L’administration
Bush a répondu à l’annonce de lundi que la Corée du Nord avait testé un engin
nucléaire par des dénonciations et des menaces de nouvelles sanctions dures.
Alors que les gestes de Pyongyang sont certainement téméraires et menacent de
déclencher une dangereuse course aux armements dans le nord-est de l’Asie, la
plus grande part de responsabilité pour cet état de fait revient assurément à
la Maison-Blanche qui a délibérément attisé les tensions dans un but de
provocation dans la région au cours des cinq dernières années.
Le régime
nord-coréen, qui a annoncé le test la semaine passée, a prétendument informé
son allié chinois environ 20 minutes avant l’explosion de la bombe. Alors que
l’explosion nucléaire n’a pas été formellement confirmée hors de la Corée du
Nord, des stations sismiques aux Etats-Unis, en Corée du Sud et en Russie ont
enregistré une activité au temps et à l’endroit décrit dans l’annonce.
Plusieurs responsables américains ont suggéré que l’explosion a pu être faible,
indiquant peut-être un test manqué, mais les Russes l’ont estimé atteindre de 5
à 15 kilotonnes, soit environ la même puissance que la bombe que les Américains
ont lâchée sur Hiroshima en 1945.
Le
président américain George Bush a condamné le test comme « un geste de
provocation » et annoncé qu’il entreprenait d’obtenir une réponse
immédiate de l’ONU. Le premier ministre australien John Howard, un des premiers
à joindre sa voix au chœur des condamnations, a demandé des mesures sévères en
vertu du Chapitre 7 de la Charte de l’ONU, qui autorise les actions militaires
et les sanctions obligatoires. La Chine, qui a pressé la Corée du Nord de ne
pas faire son test, a condamné avec colère le geste « impudent » de
Pyongyang. Beijing craint en particulier que le Japon exploite le fait que la
Corée du Nord possède l’arme atomique comme un prétexte pour développer ses
propres armes nucléaires.
Washington
fait pression pour que le Conseil de sécurité de l’ONU impose rapidement les
sanctions économiques et politiques prévues au Chapitre 7 contre la Corée du
Nord, y compris un blocus sur les armes, le gel des ses avoirs financiers et
une interdiction de commerce sur les produits de luxe. Les Etats-Unis ont aussi
proposé que les Nations unies autorisent l’interception et l’inspection de tous
les cargos entrants ou sortants de la Corée du Nord sous le prétexte d’arrêter
la « prolifération ». En vertu de l’Initiative de sécurité contre la
prolifération établie en mai 2003, les Etats-Unis et ses alliés, y compris le
Japon et l’Australie, se sont entraînés pour intercepter les cargaisons
provenant de la Corée du Nord, de l’Iran et d’autres pays. La mesure onusienne
proposée va le plus loin possible sans imposer le blocus naval complet, un
geste qui constitue un acte de guerre.
La vague de
condamnation pue l’hypocrisie. La principale préoccupation de l’administration
Bush n’a jamais été les programmes nucléaires de la Corée du Nord. Dès les
premiers jours de sa présidence en 2001, le président Bush a renversé les
précédentes politiques visant à normaliser les relations avec la péninsule
coréenne sans nucléaire. Au lieu de cela, la Maison-Blanche a rapidement fait
monter les tensions avec la Corée du Nord comme façon d’arriver à un
« changement de régime » à Pyongyang et d’affirmer la domination
américaine dans la région, en opposition à la Chine en particulier, que Bush a
étiqueté compétiteur stratégique.
Alors que
les Etats-Unis dénoncent et menacent la Corée du Nord et l’Iran pour leurs
programmes nucléaires, ils laissent tacitement ses alliés, tels l’Inde, le
Pakistan et Israël, développer les armes atomiques et les missiles capables de
les transporter. Le Pakistan et l’Inde, qui ont mené leurs propres tests
nucléaires en 1998 et ignoré les protestations internationales qu’ils ont
suscitées, ont tous les deux émis des déclarations critiques de la Corée du
Nord et énonçant leurs préoccupations sur l’instabilité régionale.
L’administration Bush développe actuellement une nouvelle génération d’armes
nucléaires et a refusé de signer le Traité d'interdiction complète des
essais nucléaires.
Pyongyang a au plus une poignée d’armes nucléaires très
rudimentaires, alors que les Etats-Unis maintiennent le plus grand arsenal
nucléaire, dont une partie pointe vers la Corée du Nord depuis des dizaines
d’années. Alors qu’on peut douter que la Corée du Nord possède un système de
missiles pour transporter ses bombes atomiques, les Etats-Unis en comptent
plusieurs : des missiles de croisière et des missiles balistiques
intercontinentaux lancés à partir de sous-marins jusqu’aux armes nucléaires
tactiques, qui étaient, jusqu’à la fin des 1980, basées en Corée du Sud en tant
que partie des plans de bataille du Pentagone pour dominer la péninsule.
