Ce n’est que dans un climat délibérément cultivé
d’hostilité envers les musulmans que les commentaires de Jack Straw s’opposant
aux femmes portant le voile complet peuvent être décrits comme une contribution
au « débat ».
L’article de Straw, ancien secrétaire travailliste
aux Affaires étrangères et leader de la Chambre des Communes, publié dans le Lancashire
Evening Telegraph, un quotidien local de circonscription électorale de
Blackburn, était une provocation calculée. Son article était un appel aux
préjugés et avait pour but de solidariser Straw avec les tentatives des cercles
gouvernementaux et des médias de générer l’islamophobie pour justifier la
propagande de guerre et les attaques sur les droits démocratiques en Grande-Bretagne.
Il n’y avait, en fait, aucun besoin pour que Jack Straw « commence »
un débat sur le port du voile complet. Au sein des musulmans, y compris les érudits
islamiques, il n’y a pas d’accord sur le voile complet, connu sous le nom de
niqab, et plusieurs s’y opposent. Il est généralement considéré comme une
préférence culturelle plutôt que comme une question de doctrine.
Auparavant, lorsque le sujet avait été discuté, le débat
était centré sur la question de savoir si le port du voile complet était un
choix libre de la femme ou bien s’il y avait un élément de coercition. La
considération principale était généralement d’insister sur la liberté de
pratique religieuse.
Straw a bâti sa chronique sur une tout autre base. Il s’est
opposé au port du voile complet parce qu’il ne l’aime pas personnellement et
déclare qu’il empêche des discussions face à face qui sont vitales pour assurer
la cohésion sociale.
Il a un nationalisme sous-entendu et calculé dans l’argument
de Straw. Il décrit sa rencontre avec un homme et sa femme de sa
circonscription. Elle était amicale, polie, respectueuse et présentait des « signes
qui semblent indiquer les liens communs — l’accent authentiquement britannique,
l’éducation du couple (entièrement au Royaume-Uni) ».
Cela était incompatible avec « la présence du voile »
qui le mis « mal à l’aise », écrit-il. Il a décidé qu’à l’avenir, il
demanderait aux femmes qu’il représente de retirer leur voile lorsqu’elles
viennent à son bureau de circonscription parce que son port rend « plus
difficile des rapports améliorés et positifs entre les deux communautés ».
Il y a, bien sûr, des considérations politiques personnelles
impliquées dans la publication de cet article. Straw a été remplacé en tant que
secrétaire aux Affaires étrangères par le premier ministre Tony Blair à la
demande pressante des Etats-Unis. Sa circonscription est musulmane à 30 pour
cent.
En mars, la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice,
a visité Blackburn et aurait dit au président Bush qu’elle n’avait pas confiance
que Straw prenne la ligne dure sur la soi-disant « guerre au terrorisme ».
Il avait déjà exprimé des réserves sur une attaque militaire contre l’Iran. Moins
de deux mois plus tard, Straw perdait son poste aux Affaires étrangères et était
rétrogradé au poste de leader de la Chambre des Communes.
Avec son commentaire, Straw visait à se refaire une crédibilité politique
auprès des cercles de droite et à définir ses objectifs pour la prochaine
course au leadership du Parti travailliste. Qu'il ait choisi de le faire en
jouant la carte des sentiments anti-musulmans en dit long sur le caractère du
Parti travailliste, mais aussi sur le climat politique qu'il a créé.
Straw savait que ses signaux allaient être bien interprétés par la droite.
Sa position a tout de suite été louangée par le Sun de Rupert Murdoch.
Ses commentaires rejoignent les affirmations du gouvernement selon
lesquelles il mènerait une lutte pour les valeurs civiles et les libertés
démocratiques contre l'extrémisme religieux. Blair a décrit sa politique
étrangère et intérieure comme « la partie d'une lutte entre ce que
j'appellerais l'islam réactionnaire et l'islam modéré, majoritairement
pratiqué. » Le ministre de l'Intérieur, John Reid, a fait des conférences
pour des parents musulmans, leur disant de se protéger contre les fanatiques
« qui voudraient former leurs enfants et leur laver le cerveau pour
exécuter des attentats-suicides. » Et à la conférence du Parti
travailliste, il a déclaré, sous des applaudissements, qu'il ne se laisserait
pas « persécuter » par des extrémistes musulmans.
