Une opération menée par le FBI la semaine passée a entraîné
la détention d’au moins 12 citoyens américains et canadiens accusés de
tentative d’achat d’armes illégales, de soudoyer des fonctionnaires américains
et de soutenir le groupe séparatiste sri lankais Tigres de libération de
l'Eelam tamoul (LTTE). Ces arrestations menées conjointement avec la
Gendarmerie royale du Canada et d’autres agences américaines et canadiennes
sont les premières depuis que les Etats-Unis ont ajouté en 1997 les LTTE à la
liste des organisations considérées terroristes.
Quatre Tamouls sont détenus depuis le 19 août alors qu’ils
auraient soi-disant tenté d’acheter des armes illégales à Long Island à des
agents du FBI qui se sont fait passer pour des marchands d’armes. Ces armes
auraient compris une centaine de missiles surface-air tirés à l’épaule SA-18 de
fabrication russe, 500 fusils d’assaut AK-47 et autres. Selon les agents du
FBI, les personnes arrêtées cherchaient à se procurer des missiles capables de
descendre le chasseur Kfir utilisé par l’armée sri lankaise pour mitrailler les
positions des LTTE dans l’actuelle guerre civile qui ne cesse de s’étendre dans
le pays.
Un autre groupe de Tamouls a été arrêté lors d’une seconde
opération et accusé de tentative de soudoyer des agents du FBI et de se faire
passer pour des fonctionnaires du département d’Etat américain en vue d’enlever
les LTTE de la liste américaine des organisations terroristes et d’obtenir de
l’information classifiée. Ce groupe est également accusé de « soutenir
matériellement les LTTE par voie de fourniture de matériel militaire, de
technologie à double usage, de levée de fonds et de blanchiment d’argent par le
biais de fausses organisations charitables et de comptes de banque
américains ».
Le FBI prétend que « les accusés sont étroitement liés
à la direction des LTTE » et que « beaucoup d’entre eux ont rencontré
en personne le leader des LTTE Velupillai Prabhakaran ». S'ils sont
reconnus coupables, ils font face à des peines d’emprisonnement pouvant
aller jusqu’à 35 ans. Tous ont plaidé innocent aux accusations et ont été
renvoyés en prison sans possibilité de cautionnement. Au Sri Lanka, le
porte-parole militaire des LTTE Rasaiah Ilanthiriyan déclarait à la presse :
« Nous n’avons aucun lien avec ces gens et cela n’est pas notre façon de
procéder ».
Le moment et la nature des détentions soulignent leur
caractère politique. Bien que certains de ces suspects soient sous surveillance
politique depuis plus de six ans, les autorités américaines ont attendu
l’amplification du conflit au Sri Lanka pour la première fois depuis 2002 pour
procéder à ces arrestations grâce à des opérations d’« achat
surveillé ». Bien que l’administration Bush appelle officiellement à un
arrêt des hostilités, ces arrestations sont un indice de plus qu’elle s’aligne
ouvertement sur le gouvernement sri lankais dans sa guerre contre les LTTE.
Le porte-parole sri lankais en matière de défense Keheliya
Rambukwella a qualifié ces arrestations comme étant un « appui tangible
dans la lutte mondiale contre la terreur » et a appelé l’Union européenne
faire de même en « serrant la vis aux LTTE ». Les groupes extrémistes
cingalais ont immédiatement louangé l’opération policière. Le dirigeant du
Mouvement national patriotique Elle Gunawansa a déclaré à la télévision
nationale que son groupe était « très content ». Un éditorial publié
dans le Island droitiste de la semaine passée soutenait que les
arrestations à New York démontraient que « les Etats-Unis commencent à
prendre des mesures concrètes dans leur politique anti-terroriste. On ne peut
que se réjouir du fait que les Etats-Unis continuent de progresser dans la
bonne direction ».
