La décision qu’a prise la Géorgie le 3
octobre de relâcher les quatre officiers du renseignement russes, arrêtés la
semaine passée sous accusation d’espionnage, n’a pas diminué les hostilités
entre les deux Etats.
La Géorgie a remis les quatre officiers à l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). C’était une reculade pour
le gouvernement du président Saakashvili, mais qui a été réalisée avec
l’intention d’humilier Moscou.
La police géorgienne a fait parader les
quatre hommes devant les médias avant que leurs menottes ne leur soient
enlevées par un agent qui a ensuite lu à chacun d’eux un ordre de déportation.
Prenant la parole après que les officiers aient été remis, Saakashvilli a
déclaré « Nous ne pouvons pas être traités comme l’arrière-cour de
deuxième ordre d’une sorte d’empire naissant. »
Le gouvernement russe du président Vladimir
Poutine n’était pas prêt à faire des compromis et a répondu agressivement,
coupant pour une durée indéfinie tous les liens routiers, ferroviaires, aériens
et maritimes avec la Géorgie. Les vols de la Russie vers Tbilissi ont été
annulés et le ferry partant de Poti, un port sur la mer Noire, vers Sochi sur
les rives russes est resté au port.
Accueillant les quatre officiers à leur
retour au pays, le ministre de la Défense Segei Ivanov les a remerciés pour
« le courage et l’honneur dont ils ont fait preuve, si caractéristique des
officiers russes » avant d’annoncer que leur vol aura été « le
dernier vol de Géorgie cette année ».
La poste a aussi été suspendue entre les
deux pays et les transferts d’argent sont menacés de connaître le même sort.
Certains commerces géorgiens à Moscou ont été fermés, y compris un hôtel et un
casino appartenant à des Géorgiens qui ont été accusés de blanchiment d’argent.
Les législateurs russes débattent sur la
question de l’interdiction pour les Géorgiens vivant en Russie de faire
parvenir des sommes chez eux. On estime à un million le nombre des Géorgiens
vivant et travaillant en Russie (la population de la Géorgie est de 4,5
millions). Il envoie dans l’Etat caucasien de 1,5 à 2 milliards $ par année,
une somme comparable au budget total de l’Etat géorgien.
L’économie géorgienne doit déjà composer avec
un blocus sur ses trois principaux produits d’exportation — le vin, l’eau
minérale et les mandarines. Les mesures punitives imposées à la Géorgie vont
durer indéfiniment, selon le ministre de la Défense Sergei Ivanov.
L’OSCE, l’Union européenne et les Etats-Unis
ont demandé à la Russie de revenir sur sa décision et de retirer les sanctions
contre la Géorgie.
Le conflit entre la Russie et la Géorgie
menace de plonger les peuples du sud du Caucase dans une conflagration
sanglante. Il est difficile d’affirmer avec certitude si en arrêtant les quatre
officiers la Géorgie agissait avec l’accord préalable de Washington ou dans
quelle mesure Washington lui a demandé de revenir sur sa décision. Dans les
deux cas, la Géorgie agirait comme un mandataire des Etats-Unis poursuivant ses
intérêts géopolitiques dans la région.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a
blâmé les Etats-Unis et l'OTAN pour la crise, déclarant : « Nous
nous inquiétons du discours anti-russe émanant du leadership géorgien qui
sous-entend que la Russie est un ennemi. » Il a fait remarquer que les
« provocations » de la Géorgie s'étaient intensifiées depuis la
visite de Saakashvilli à Washington et a affirmé qu'il croyait que les plans de
la Géorgie d'adhérer à l'OTAN constituaient le véritable catalyseur de la crise
actuelle.
Le mois dernier, la Géorgie et l'OTAN ont convenu que
« l'intensification du dialogue » marquerait la première étape du
processus d'adhésion.
Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne avaient précédemment bloqué
un projet de déclaration russe au Conseil de sécurité des Nations unies blâmant
la Géorgie pour sa « provocation » et pour avoir posté des troupes
dans la province séparatiste d’Abkhazie.
Le 29 septembre, le porte-parole du département d'Etat américain,
Sean McCormack, a déclaré que les autorités américaines étaient d'avis que le
problème n'exigeait pas la participation de l'ONU et que les deux parties
devaient le régler elles-mêmes. Réagissant aux questions de la presse
concernant le rôle de l'administration Bush dans les récents événements, il a
affirmé : « J'ai vu des reportages de toutes les, vous savez,
diverses hypothèses de complot impliquant les Etats-Unis et la « main
invisible » des Etats-Unis. Elles ne sont tout simplement pas
vraies. »
Saakashvilli quant à lui a
déclaré : « Certaines personnes pourraient penser que nos
actions ont été coordonnées par Washington. Ce n'est pas vrai. »
Toutefois, de tels dénis ont peu de crédibilité. Des sources
géorgiennes se vantent continuellement de l'appui des Etats-Unis tandis que des
sources russes le dénoncent régulièrement.
