Quelques jours après la défaite de Bush
dans les élections de mi-mandat à cause de la large opposition à la guerre en
Irak, plusieurs puissances américaines ont tenté de jouer de leurs muscles
politiques.
Leur but est de saisir l’occasion que leur
offre l’affaiblissement de la position mondiale des Etats-Unis pour affirmer
leurs propres intérêts au Moyen-Orient et pour avancer une alternative à la
position pro-israélienne de l’administration Bush qu’elles considèrent comme
déstabilisatrice de toute la région.
A cette fin, l’Espagne, l’Italie et la
France ont lancé une nouvelle initiative de paix entre Israël et la Palestine
en cinq points avec le but déclaré de calmer les tensions dans tout le
Moyen-Orient. Elle marque une brisure importante avec le front commun du
« quartet » composé des Etats-Unis, de l’Union européenne, de la
Russie et de l’ONU. Le « quartet » était basé sur la « feuille
de route » de l’administration Bush, promettant un accord négocié
établissant un Etat palestinien.
Toutefois, avec Washington appuyant chacune
des provocations militaires d’Israël contre les Palestiniens et endossant
chacune des demandes que Jérusalem a faites dans le but de rejeter les
négociations, les trois pays ont conclu que la feuille de route était morte
dans les faits. Les Etats-Unis appuient maintenant tacitement le plan du
gouvernement israélien pour fixer unilatéralement les frontières de l’Etat
palestinien et au même temps annexer une grande partie de la Cisjordanie et de
Jérusalem Est.
Les préoccupations que cela a soulevées ont
été amplifiées par l’offensive politiquement désastreuse d’Israël contre le
Liban — un pays avec des liens étroits avec l’Europe, particulièrement la
France. Cette guerre a ruiné le Liban économiquement et renforcé le Hezbollah.
Elle s’est terminée avec l’envoi d’une force militaire onusienne à laquelle les
trois pays contribuent, dans un contexte où le Liban continue à être l’objet de
conflits géopolitiques très acerbes entre les Etats-Unis, l’Iran et la Syrie.
Le premier ministre espagnol Jose Luis
Rodriguez Zapatero a annoncé le nouveau plan à une rencontre au sommet avec le
président français Jacques Chirac à Girona.
« La paix entre Israël et les
Palestiniens signifie dans une large mesure la paix sur la scène
internationale », a-t-il dit. La paix au Moyen-Orient, a-t-il continué,
« est un des facteurs pouvant le plus contribué à mettre le fanatisme et
le terrorisme dans les câbles ».
« La violence a atteint un niveau de
détérioration qui exige une action déterminée et urgente de la part de la
communauté internationale » a-t-il continué en faisant référence aux 89
personnes tuées par les attaques sur Gaza par Israël avec le soutien des
Etats-Unis depuis le début de novembre.
Le plan est important en ce qu’il demande
un cessez-le-feu immédiat et qu’il brise avec la demande des Etats-Unis, sur
laquelle insiste lourdement le gouvernement Olmert, que la reconnaissance de
l’Etat d’Israël est une condition à des négociations pour un Etat palestinien.
Miguel Angel Moratinos, le ministre
espagnol des Affaires étrangères, a dit que son pays avait un intérêt dans les
événements au Moyen-Orient. « Nous avons une police et des gardes civils
[au Liban], aux citoyens espagnols ont été enlevés à Gaza parce qu’il y a un
grand désastre, a-t-il dit. Cela affecte mon économie et ma sécurité lorsque
l’on considère toute la situation. J’ai des intérêts affectant mon pays, et
donc, que devons-nous faire, simplement attendre et voir ? »
S’adressant à des hommes d’affaires et à
des professeurs, Chirac a déclaré : « Lorsque je suis arrivé,
Zapatero m’a dit, “Nous avons la même vision des problèmes et des
préoccupations en ce qui concerne le Moyen-Orient, et notamment la Palestine.
Nous devrions prendre une initiative commune.” »
Le premier ministre italien Romano Prodi a
dit aux journalistes : « Je crois que les pays européens présents
dans la région ont l’obligation de trouver un moyen pour se sortir de cette
situation et préparer... un processus de paix. »
Washington n’a pas réagi immédiatement,
mais Israël a tout de suite rejeté la nouvelle initiative de paix. La ministre
des Affaires étrangères Tzipi Livni a affirmé à Moratinos qu’il était
inacceptable qu’une initiative concernant Israël soit mise de l’avant sans
qu’il y ait coordination avec Jérusalem.
Le premier ministre du Hamas, Ismaïl Haniyeh, considérant que le plan offre la possibilité de
ressources financières pour son gouvernement qui fonctionne difficilement, a
déclaré que l’initiative comportait « de bons points » qui devaient
être étudiés. Il a ajouté que le rejet de l’initiative par Israël était
« la preuve qu’Israël ne souhaite aucune forme de stabilité ou de calme
dans la région ».
Le Fatah n’a pas donné son appui, en partie
parce que le président Mahmoud Abbas dépend de l’appui des Etats-Unis. Saeb
Erekat, le négociateur en chef du Fatah, a déclaré : « Nous n’avons
pas à réinventer la roue ; nous n’avons pas besoin d’une nouvelle
initiative. Ce dont nous avons besoin est un mécanisme de mise en oeuvre et des
échéanciers. »
Les trois Etats ont ostensiblement omis
d’informer, et ont consulté encore moins, le premier ministre Tony Blair, le
principal allié de Bush en Europe. Et ce, malgré le fait que Blair demande
depuis longtemps à Washington d’utiliser son influence sur Israël pour le forcer
à accepter un Etat palestinien à l’intérieur de la Cisjordanie et de la bande
de Gaza. L’Allemagne, qui est un proche allié d’Israël, n’a pas appuyé
l’initiative et semble aussi ne pas avoir été consultée.