La décision de Straw de s'attaquer au voile, tout en affirmant défendre l’hidjab,
est en accord avec ce genre de propagande. Ses commentaires pavent la voie à
toutes sortes d'attaques contre les musulmans, mais aussi à une intensification
du changement d'orientation de la politique traditionnelle britannique de
« multiculturalisme » en faveur du développement d'une
« identité nationale » prohibitive.
L'article de Straw imite d'autres déclarations faites par des ministres
gouvernementaux qui ont explicitement associé l'opposition à l'islam radical
avec des assertions sur l'échec du multiculturalisme. La secrétaire aux
communautés, Ruth Kelly, a affirmé qu'il encourageait la ségrégation, tout
comme Trevor Phillips, nommé par les travaillistes président de la Commission
pour l'égalité raciale.
Il ne fait aucun doute que la politique visant à « célébrer les
différences culturelles » a été utilisée par le passé pour encourager les
divisions dans la classe ouvrière, et que cette politique a été surtout
défendue par le Parti travailliste. Mais la soudaine découverte de tels
problèmes par le gouvernement n'est rien d'autre qu'une tentative pour
justifier un tournant vers la droite sur les questions de politique sociale et
de libertés civiles.
Montrant à quel point cette attaque est considérable, la BBC a donné un
exemple de « la marque britannique de multiculturalisme » — maintenant
remise en question — c'est-à-dire des lois « pour protéger les groupes en
minorité contre la discrimination religieuse et raciale », insinuant aussi
que le « débat » de Straw pouvait être élargi au port du turban par
les sikhs ou de la kippa par les juifs.
Les lois contre la discrimination religieuse ne sont pas des exemples du « multiculturalisme
britannique ». La liberté de culte est un droit démocratique fondamental
enchâssé dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.
Elle proclame que : « Toute personne a droit à la liberté de
pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de
changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa
religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par
l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. »
Après la Seconde Guerre mondiale et l'Holocauste nazi contre les juifs, plus
personne n'avait de doutes sur le caractère réactionnaire des tentatives
d'imposer une identité nationale commune sur la base des préjugés religieux ou culturels
qu'un groupe pouvait nourrir contre un autre.
Ces principes font maintenant l'objet d'attaques soutenues, avec les
musulmans étant le plus souvent les boucs émissaires commodes pour justifier
des mesures qui plus tard pourront être utilisées contre la population entière.
A travers l'Europe, des politiques sont en train d'être adoptées contre les
musulmans, comme l'interdiction du foulard islamique en France et dans certains
Etats allemands, et même le refus d'accorder des allocations d'aide sociale aux
femmes voilées dans certaines régions de la Belgique. Parallèlement à ceci, il
y a eu la publication des caricatures dépeignant le prophète Mohammed comme un auteur
d'attentat suicide — sous prétexte de la liberté d'expression — et des demandes
de l'Union européenne pour des lois réglementant ce qui peut être enseigné dans
les mosquées.
Comme dans les années 30, cette tentative d'empoisonner le discours social
en cultivant le racisme et la xénophobie est liée au retour du colonialisme
impérial par la bourgeoisie de l'Europe
Il y a peu d'hommes dans le monde aujourd'hui qui ont moins le droit
d'initier un débat sur le droit des femmes musulmans ou sur la cohésion sociale
que Jack Straw. Il devrait être classifié au côté de Blair, Bush et semblables
comme criminel de guerre et ennemi de la liberté démocratique.
Straw était ministre de l'Intérieur de 1997 à 2001 et ensuite ministre des Affaires
étrangères jusqu'en 2005. En tant que ministre de l'Intérieur il a présidé à
l'extension des lois antiterroristes et aux restrictions des procès devant
jury. Comme ministre des Affaires étrangères, il a joué un rôle crucial dans la
campagne de fabrication de mensonges et de désinformation développée pour
justifier l'invasion de l'Irak.
Ce sont ces considérations qui forment son intervention et animent la préoccupation
aujourd’hui à la mode au sein de la couche des libéraux et des sociaux-démocrates
envers l'oppression des femmes par l'Islam — dont on peut anticiper que certains
membres viendront à la défense de Straw. Les travailleurs doivent, au
contraire, s'opposer à toute tentative de nourrir les préjugés anti-musulmans,
et toutes propositions qui réduiraient la liberté de religion et civile. C'est
une composante essentielle de la lutte contre le militarisme et la guerre.