La tentative très médiatisée du président
américain George Bush de réconcilier mercredi passé deux alliés des Etats-Unis
— le président afghan Hamid Karzaï et le président pakistanais, le général
Pervez Musharraf — semble n’avoir rien donné.
Avant de se rendre à la Maison-Blanche pour
un dîner de bar et de soupe, les deux dirigeants se tenaient très raides aux
côtés de Bush, refusant même de se serrer la main. Au même moment, Bush
décrivait l’évènement comme « une chance pour nous de faire de la
stratégie ensemble ». Mais le dîner ne s’est pas terminé par une
déclaration commune ou une nouvelle stratégie.
Le porte-parole de la Maison-Blanche, Tony
Snow, a dit aux médias que les deux dirigeants s’étaient mis d’accord pour une
plus grande coopération dans le but d’« échanger des renseignements [et de]
coordonner leurs actions contre les terroristes ». Toutefois, ses
commentaires ont provoqué de nouvelles disputes entre les responsables afghans
et pakistanais sur leur interprétation, faisant écho aux bagarres très
publiques de la semaine dernière.
Les médias américains et internationaux ont
généralement minimisé la signification de cette affaire, la décrivant comme
« une querelle » entre deux « alliés ». Cet épisode pointe
non seulement au désastre en Afghanistan avec les troupes des Etats-Unis et de
l’OTAN affrontant un feu de plus en plus nourri des forces d’opposition à
l’occupation, mais aussi à l’impact profondément déstabilisant de l’invasion de
la région sous direction américaine.
Karzaï a déclenché la dispute en déclarant que le Pakistan
devrait fermer ses « sources de haine » – les écoles islamiques du
pays, ou madrasas. Il a poursuivi en exprimant son scepticisme au sujet d’une
trêve signée plus tôt au mois de septembre entre le gouvernement pakistanais et
les chefs des tribus du nord du Waziristan. Par des pressions de Washington,
l’armée pakistanaise a envoyé 70 000 soldats dans les régions occupées par
la tribu pachtoune, qui étaient avant cela autonomes, près de la frontière
afghane, afin de réprimer toute sympathie locale et tout appui pour la milice
anti-occupation qui combat actuellement en Afghanistan.
Bien que Musharraf ait présenté le pacte de non-agression
comme un triomphe, cela a été une retraite humiliante, à la suite de mois de
combats sanglants, dans lesquels des centaines de soldats pakistanais ont été
tués. L’armée a retiré ses troupes du Nord-Waziristan et le gouvernement a
offert des compensations, en retour d’une fragile promesse que les forces
tribales allaient empêcher les déplacements des insurgés anti-américains à
travers la frontière.
Les commentaires de Karzaï sur le pacte du nord du
Waziristan faisaient suite à des critiques répétées de généraux américains, de
représentants et de diplomates qui ont blâmé le Pakistan pour l’intensification
de l’insurrection en Afghanistan et qui ont demandé à Musharraf d’agir plus
durement pour empêcher les infiltrations à travers la frontière. Mais ces
accusations sont marquées d’une grande hypocrisie. Après tout, dans les années
80, la CIA a armé et entraîné des groupes islamiques basés au Pakistan qui
traversaient la frontière d’une perméabilité notoire pour aller combattre le
régime pro-soviétique à Kaboul.
Les guérillas anti-occupation se servent assurément du
Pakistan comme d’un asile. Toutefois, la principale raison de la montée des
attaques contre l’occupation menée par les États-Unis est l’hostilité largement
répandue parmi la population afghane face aux méthodes répressives de l’armée
américaine et au gouvernement Karzaï qui a clairement échoué à réagir à la
terrible crise sociale et économique. Et par conséquent, il ne manque pas de
recrues afghanes pour joindre les rangs de l’insurrection.
Musharraf a répliqué publiquement à Karzaï, déclarant que
l’Afghanistan était un État en faillite et rejetant les affirmations
qu’al-Qaïda et les talibans opéraient du Pakistan. « Rien de tout cela
n’est vrai et Karzaï le sait », a-t-il affirmé à CNN. « Il sait que
le trafic de drogue finance les talibans. Il sait que ce n’est pas un problème
créé par le Pakistan, mais il ferme les yeux. Il est comme une autruche avec la
tête enfouie dans le sable. » Son mépris déclaré pour Karzaï était une
tentative pour lui de prendre ses distances d’une personnalité perçue à travers
la région comme un pantin des États-Unis.
Les commentaires de Musharraf reflètent la position
politique difficile dans laquelle l’invasion américaine de l’Afghanistan l’a
placé. De larges couches de la population le perçoivent comme un laquais des
États-Unis parce qu’il appuie la « guerre au terrorisme ». Malgré son
appui pour renverser le régime taliban et capturer les militants, Musharraf
doit subir sans relâche les pressions américaines pour en faire encore plus. Et
malgré cela, son régime doit compter sur l’appui d’une alliance de partis
islamiques.