Zapatero a clairement exprimé que
l’alliance tripartite cherchait à marquer son indépendance vis-à-vis des Etats-Unis
et à déjouer la Grande-Bretagne. Il a affirmé que malgré le fait que le plan
était encore à développer, ce dernier serait présenté au sommet de l’Union
européenne en décembre, où il espère qu’il sera appuyé par la Grande-Bretagne
et l’Allemagne.
Le plan a été présenté au moment où les Etats-Unis
opposaient leur veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, à
laquelle la Grande-Bretagne s’est abstenue de voter, qui condamnait les
violentes attaques israéliennes sur Gaza qui ont tué 18 Palestiniens, pour la
plupart des civils. Cela faisait suite à l’opposition de la Russie aux demandes
américano-israéliennes visant à isoler le Hamas. En mars, la Russie avait
invité les chefs du Hamas à Moscou.
Le 7 novembre, lors d’une réunion privée
des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’Allemagne,
de profonds différends sont apparus à propos des sanctions contre l’Iran et son
programme d’enrichissement nucléaire.
Washington, avec la Grande-Bretagne et
l’Allemagne, s’est opposé au projet de résolution mis de l’avant par la France
en le qualifiant de trop faible. La réunion privée est devenue si acrimonieuse
que les participants ont abandonné leur langage diplomatique habituellement
retenu et se sont attaqués les uns aux autres ouvertement. L’ambassadeur russe
à l’ONU, Vitlay Churkin, a déclaré : « Nous pensons que notre trousse
[diplomatique] est pleine d’outils. Mais, pour une raison quelconque, il n’y a
pour certaines personnes que des demandes et des sanctions — le marteau et la
faucille. »
Un représentant officiel de la France a dit au journal Le
Monde. « Notre position [sur Iran] est très proche de celle de la Russie. »
Même avant les élections, toutes les puissances européennes
cherchaient à réaffirmer leur puissance au Moyen-Orient. En août dernier, la
France acceptait de prolonger sa mission au Liban. L’Espagne, l’Italie et la
Finlande ont aussi contribué en y expédiant des troupes, alors que l’Allemagne
a envoyé une petite unité navale pour patrouiller les côtes libanaises.
Il y a des différences claires au sein de l’Europe sur le
risque de contrarier les Etats-Unis. Mais la bourgeoisie européenne est au
moins unie dans son désir de jouer un rôle plus important dans cette région
qu’en 1990.
L’Espagne a été l’hôte des pourparlers de Madrid en 1991,
la première initiative à trouver une solution au conflit israélo-palestinien en
plus d’une décennie. Ce sont les Norvégiens qui ont accueilli la seconde ronde
de discussion informelles entre Israël et la Palestine en 1992, qui a résulté
dans les accords d’Oslo en 1993. Et alors que l’administration Clinton a enlevé
aux Norvégiens le contrôle du « processus de paix », les puissances
européennes ont néanmoins rapidement saisi les nouvelles occasions commerciales
qui se sont ouvertes au Moyen-Orient.
A Barcelone en 1995, ils ont négocié un nouvel accord pour
un partenariat européen et méditerranéen avec 12 pays situés le long des côtes
sud et est de la mer Méditerranée, incluant Israël et ses voisins arabes. Les
associés de Barcelone se sont rapidement regroupés dans un réseau de comités
multinationaux consacrés aux programmes communs dans l'agriculture,
l'industrie, des communications et le transport.
Pour l’Europe, Oslo représentait une occasion de défier les
Etats-Unis dans leur rôle de gardien des intérêts occidentaux au Moyen-Orient.
Bien que l’entente n’était pas spécifiquement vouée à la résolution des
relations entre Arabes et Israël, elle fournit aux Européens la base pour
s’affirmer dans la région. Après Oslo, la Commission européenne a donné 500
millions US par année en aide aux Palestiniens ainsi que d’autres prêts pour la
force de police palestinienne et a financé les élections palestiniennes. Elle a
également versé des dizaines de millions de dollars à la Jordanie pour l’aider
à absorber l’influx de réfugiés palestiniens après la guerre du Golfe.
Plus tard, l’Union européenne étendit l’entente Europe-Méditerranée
à la Palestine et déclarait que les concessions commerciales accordées aux
marchandises palestiniennes s’appliquaient aux biens produits dont les profits
allaient aux Palestiniens et non à Israël. L’importation de ces derniers dans
l’Union européenne ne se ferait pas sans que ne soient payés les droits prévus
soit pour les biens palestiniens soit pour les biens israéliens. En pratique,
ce n’était rien de plus qu’un geste politique qui voulait montrer la neutralité
de l’Europe et n’a jamais été mis en vigueur. En 2004, Israël était devenu un important
marché pour les produits européens, les exportations de l’Union européenne
totalisant12,75 milliards € et les importations en provenance d’Israël 8,6
milliards €.
Tous ces gains économiques et politiques ont été sapés
lorsque les néo-conservateurs sous Bush ont gagné le contrôle de la Maison-Blanche.
Ce fut le signal du commencement d’une politique de prise de contrôle des ressources
pétrolières du Moyen-Orient par la force militaire, de repoussement des
Européens hors de cette région et, dans le processus, de déstabilisation de la
région. Les tentatives des puissances européennes de renverser ce processus et de
regagner le terrain perdu doivent inévitablement passer par une montée du
militarisme en Europe et provoquer des mesures de représailles de Washington.
(Article original anglais paru le 27
novembre 2006)