Jeudi 5 octobre, à la mairie de Cachan au sud de Paris, les
représentants des 250 à 350 squatteurs, dont la plupart vivaient depuis 48
jours entassés dans un gymnase municipal ont accepté, sous la pression, un
protocole qui va les disperser sans qu’ils aient obtenu ce qu’ils exigeaient. Les
immigrés, pour la plupart africains, avaient été expulsés le 17 août de la
résidence universitaire de Cachan. Sur les 30 délégués des squatteurs, présents
à la réunion, 3 ont voté contre l’accord et 6 se sont abstenus.
Les squatteurs sans-papiers seront séparés de ceux qui ont un permis
de séjour. Leur lutte pour rester ensemble et arracher des autorités locale et
gouvernementale le droit de séjour et un logement décent pour tous a été
contrecarrée et les sans-papiers mis en danger.
Un élément de taille qui a forcé la main des représentants des
squatteurs est le destin des six grévistes de la faim, alors à leur 42e jour de
grève. Avec deux d’entre eux hospitalisés, les médecins ont prévenu que leurs
organes vitaux étaient dans un état critique. La grève de la faim est à présent
arrêtée.
Sarkozy satisfait
Des négociations se sont tenues en présence de représentants
du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy et de médiateurs des organisations
antiracistes LICRA (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme) et SOS Racisme.
Le maire socialiste de Cachan, Jean-Yves Le Bouillonnec y participait aussi.
Le Figaro du 6 octobre déclare « pour
la première fois depuis le début de cette crise, les anciens squatteurs… ont
accepté d’être relogés en plusieurs endroits » et que pour les sans-papiers
« il n’y a aucune garantie de régularisation ».
Sarkozy, principal candidat à l’investiture de l’UMP au
pouvoir (Union pour un mouvement populaire) aux élections présidentielles de
2007 s’est déclaré satisfait de cette issue. Elle est en effet tout à fait dans
la ligne de son objectif consistant à accélérer le rythme des déportations
d’immigrés sans-papiers pour atteindre les 25 000 cette année.
Le gouvernement s’est contenté d’assurer aux sans-papiers que
tant que leurs dossiers seraient en cours d’examen ils ne seraient pas arrêtés.
Un conseiller de Sarkozy a déclaré « Nous n’avons pris aucun engagement.
C’est la loi qui s’appliquera. »
La plupart des dossiers ont déjà été traités maintes fois et
ceux qui auraient pu être régularisés « ont déjà été repêchés ».
Quelques heures avant la réunion, le représentant des
squatteurs, Fidèle Nitiéma, avaient dit des propositions gouvernementales
précédentes, « On veut ainsi nous dispatcher dans des lieux différents
pour éclater le mouvement. »
En attendant que soient réexaminés leurs dossiers, les 158
sans-papiers identifiés seront dispersés dans quatre résidences gérées par
l’ONG France, Terre d’asile financée par l’Etat et se spécialisant sur
les demandeurs d’asile. 44 autres seront logés dans des foyers.
Pour les squatteurs expulsés ayant un permis de séjour, 120
places en foyer à Paris sont provisoirement mises à leur disposition, dans
l’attente de logements HLM permanents qui leur ont été promis dans diverses
communes du Val de Marne d’ici la fin du mois de décembre.
Le CROUS (Centre régional des œuvres universitaires et
scolaires) avait obtenu en 2004 une injonction de la cour pour l’éviction des quelque
mille personnes qui squattaient à cette époque sa résidence universitaire désaffectée,
le bâtiment F. Ce bâtiment était en train de se vider progressivement de ses
occupants quand l’expulsion brutale des quelque cinq à six cents personnes
restantes par les CRS s’est produite le 17 août.
Epuisés par 49 jours passés dans le refuge du gymnase bondé, inquiets
pour la santé de leurs enfants et craignant de voir mourir les six grévistes de
la faim, les délégués ont, sous cette pression, cédé.
La grève de la faim représente un acte de désespoir causé par
le fait que les partis de gauche n’ont pas mobilisé la classe ouvrière pour la
défense des squatteurs. Le président Jacques Chirac et le premier ministre
Dominique de Villepin ont dû intervenir pour trouver un accord avant de se
retrouver avec des morts sur les bras, mais ils l’ont fait en imposant leurs
conditions. Safie Ba, déléguée des femmes, a dit, pour expliquer la décision
d’accepter la proposition du gouvernement, « On ne voulait pas qu’il y ait
un mort. »
Le rôle de la
« gauche »
Le 1er septembre, lorsqu’il est apparu clairement que les
squatteurs ne quitteraient pas le gymnase que la municipalité de Cachan avait
mis à leur disposition deux semaines auparavant, le maire Le Bouillonnec avait
menacé d’obtenir un arrêté d’expulsion. Il fut ensuite contraint d’abandonner
cette menace face à l’opposition populaire, il proposa alors un logement
alternatif dans un immeuble de bureaux désaffectés appartenant au commissariat
à l’énergie atomique.