Dans sa déclaration, Bush a
affirmé que le test nucléaire de Pyongyang constituait « une menace à la
paix et la sécurité internationales ». En fait, la plus grande menace à la
paix et la stabilité internationales n’est pas le petit et pauvre État de la
Corée du Nord, mais les États-Unis. Durant les quinze dernières années, les
États-Unis ont exploité agressivement leur supériorité militaire pour mener une
série de guerres et d’actions militaires pour défendre les intérêts économiques
et stratégiques américains contre leurs rivaux européens et asiatiques.
Sous prétexte de
« guerre au terrorisme, » l’administration américaine a subjugué
l’Afghanistan et envahi illégalement l’Irak. De plus, Bush a exposé une
doctrine stratégique de « guerre préventive » contre tout pays qui
serait considéré comme une menace potentielle. De telles guerres d’agression
ont été le principal crime pour lequel les chefs nazis ont été jugés à
Nuremberg après la Deuxième Guerre mondiale. En 2002, Bush a fait de Pyongyang
l’une de ses premières cibles pour un « changement de régime »
lorsqu’il l’a ajoutée à son « axe du mal » aux côtés de l’Irak et de
l’Iran.
Dans le climat de profondes
tensions internationales créées par le militarisme américain, le test d’un
engin nucléaire par la Corée du Nord n’était pas vraiment inattendu. Hier, un
commentaire du Financial Times qui en
disait long a cité l’ancienne secrétaire d’État des États-Unis, Madeleine
Albright, qui avait déclaré au journal plus tôt cette
année : « Le message que l’on peut tirer de l’Irak est que si
vous n’avez pas d’armes nucléaires vous allez être envahis, et que si vous avez
des armes nucléaires vous ne serez pas envahis. » Bien que quelques armes
nucléaires rudimentaires n’offriront aucune défense contre une attaque
américaine concertée, l’invasion de l’Irak a sans aucun doute encouragé la
Corée du Nord à s’embarquer sur cette voie plutôt risquée.
Une réaction aux menaces américaines
De par les médias internationaux,
une très large couverture médiatique présente la Corée du Nord comme un État
voyou instable, et son chef KimJong
Il comme un fou irrationnel qui menace le monde avec des armes nucléaires. Le World
Socialist Web Site ne prend pas la défense du régime
stalinien de Pyongyang, pas plus qu’il n’appuie ses efforts pour accumuler un
arsenal nucléaire, mais il existe une logique claire derrière les actions de la
Corée du Nord. Mis à part son opposition creuse à l’impérialisme américain, le
dernier essai nucléaire marque une tentative désespérée pour forcer Washington
à cesser ses menaces de « changement de régime » et pour régulariser
les relations entre les deux pays.
L’impact dévastateur de la
guerre de Corée est gravé profondément dans les mémoires des chefs
nord-coréens. Sous la bannière de l’ONU, les États-Unis ont appuyé l’État
policier qui était leur pantin à Séoul et qui menaçait de manière provocatrice
Pyongyang, avant de lancer une invasion à grande échelle de la Corée du Nord.
L’armée américaine a littéralement rasé des villes et des villages nord-coréens
à l’aide de bombes et de centaines de milliers de litres de napalm. Environ
trois millions de Nord-Coréens furent tués ainsi
qu’un million de Sud-Coréens, près d’un million de
soldats chinois et plus de 50 000 soldats américains. Le général américain
Douglas MacArthur exigea que l’on utilise de 30 à 50 armes nucléaires pour
créer une « ceinture de cobalt radioactive » le long de la frontière
chinoise mais l’administration Truman l’en empêcha, craignant une réaction de
l’Union soviétique.
Pour plus d’un demi-siècle,
la Corée du Nord a dû faire face à une menace militaire américaine constante,
qui s’est amplifiée après l’effondrement de l’Union soviétique et à la fin de
la Guerre froide. Washington n’a jamais officiellement arrêté la guerre avec
Pyongyang et a maintenu son blocus économique sur le pays. En 1994,
l’administration Clinton était fin prête à attaquer la Corée du Nord sur ses
programmes nucléaires, avant de retraiter et de signer une entente connue sous
le nom d’Accord cadre (AgreedFramework).