Commentant sur ce cas, le procureur général des Etats-Unis
Alberto Gonzales a déclaré : « Le complot à facettes multiples des membres
et supporters de l’organisation sri lankaise connue sous le nom des Tigres
tamouls démontre le besoin de faire preuve d’une vigilance constante dans la
guerre mondiale au terrorisme ». L’agent spécial du FBI responsable,
Leslie Wiser Jr. a signalé que l’« opération a sérieusement amputé les Tigres
tamouls de la possibilité d’acquérir des fonds et des armes pour leurs
opérations terroristes au Sri Lanka ».
L’inclusion des séparatistes tamouls des LTTE dans la
« guerre mondiale au terrorisme » souligne l’absurdité de la formule
« ramasse-tout » de l’administration Bush. Si les LTTE tentent
d’acheter des missiles surface-air, c’est justement pour abattre les avions de
combat qu’utilise l’armée sri lankaise pour frapper ses positions et terroriser
sans retenue la population locale. Le 14 août , la force aérienne a en effet
bombardé un supposé camp d’entraînement des LTTE, tuant alors 61 étudiants
adolescents assistant à un cours de premiers soins.
Les arrestations du FBI sont survenues immédiatement après
la visite du haut fonctionnaire du secrétariat d’Etat américain Steven Mann au
Sri Lanka le 17 août. Mann a alors rencontré le président sri lankais Mahinda
Rajapakse et le commandant de l’armée, le lieutenant-général Sarath Fonseka,
acceptant de facto leurs fausses déclarations selon lesquelles les opérations
de l’armée étaient « défensives ». Après des mois de provocations
secrètes, les militaires ont lancé une offensive majeure le 26 juillet pour
capturer la vanne d’irrigation de Mavilaru en territoire LTTE, en violation
flagrante du cessez-le-feu de 2002. Les combats se sont depuis étendus avec les
représailles des LTTE.
Mann a déclaré que « les LTTE assument une
responsabilité directe, claire et immédiate pour mettre fin aux
hostilités ». Puis dans un commentaire démontrant l’appui de Washington à
la guerre de Rajapakse contre les LTTE, il a ajouté que les Etats-Unis ne
voulaient pas se voir demander « si nous le combattons [le terrorisme] mondialement,
pourquoi ne le faisons-nous pas ici au Sri Lanka ? »
Les politiques américaines
L’appui de l’administration Bush à la guerre contre les
LTTE marque un certain changement d’orientation tactique. En 2002, les Etats-Unis,
parallèlement aux autres grandes puissances, ont appuyé la signature d’un
cessez-le-feu et la tenue de négociations entre les LTTE et le gouvernement du
Parti de l’unité nationale pour mettre fin à 20 ans de guerre civile.
L’appui de Washington au supposé processus de paix, alors
même que ses troupes occupent militairement l’Afghanistan, n’a jamais été émis
suite à des préoccupations quant au sort de la population sri lankaise. La
guerre dans ce pays continue plutôt d’être un facteur déstabilisant et
dangereux pour le sous-continent indien où les intérêts économiques et
stratégiques des Etats-Unis assument une importance croissante, notamment en
Inde.
Les Etats-Unis, qui maintiennent les LTTE sur leur liste
d’organisations terroristes, insistent sur le fait que les LTTE ne peuvent jouer
qu’un rôle limité dans un règlement politique du conflit. Ils s’opposent à sa
demande pour un Etat séparé du Tamil Eelam et ont appelé à plusieurs reprises
cette organisation de guérilleros à renoncer officiellement à la violence et à
commencer à se désarmer, avant même qu’un accord politique final ne soit
conclu.
Suite à l’avortement des pourparlers de paix en 2003 et au
limogeage du gouvernement de l’UNP en 2004, l’administration Bush a appuyé une
prise de position plus agressive contre les LTTE, plus particulièrement depuis
l’élection de Rajapakse à la présidence en novembre dernier.