Les divers partis de gauche avaient alors concentré tous leurs
efforts dans un conflit de pure forme avec le préfet Bernard Tomasino, exigeant
que leur soit donnée l’autorisation de reloger les squatteurs dans l’immeuble
de bureaux de la commune voisine. Tomasino a révélé dans une conversation
téléphonique enregistrée que les maires et élus socialistes et communistes disposaient
en fait de logements alternatifs sous leur juridiction dans au moins deux
bâtiments vides, le collège de Vallenton et le Centre Cherioux.
Comme le déclare le tract des grévistes de la faim, « Nous
sommes tous les victimes d’un jeu politique mal calculé qui ne respecte pas le
moindre Droit de l’Homme. »
La LCR (Ligue communiste révolutionnaire) a joué un rôle
prédominant dans la campagne des squatteurs de Cachan. Mais ses appels à « un
logement, des papiers, une école pour tous » ont été subordonnés aux
alliances politiques de la LCR avec les forces au sein du Parti socialiste et
du Parti communiste qui ont joué un rôle essentiel dans l’isolement des
squatteurs.
Ce sont les deux médiateurs soi-disant « indépendants »
nommés par Sarkozy qui ont joué un rôle clé pour forcer les délégués des
squatteurs à accepter le protocole de jeudi. En fait, l’un des médiateurs,
Patrick Gaubert, président de la LICRA est aussi député au Parlement européen,
allié à l’UMP gaulliste au pouvoir. Gaubert s’intéresse particulièrement aux
mesures européennes contre l’immigration clandestine.
Un article de son site web rapporte que Gaubert a conduit une
délégation de députés européens qui s’est rendue aux Iles Canaries et a appelé
au renforcement de la force européenne contre l’immigration, Frontex, pour la
« protection des frontières extérieures » de l’Union européenne. De
1993 à 1995, il avait des responsabilités dans le gouvernement du premier
ministre Edouard Balladur, mentor de Sarkozy, et avait travaillé avec Charles
Pasqua, ministre de l’Intérieur, partisan acharné du tout sécuritaire.
Le second médiateur, Dominique Sopo, président de SOS Racisme,
entretient depuis longtemps des liens avec le Parti socialiste et avec Malik
Boutih, ancien président de l’association qui joue un rôle prépondérant dans
l’élaboration de la politique d’immigration du parti. Le programme du Parti
socialiste pour les élections de 2007 appelle à l’immigration contrôlée,
limitée aux personnes jugées économiquement utiles.
Le Figaro écrit du rôle joué par
Sopo : « Les familles se méfiaient des pouvoirs publics. Il les a
convaincus d’accepter une solution au cas par cas et de stopper la grève de la
faim quand le ministère de l’Intérieur lui a demandé de jouer les médiateurs. »
Bien que Gaubert et Sopo n’aient été officiellement nommés
médiateurs que le 4 octobre, cela faisait plus de deux semaines qu’ils
travaillaient de façon officieuse avec les représentants des squatteurs et
qu’ils étaient en contact régulier avec le personnel de Sarkozy.
Les partis de « gauche » et les associations pour la
défense des droits, les plus impliqués dans le mouvement des squatteurs, ont
tous qualifié l’accord de victoire. Le maire socialiste Le Bouillonnec a dit
que « l’Etat a accepté de comprendre leur défiance ». Le président
communiste du Conseil général du Val de Marne, Christian Favier a déclaré qu’« enfin
la raison… semble prévaloir. Je ne peux que m’en féliciter. » Le site web
du Parti communiste a proclamé « une victoire de la mobilisation » et
« un nouvel échec pour le ministre [Sarkozy] » La LCR a dit que la
mobilisation pour la défense des immigrés « commence à porter ses
fruits » et que « la preuve est faite qu’on peut faire reculer le
gouvernement. »
Richard Moyon de RESF (Réseau d’éducation sans frontière) a
dit « Le ministre a mangé son chapeau sur l’affaire de Cachan. » Le
DAL (Droit au logement) a déclaré « Le bilan d’étape de la lutte des 1000
de Cachan est d’ores et déjà positif... certains expulsés seront
régularisés. »
Jean-Louis Borloo, ministre de la Cohésion sociale, du travail
et du logement, et partisan de Sarkozy pour l’investiture de l’UMP, a rendu
hommage à ces associations en des termes très révélateurs. Il a dit qu’elles
étaient « des organisations très utiles pour notre pays… elles sont aussi
des thermomètres de la situation… l’essentiel, c’est qu’une solution ait été
trouvée. »