L'analyste politique géorgien Ramaz Sakvatrelidze a
écrit : « Nous ne sommes pas seuls. Beaucoup d'autres pays
s'opposent à la Russie. Nous sommes engagés dans une lutte politique difficile,
mais nous avons des appuis, car nous sommes un adversaire de la Russie. »
Gia Khukhashvili, écrivant dans le Rezonansi, a insisté que « Les Etats-Unis
sont clairement notre partenaire stratégique et ils l'ont démontré à maintes
reprises par leur appui. Sans cet appui, nous serions aujourd'hui dans une
situation très difficile. »
Dans le Kommersant de Russie, Sergy Strokan a fait le
commentaire suivant : « La Géorgie, et pas seulement elle, est,
à court terme, assurée d'un appui américain massif. Cette assurance repose dans
la nouvelle rivalité entre Moscou et Washington, et dans ce contexte on devient
de plus en plus attentif aux événements impliquant des pays tiers. Cela n'a
plus d'importance qu'il s'agisse de la Géorgie ou de l'Ukraine, de la Syrie ou
de l'Iran, de la Chine ou du Venezuela. Les relations entre la Russie et les Etats-Unis,
qui reviennent au principe de la loi du talion, sont devenues une clé à la
compréhension d'une grande part de la politique internationale. »
Des membres du parlement russe ont demandé une action
militaire directe contre la Géorgie. Le leader à la Chambre haute Sergei
Mironov qualifiait les accusations d'espionnage « de charge de taureau ou
une frappe préventive particulière contre la Russie ».
La Russie a 4000 soldats et deux bases militaires en Géorgie.
2500 soldats supplémentaires sont déployés dans les provinces sécessionnistes
d'Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Avant la remise en liberté des quatre
officiers, le commandant des forces russes en Géorgie, le général Andrei Popov,
autorisait l'utilisation de la force mortelle — « tirer pour tuer » —
pour contrer l'agression géorgienne.
La Russie à l'intention d'écraser ce qu'elle considère être un
défi inspiré par les Etats-Unis à son autorité dans une zone considérée depuis
longtemps comme étant sa zone d'influence.
Dimanche dernier, avant la remise en liberté des
officiers, Poutine tenait une réunion d'urgence avec ses ministres ainsi que
les dirigeants de l’armée et des services du renseignement pour discuter de la
réponse de la Russie aux arrestations. Dirigeant son ire contre
Washington, il déclarait, « Ces gens croient que sous le toit de leurs
commanditaires étrangers, ils peuvent se sentir confortable… est-ce vraiment le
cas ? »
Répondant à l'intention déclarée de la Géorgie de joindre
l'OTAN, le ministre de la Défense Ivanov a dit le 22 septembre, « Nous
sommes activement en train de développer deux brigades alpines avec un
équipement à la fine pointe. Les deux brigades seront stationnées directement à
la frontière avec la Géorgie. Donc, la sécurité de la Russie ne sera pas
menacée si la Géorgie décide de joindre l'OTAN. »
La direction de la Géorgie accuse la Russie d'appuyer les deux
provinces sécessionnistes d'Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Le 30 septembre,
Poutine a rencontré Sergei Bagapsh et Eduard Kokity, les dirigeants respectifs
des deux régions, à Sochi, une villégiature à la mer Noire, à la frontière de
la Géorgie, a ce qui a été décrit comme étant un « forum d'investissement ».
Beaucoup de questions sont en jeu dans ce conflit. La région
du Caucase Sud est un point d'appui géographique pour tout le bloc continental
eurasien. La Géorgie est assise au centre du pipeline pétrolier de
Baku-Tbilissi-Ceyhan qui va de la mer Caspienne à la mer d'Azerbaïdjan pour se
terminer sur la côte méditerranéenne de la Turquie. Elle est située entre
la mer Noire et la mer Caspienne en périphérie immédiate du Moyen-Orient et de
l'Asie centrale, où la vaste majorité des réserves restantes d'énergie se
trouve.
Le gouvernement des Etats-Unis est déterminé à sécuriser son
contrôle sur le pétrole et le gaz de la mer Caspienne, qui constituent 3 ou 4
pour cent des réserves mondiales. Mais la Russie a démontré qu'elle est
autant déterminée à y maintenir son contrôle.