De manière significative, Bush a endossé publiquement
l’entente de Musharraf au Nord-Waziristan, et ce, malgré l’évidente opposition
du Pentagone et des alliés de l’OTAN. Mercredi, la journée du dîner à la
Maison-Blanche, un officier de l’armée américaine a déclaré aux médias que les
attaques dirigées contre les troupes américaines et alliées en Afghanistan
avaient triplé depuis que la trêve avait été signée. Jeudi, un rapport de la
Defence Academy de Grande-Bretagne a été divulgué à la presse, prétendant que les
services de renseignement militaires pakistanais (ISI) appuyaient indirectement
les talibans.
Néanmoins, Bush a accueilli Musharraf à la Maison-Blanche
comme « un bon ami » et a tenté d’arranger sa relation avec le
président afghan. Cette approche prudente reflète de véritables préoccupations
à Washington à propos de la stabilité du régime pakistanais et la crainte des Etats-Unis
à propos de l’influence croissante des partis islamistes au Pakistan. L’appui
de Washington à Musharraf est conditionnel cependant à ce qu’il continue à se soumettre
aux ordres des Etats-Unis. Ce qui veut dire, saper sa propre base d’appui — une
situation, qui, à long terme est insoutenable.
L’échec du dîner de la Maison-Blanche à résoudre le conflit
entre Karzaï et Musharraf souligne le caractère téméraire de l’aventure
militaire de l’administration Bush en Afghanistan. L’attaque du 11 septembre a
procuré un prétexte commode pour la poursuite des ambitions de Washington de
sécuriser sa domination économique et stratégique au Moyen-Orient et dans
l’Asie centrale. L’Afghanistan, localisé entre deux régions riches en pétrole, semblait
un bon premier pas.
Cette stratégie est en lambeaux. L’administration Bush fait
face à une insurrection armée en expansion en Afghanistan. L’invasion a
également sérieusement affaibli Musharraf, un allié clé des Etats-Unis, et
menace de miner les efforts de longue date d’atténuer la rivalité entre le
Pakistan et l’Inde. Le conflit entre les deux rivaux de l’Asie du Sud entre en
conflit avec les plans de l’administration Bush de forger une alliance
économique plus étroite avec l’Inde pour en faire un allié potentiel contre la
Chine.
L’Afghanistan a longtemps été le terrain de lutte de la
compétition entre l’Inde et le Pakistan. Pour contrer le régime des talibans soutenu
par le Pakistan, l’Inde appuyait les seigneurs de la guerre de la soi-disant
Alliance du Nord, qui fait maintenant partie du régime de Karzaï à Kaboul. Ce
n’est donc pas étonnant que l’Inde ait exploité l’occasion de renforcer sa
position en Afghanistan, versant une aide économique significative. En avril, Karzaï
se présentait pour la quatrième fois à New Delhi accompagné d’une délégation de
110 ministres et hommes d’affaires. La relation chaleureuse avec l’Inde, qui a
promis un autre 50 millions en aide pour un total de 650 millions, est en
contraste marqué avec l’échange d’accusations avec le Pakistan. .
Le régime pakistanais est très sensible à l’implication de
l’Inde en Afghanistan, ce qui pose la menace potentielle d’avoir un proche allié
de l’Inde sur son flanc ouest. Le Pakistan a refusé à l’Inde le passage sur son
territoire pour le transport de marchandises vers l’Afghanistan. De plus, l’ISI
a accusé l’Inde de fomenter une opposition armée séparatiste dans la province
pakistanaise instable de Baluchistan.
Le dîner de la Maison-Blanche n’a pas été capable de
résoudre ces questions. Il ne fait aucun doute que des pressions considérables
ont été faites sur Musharraf afin qu’il cède aux demandes des Etats-Unis de
sévir contre les forces des talibans et al-Qaïda opérant en Afghanistan. Mais
les critiques ouvertes de Musharraf cette semaine non seulement de Karzaï mais
de l’administration Bush, indique qu’il a très peu de marge de manœuvre à domicile.
Il est peu probable que la prochaine étape soit une autre
conversation paisible à la Maison-Blanche. Un article publié dans la revue Time
cette semaine notait : « des pays clés de l’OTAN dont les troupes
mènent une guerre chaude contre les talibans dans le sud de l’Afghanistan —
l’Angleterre, le Canada, l’Australie et les Pays-Bas — considèrent actuellement
envoyer un ultimatum à Musharraf pour qu’il fasse fermer les centres talibans
et arrêter ces dirigeants opérant au Pakistan ou qu’il subisse les conséquences
de son refus. »
Les « conséquences » incluent l’envoi de troupes
de l’OTAN au-delà des frontières du Pakistan pour y assassiner les combattants
présumés des talibans. Bush a déclaré que si les militaires localisaient ben
Laden au Pakistan, il s’attendait à ce que les forces américaines traversent la
frontière pour « l’avoir ». Une telle action placerait les alliés
sur la voie de la confrontation. Comme Musharraf l’a dit à CNN : « C’est
une zone sensible. Nous opérons de notre côté de la frontière et les Etats-Unis
avec leurs alliés opèrent de l’autre côté. Laissons les choses ainsi. Nous ne
voulons voir notre souveraineté violée. »
(Article original anglais paru le 30
septembre 2006)