Le changement de position de Washington s’est exprimé en
janvier lors du discours de l’ambassadeur américain Jeffrey Lunstead devant la
chambre de commerce américaine au Sri Lanka. Dans une mise en garde directe au
LTTE, il a déclaré : « si les LTTE choisissaient d’abandonner la
paix, nous voulons être clairs : ils auront à faire face à une armée sri
lankaise plus puissante, plus capable et plus déterminée. Nous voulons que le
coût de tout retour à la guerre soit élevé. »
Lunstead a nommé une série mesures que les Etats-Unis
prendraient alors. « De par nos programmes d’entraînement et d’assistance
militaires, y compris nos efforts en matière d’initiatives anti-terroristes et
pour bloquer les transactions financières illégales, nous contribuerons à
permettre au gouvernement sri lankais de protéger son peuple et de défendre ses
intérêts ».
Des officiers supérieurs du commandement américain pour le
Pacifique Sud ont régulièrement visité le pays pour évaluer la situation
militaire du Sri Lanka, faisant même une tournée des lignes des fronts du nord
et de l’est. Depuis le début de l’année, les Etats-Unis ont poussé le Canada et
l’Union européenne à interdire les LTTE en tant qu’organisation terroriste,
amputant ainsi sérieusement ses possibilités de recueillir un appui politique
et financier au sein de la vaste diaspora des réfugiés tamouls.
Loin de faire la promotion de pourparlers de paix, la
coopération politique et militaire croissante de Washington ne fait
qu’encourager le gouvernement sri lankais et ses forces armées, de même que les
divers groupes extrémistes cingalais, à adopter une position encore plus
agressive envers les LTTE. En retour, l’administration Bush recherche l’appui
de Colombo dans ses ambitions mondiales. Des négociations ont déjà commencé
pour conclure un accord de prestation de services et d'acquisition qui
donnerait à l’armée américaine un vaste accès aux ports et aéroports du Sri
Lanka, ainsi qu’à son espace aérien.
Suite aux arrestations effectuées par le FBI la semaine
passée, plusieurs commentaires ont été émis soulignant le potentiel stratégique
du Sri Lanka pour les Etats-Unis. Le groupe de réflexion américain Stratfor,
qui entretient des rapports étroits avec l’armée américaine et le monde du
renseignement, a publié un commentaire vendredi passé intitulé « Le Sri
Lanka : un potentiel stratégique en attente », dans lequel il disait :
« Le Sri Lanka est près de nombreux points chauds
géopolitiques. La position et l’influence de l’Inde ne cessent de croître dans
le système international, tandis que le Pakistan et le Bangladesh voisins
luttent contre le militantisme islamiste. L’armée américaine comprend l’utilité
de la proximité du Sri Lanka de ces pays. En 2002, Washington et Colombo ont
signé un vaste accord de défense selon lequel le Sri Lanka permet aux navires
américains d'accoster et de se ravitailler dans les ports du pays en échange de
formation et de matériel militaire. Les navires américains participant aux
opérations afghanes, tel le USS Sides, peuvent ainsi utiliser le port de
Colombo dans le cadre de cet accord ».
L’article met en relief l’importance stratégique de Trincomalee, port en eau
profonde du Sri Lanka sur la cote est, qui est au milieu des combats actuels.
« Si la paix venait à être établie, Trincomalee figurerait sûrement sur la
liste des militaires américains, puisqu’il s’agit de l’un des ports naturels
les plus profonds au monde. » Stratfor met en garde contre le fait que si
les Etats-Unis refusaient leur aide, d’autres puissances se présenteraient
sûrement. « La Chine et le Pakistan entre-temps, ont reconnu
l’utilité d’assister le gouvernement sri lankais dans sa lutte contre les
Tigres de façon à être présent dans la cour arrière de l’Inde. »
Que les Etats-Unis se préparent à appuyer politiquement et
militairement une offensive totale contre les LTTE reste à voir. Cependant, les
dernières arrestations du FBI et les indices d’actions à venir pour couper le
soutien international au LTTE et ses lignes de ravitaillement ne font
qu’encourager le gouvernement Rajapakse à intensifier ses actions militaires
qui plongent déjà son pays dans une guerre civile effrénée.