Dans une tentative de soutenir ses intérêts au Moyen-Orient
et de renforcer ses rapports avec l’Europe, Beijing expédiera jusqu’à mille
soldats pour renforcer les forces de l’ONU au Liban. Ce sera la plus grande mission
de « maintien de la paix » de la Chine depuis qu’elle a été impliquée
dans une opération de l’ONU pour la première fois à la fin des années 1980.
Le premier ministre chinois Wen Jiabao a annoncé le
déploiement lors d’une conférence de presse donnée à l’occasion de sa visite au
premier ministre italien Romano Prodi le 18 septembre. « La Chine est très
préoccupée par la situation au Liban et espère que le problème pourra être
entièrement résolu », a déclaré Wen. Il a aussi annoncé que la Chine
doublait son aide financière qui atteint maintenant 5 millions $.
Le contingent chinois comprend 240 ingénieurs qui sont déjà
au Sud-Liban dans la Force intérimaire des Nations unies au Liban, la Finul. Avant
l’invasion israélienne en juillet, la Chine avait envoyé 180 observateurs
militaires dans la région qui furent sa première force de « maintien de la
paix » au Moyen-Orient.
L’administration Bush a appuyé l’assaut israélien qui a fait
1200 morts, principalement des civils libanais, pour avancer les intérêts
américains contre la Syrie et l’Iran. L’assaut faisait partie d’une stratégie
pour élargir la guerre au Moyen-Orient dans le but de dominer la région riche
en pétrole. Après que l’armée israélienne eut échoué à détruire la résistance
contrôlée par le Hezbollah, Washington et Tel-Aviv ont accepté le « cessez-le-feu »
proposé par les Européens dans la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU.
Malgré qu’elle détienne un droit de veto au Conseil de
sécurité de l’ONU, la Chine n’a rien fait lorsqu’Israël a attaqué le Liban. Ce
n’est que lorsqu’un observateur chinois pour l’ONU, Du Zhaoyu, a été tué avec
trois autres observateurs par les bombardements israéliens d’un poste de l’ONU
le 24 juillet que Beijing a menacé de présenter une résolution condamnant les
gestes d’Israël. Chine est rapidement abandonné cette position sous la pression
des Etats-Unis, pour ensuite se rallier à la résolution 1701. Comme les
puissances européennes, elle était profondément préoccupée que l’escalade du
conflit régional vienne miner les intérêts de la Chine pour le pétrole.
Avec une force de l’ONU prise en tenailles dans une zone
hostile et sans possibilité de désarmer le Hezbollah, plusieurs pays ont hésité
à envoyer des soldats dans la région. A ce jour, seulement 5000 soldats,
surtout Italiens et Français, ont été déployés, beaucoup moins que l’objectif
révisé de la Finul de 15000 soldats.
Au début, Beijing n’avait offert que 240 ingénieurs. Toutefois,
la Chine a rapidement exploité la situation pour faire pression sur la France,
l’Italie et les autres puissances européennes pour la levée de l’embargo sur
les armes en provenance de l’Union européenne imposé à la Chine après le
massacre de la place Tienanmen en 1989.
Le déploiement chinois relativement important est un appui
politique de taille aux opérations de la France, de l’Italie et de l’Allemagne au
Liban. Les troupes de la Chine, qui a établi des relations diplomatiques avec
Israël en 1992, sont considérées par le régime sioniste comme plus acceptables que
les troupes de pays musulmans asiatiques comme le Bangladesh ou l’Indonésie.
En fait, Israël fait de très bonnes affaires avec la Chine en lui
fournissant des technologies militaires occidentales qui sont officiellement
proscrites par l'embargo sur les armes. Le nouveau chasseur F-10 de la Chine,
par exemple, est basé sur un modèle développé par Israël et financé par les
États-Unis durant les années 1980.
Le président français Jacques Chirac, un de ceux qui encouragent le plus la
levée de l'embargo, a salué la décision chinoise en la qualifiant de
« contribution non négligeable. » En 2004, en tant que président de
la Commission européenne, Prodi souhaitait empêcher toute levée d'embargo,
faisant référence à la réputation de la Chine sur le respect des « droits
de l’homme ». Le mois dernier à Pékin, en tant que premier ministre italien,
il a déclaré que l'Italie « souhaitait que l'embargo soit levé » et
il a demandé que le problème soit résolu « le plus rapidement
possible. »
Les conflits pour mettre un terme à l'embargo occidental sur les armes en
Chine, en vigueur depuis 17 ans, montrent l'existence de tensions
internationales croissantes. Sous des pressions de plus en plus importantes des
États-Unis, la Chine recherche de nouveaux alliés dans l'Union européenne.