Pyongyang accepta de suspendre l’activité de ses installations nucléaires en
retour de la normalisation des relations avec les États-Unis et d’une aide pour
construire des réacteurs nucléaires civils.
En 2000, la première
étape vers la détente a mené à une rencontre sans précédent entre KimJong II et le président
sud-coréen, KimDae-jung,
dont la soi-disant politique du Lever du soleil envisageait l’ouverture
de la Corée du Nord en tant que zone de main d’œuvre à bon marché et de
transport régional. Dans les derniers jours de l’administration Clinton,
le secrétaire d’Etat, Albright, a fait une visite
officielle à Pyongyang, rencontré KimJong II et avancé la possibilité d’établir des relations normales
entre les deux pays.
En accédant au pouvoir en
2001, l’administration Bush a immédiatement rompu les pourparlers avec la Corée
du Nord durant un réexamen de sa politique. Les républicains de droite avaient
régulièrement dénoncé l’entente cadre et l’administration Clinton pour être
trop mou avec la Corée du Nord. Dès le début, cependant, la Maison-Blanche
avait clairement laissé savoir qu’elle avait l’intention de serrer la vis à
l’« Etat voyou » avec pour objectif de
précipiter l’effondrement du régime. A la conclusion de son réexamen, en
juillet 2001, les Etats-Unis imposaient une série de conditions onéreuses à la
Corée du Nord comme prix pour la reprise du dialogue.
Ces actions ont miné la
politique du « Lever du soleil » et effectivement saboté l’entente
cadre. Non seulement Pyongyang était-il inclus dans « l’axe du
mal » des Etats-Unis, mais des sections d’un document du Pentagone, le
« Réexamen de la question nucléaire », coulé dans les médias en mars
2002, révélaient que les Etats-Unis étaient prêts à utiliser l’arme nucléaire
contre la Corée du Nord. Les tensions ont rapidement monté dans la
période menant à l’invasion de l’Irak dirigée par les Etats-Unis. Confronté aux
allégations américaines en octobre 2002 sur le programme d’enrichissement d’uranium,
la Corée du Nord a formellement abrogé l’entente cadre, s’est retiré du traité
de non-prolifération nucléaire, expulsé les inspecteurs nucléaires
internationaux et redémarré ses usines atomiques.
Le régime de Pyongyang a
continuellement répété être prêt à faire des compromis en retour de
négociations avec Washington. Depuis le début de 1990, son objectif central a
été d’obtenir une garantie officielle des Etats-Unis quant à sa sécurité et la
normalisation des relations, incluant la levée des blocus qui minent le
développement économique de la Corée du Nord et ont été dans une large mesure
responsable du manque dévastateur de nourriture. L’administration Bush a
catégoriquement refusé de s’adresser directement à Pyongyang, déclarant que les
Etats-Unis ne se soumettraient pas « au chantage » en
« récompensant les mauvais comportements » et déclaré à répétition
que « toutes les options sont sur la table » — ce qui inclus l’option
militaire.
Alors que la confrontation
se poursuivait, les Etats-Unis consentirent à une initiative de la Chine en
2003, pour des discussions à six, incluant les deux Corées, les Etats-Unis, la
Chine, le Japon et la Russie. Cependant, le but de Washington n’était pas de
négocier une entente avec la Corée du Nord, mais plutôt de mettre de la
pression sur les quatre autres afin qu’ils adoptent une attitude plus agressive
contre Pyongyang. Lors de la dernière ronde de discussion en septembre de l’an
dernier, les négociateurs américains ont finalement accepté une déclaration de
principes pour l’établissement d’un cadre pouvant mettre fin au blocage. Au
même moment, le trésorier américain a pris des mesures contre la Banco Delta Asia (BDA) basée à Macau, la
forçant finalement à geler les avoirs nord-coréens. Depuis, d’autres banques
ont été poussées à agir de la sorte, jusqu’à inciter Pyongyang à refuser de
participer aux discussions des six.
Il n’y a
pas de signe que l’administration Bush est sur le point de changer son attitude
agressive envers la Corée du Nord. Dans sa déclaration hier, Bush a dit que
Pyongyang demeurait « l’un des principaux disséminateurs mondiaux de
technologie des missiles », avec l’Iran et la Syrie, et avisait qu’un
transfert d’arme nucléaire ou de matériel, serait considéré comme une
« grave menace contre les Etats-Unis ». Le plan immédiat des
Etats-Unis est de poursuivre sa politique de sanctions au Conseil de sécurité
de l’ONU. Mais rien ne peut être écarté alors que l’administration Bush
exploite la crise à des fins politiques domestiques en prévision de l’élection
de novembre prochain.