voir
la Corée du Nord à travers le prisme de Taiwan. Vous ne pouvez pas vous
attendre à ce que la Chine abandonne complètement son allié alors que
l'Amérique continue de soutenir Taiwan et permet au mouvement indépendantiste
d'y croître. » Il prédisait que les tensions de la péninsule coréenne
pourraient compromettre l'objectif de Beijing de réunification avec la Taiwan
et perturber l'environnement pacifique nécessaire au développement économique
interne de la Chine.
Un commentaire paru dans le journal officiel China Daily
avec pour titre « Les discussions à six toujours essentielles à la
solution nucléaire coréenne » dénonçait le test nucléaire nord-coréen. Au
même moment, le journal plaidait que de « s'aligner du côté de
Washington » serait une erreur. « L'hostilité des Etats-Unis envers
la DPRK [Corée du Nord] n'est un secret pour personne…Alors que le test
nucléaire de la DPRK allait inévitablement avoir un impact négatif sur les
relations Chine/ DPRK, cela ne veut pas dire cependant que la Chine doit
nécessairement abandonner l'amitié traditionnelle qui existe entre les deux
pays. »
Une possible porte de sortie pour le problème de la Chine —
et qui a été très prudemment présenté — est la possibilité pour la Chine de
procéder à sa propre version de « changement de régime » à Pyongyang.
Un article du Times de Londres faisait le commentaire suivant : « Pour
la Chine, l'argument de pousser Kim [Jong-il] dehors, avant que le grondement
[en Corée du Nord] ne se transforme en révolte est devient donc plus fort de
jour en jour.
« Beijing a cultivé d’« intéressants »
généraux sous le manteau d'échanges militaires prolongés et pourrait même utiliser
le fils aîné du Cher Dirigeant, Kim Jong-nam, qui est à Beijing, étant tombé
dans la disgrâce de son père, comme un gage dans une stratégie de
« continuité » pour remplacer Kim avec quelqu'un de plus pragmatique
et malléable. »
L'article soulignait qu'une telle stratégie à haut risque
était peu probable à moins que la crise ne s'aggrave. Ayant établi le précédent
du « changement de régime » en Irak, les Etats-Unis ont sans aucun
doute encouragé d'autres pays à considérer les mêmes méthodes pour protéger
leurs intérêts économiques et stratégiques. De telles méthodes ne peuvent
qu'intensifier encore plus les rivalités et les conflits entre les puissances
régionales et internationales.