Inquiétés par l'impact de l'agression américaine sur les intérêts européens au
Moyen-Orient, certains à l'intérieur des cercles dirigeants européens voient la
Chine comme un contrepoids potentiel aux États-Unis. Au cours des dernières
années, la France et l'Allemagne appuyaient une levée de l'embargo sur les
armes en Chine, mais n'étaient pas prêtes à s'opposer aux États-Unis, qui eux
se sont toujours opposés à ce que cela soit fait.
La Chine et son « maintien de
la paix »
Comme les autres puissances, la Chine ne déploie pas de troupes au
Moyen-Orient pour la « paix », mais pour défendre ses propres
intérêts, et particulièrement en s’assurant des sources en énergie. La Chine
vient tout juste de commencer un projet sino-syrien d'exploitation pétrolière
au nord-est de Damas, par la Kawkab Oil Company. Avant de visiter la Chine, Prodi
avait significativement fait référence aux intérêts de Beijing qui étaient en
jeu : « C'est un gros importateur de pétrole de l'Iran ; ne
pensez qu'à la dépendance énergétique de la Chine envers toute cette
région. »
On ne peut savoir clairement ce que les troupes chinoises feront au Liban.
Les équipes d'ingénieurs sur place s'affairent au déminage. Même si les
« gardiens de la paix » chinois vont probablement éviter toute
opération de grande envergure, leur seule présence marquera le début d'une augmentation
des interventions militaires chinoises ailleurs.
Les médias chinois d'Etat et la caste militaire ont salué la mission de paix
au Liban comme un tournant dans la politique étrangère chinoise. Un général de
renom, Peng Guangqian, a accueilli la nouvelle. « Cela correspond au
nouveau profil international de la Chine et à ses responsabilités croissantes…
Les 2.3 millions de soldats Chinois veulent jouer un rôle important dans la
préservation de la paix dans le monde et favoriser le développement
commun, » a-t-il dit à l'agence de nouvelles officielles de Xinhua le 21
septembre.
Après la révolution de 1949 en Chine, le régime maoïste à chercher l'appui
de différents mouvements de « libération nationale » en Asie, en
Afrique et en Amérique latine. Sa rhétorique anti-impérialiste, comme sa fausse
prétention d'être socialiste, visait en premier lieu à maintenir un appui
domestique. Après avoir réussit à se rapprocher des Etats-Unis en 1971 et pris
un siège au Conseil de sécurité de l'ONU, la direction chinoise avait
initialement refusé toute mission de paix, craignant qu'une intervention
militaire outre-mer ne provoque une opposition intérieure.
En 1979, lorsque Deng Xiaoping se tourna ouvertement vers le marché
capitaliste, la diplomatie chinoise prit également un virage brusque. Elle mena
une guerre frontalière contre le Vietnam à la demande des Etats-Unis. Beijing
abandonna graduellement sa rhétorique de défense des masses au Moyen-Orient, en
Afrique et ailleurs. Elle participa pour la première fois à une opération
de l'ONU en Namibie durant l'année 1989, la même année que le massacre de la
classe ouvrière de la place Tienanmen.
Alors que le capital international entrait à flot et que l'économie de la
Chine croissait rapidement durant les années 1990, ses missions de l'ONU
prirent de l'expansion à des endroits tels que le Timor-Oriental, le Liberia et
le Congo. Selon le ministre de la Défense de la Chine, elle a envoyé plus de 6000
personnes dans 15 missions de l'ONU depuis 1990, faisant de la Chine le plus
important contributeur des 5 puissances ayant un droit de veto sur le Conseil
de sécurité.
« Les responsabilités croissantes » de Beijing en déployant des
troupes au Liban, reflète les aspirations de l'élite capitaliste chinoise émergente
pour un plus grand rôle dans le monde. Au milieu d'une croissance des
inégalités sociales croissantes, Beijing exploite également les missions de
l'ONU pour nourrir l'image « d'une grande puissance » et pour
promouvoir le nationalisme au pays. Le bien-être des gens autour du monde est
la dernière des considérations de la direction chinoise.