L’effondrement
ce week-end d’un viaduc au nord de Montréal, qui a causé cinq morts et quatre
blessés graves, est le résultat des années d’indifférence et de négligence des
élites dirigeantes face à la détérioration continuelle des infrastructures du
pays.
C’est peu
après midi, samedi, qu’une dalle du viaduc Concorde, d’une trentaine de mètres
de long sur trois voies de large, s’est soudainement effondrée sur l’autoroute
Papineau de Laval, en banlieue nord de Montréal, écrasant deux véhicules et
leurs cinq occupants.
Même si
toutes les circonstances de l’effondrement ne sont pas encore connues, les
informations rendues publiques jusqu’ici attestent de la négligence criminelle
de la part des autorités.
Plus d’une
heure avant l’incident, des automobilistes ont contacté les services d’urgence
pour signaler la présence de blocs de béton sur la chaussée de l’autoroute en
contrebas du viaduc, et quelques minutes avant l’effondrement même, un
automobiliste avait signalé que le tablier était descendu de plusieurs
centimètres aux joints entre le tablier et la chaussée.
Une
vingtaine de minutes après le premier appel, un patrouilleur du ministère des
Transports du Québec s’est rendu au viaduc. (Les patrouilleurs n’ont pas de
formation spéciale pour inspecter les infrastructures routières et sont chargés
de retirer les débris sur les autoroutes.) Il a demandé une inspection le plus
rapidement possible, mais on lui aurait répondu qu’un inspecteur s’y rendrait
lundi, soit deux jours plus tard. Quelques minutes plus tard, le viaduc
s’effondrait.
Les
autorités gouvernementales ont vite cherché à éluder leur propre
responsabilité. Dès dimanche, Jean Charest, le premier ministre libéral du
Québec, déclarait que l’effondrement du viaduc Concorde était
« inexplicable ».
Un point de
vue similaire a été adopté par les médias officiels. L’éditorialiste en chef de
La Presse, le plus important quotidien francophone du Canada, a écrit par
exemple : « Absolument rien n’indique qu’une décision politique, de
ce gouvernement ou des gouvernements précédents, soit à l’origine de ce qui
s’est passé samedi. »
Il en est
tout autrement de la réaction populaire, marquée par la colère et l’indignation
envers les autorités, comme en atteste un écriteau écrit à la main et déposé
aux abords du lieu de la tragédie, sur lequel on pouvait lire : « Aux
victimes de leurs incompétences ».
L’incompétence
indéniable des autorités est liée à un programme social bien défini, dont les
porte-parole gouvernementaux, aidés des médias de la grande entreprise,
cherchent à effacer toute trace.
Peu après les tragiques événements de samedi, le ministre des
Transports, Michel Després, affirmait par exemple que
les quelque 5000 structures
similaires au viaduc de Concorde étaient régulièrement inspectées en profondeur
et que les sommes allouées par son gouvernement à
l’infrastructure routière avaient doublé depuis trois ans.
Ce que le
ministre passe sous silence, c’est qu’une inspection « en
profondeur » du viaduc Concorde effectuée il y a seulement un an n’avait
détecté aucune anomalie, ce qui met un gros point d’interrogation sur la nature
des inspections tant vantées par Després.
Quant à la
hausse du budget pour l’infrastructure routière, elle
est nettement en deçà des besoins. Dans son rapport 2003, le
vérificateur général du Québec a consacré un chapitre au ministère des
Transports, lequel « n’a répondu, pour les trois dernières années, qu’à 66 p.
cent des besoins qui avaient été enregistrés concernant l’entretien préventif
et l’entretien courant » des ponts. Du reste, souligne le rapport,
« ces besoins sont sous-évalués, étant donné qu’ils ne sont pas tous bien
inscrits dans le système ».
Dans son
dernier rapport annuel, le ministère des Transports (MTQ) admet lui-même qu’à
peine un pont sur deux est en bon état. Selon les chiffres du MTQ, seulement
58,7 pour cent des viaducs étaient jugés en bon état en 2001-2002. Il n’y en
avait plus que 54,8 pour cent trois ans plus tard. Une centaine de ponts
étaient dans un état jugé « alarmant » et 1 pont sur 12 était en
« mauvais état ».
L’enquête
publique annoncée par le premier ministre Charest a pour but d’éviter les
questions fondamentales concernant le sous-financement
chronique et l’indifférence des élites à la dégradation des infrastructures.
Son mandat sera limité à l’effondrement du viaduc Concorde, sans regarder de
près l’état de l’ensemble des infrastructures. Il sera présidé par une figure
de l’establishment, l’ancien premier ministre péquiste, Pierre-Marc
Johnson.
L’événement
tragique de la fin de semaine est le dernier d’une longue séquence de
manquements de l’infrastructure de base.
Il y a six
ans, les poutres de soutien d’un autre viaduc de Laval en construction
se sont effondrées sur l’autoroute qu’elles enjambaient, tuant une personne sur
le coup. Suite à cela, des promesses avaient été faites par les autorités que
toutes les mesures seraient prises pour assurer la sécurité du réseau routier
de la province, mais visiblement elles sont restées lettre morte.
Plus
sérieux encore, en mai 2000, les autorités n’ont pas averti assez vite les
habitants de Walkerton en Ontario que leur
approvisionnement en eau avait été infecté par la bactérie e-coli
provenant des fermes usines non réglementées. Les facteurs clés dans ce ratage
avaient été la récente privatisation des tests de l’eau par le gouvernement
conservateur ontarien et les centaines de millions de compressions
budgétaires qu’il avait faites dans le budget du ministère de l’Environnement.
En 2005,
des centaines de résidents vivant dans de terribles conditions dans une réserve
amérindienne à Kashechewan en Ontario ont été
évacuées d’urgence à cause de la mauvaise qualité de l’eau qu’ils devaient déjà
faire bouillir depuis deux ans.
Toute
proportion gardée, il existe un parallèle entre l’effondrement du viaduc
Concorde et l’inondation de la Nouvelle-Orléans causée par l’ouragan Katrina.
Dans les deux cas, les élites sont restées indifférentes pendant des années
devant l’inadéquation des infrastructures, qui était connue et documentée par
les organismes gouvernementaux eux-mêmes. Ces événements sont l’expression d’un
même climat politique : toute la politique sociale doit être orientée vers
l’enrichissement d’une minorité possédante au détriment des besoins sociaux de
la grande majorité.