Depuis une semaine, l’usine Volkswagen de
Forest, à l’ouest de Bruxelles, est occupée 24 heures sur 24. Quatre mille des
5800 salariés sont menacés de licenciement parce que la production du modèle
Golf doit être délocalisée vers l’Allemagne.
Jeudi après-midi, une première réunion du
comité d’entreprise avec le directeur du personnel de l’usine, Jos Kayaerts,
n’a rien apporté de neuf : aucune concession ne sera faite avant la
réunion du conseil de surveillance du groupe Volkswagen qui doit se tenir le 15
décembre. Début décembre, le premier ministre belge, Guy Verhofstadt, devrait
avoir un entretien avec la direction générale de VW.
Bruxelles, à l'extérieur de l'usine Volkswagen
Depuis des semaines déjà, des rumeurs
circulaient faisant état d’une suppression possible de milliers d’emplois et un
climat tendu régnait au sein du personnel de l’usine. La confirmation du
retrait de la production de la Golf de l’usine de Forest avait été annoncée à
la radio le vendredi 17 novembre, vers 20 heures. L’équipe de l’après-midi a
immédiatement réagi en cessant le travail et l’équipe de nuit a décidé de
suivre le mouvement.
Hans Spiliers qui travaille depuis très
longtemps chez Volkswagen, a parlé jeudi devant l’usine aux reporters du World
Socialist Web Site. « La nouvelle annoncée à la radio a été le déclic
et les travailleurs ont réagi spontanément. Ce n’étaient pas les syndicats qui
ont appelé à la grève. A partir de là, l’ensemble du personnel a refusé de
reprendre le travail. La production de voitures est arrêtée et nous veillons à
ce que les véhicules nouvellement assemblés ne sortent de l’usine. La direction
a quitté les lieux et notre personnel a pris le contrôle. Voilà la situation
depuis le weekend dernier. Depuis, nous avons mis sur pied des piquets de grève
24 heures sur 24 en équipes de 300 à 400 hommes et je crois qu’on est parti
pour une grève très longue. »
La décision n’affecte pas seulement les 4000
salariés de VW (3500 personnes liées directement à la production et 500
employés), mais indirectement aussi au moins autant de travailleurs occupés en
sous-traitance dont un grand nombre se trouvent d’ores et déjà en grève de
solidarité. Les travailleurs de deux firmes sous-traitantes, Faurecia avec 130
salariés et Decoma avec une centaine de salariés, occupent présentement leurs
usines.
Depuis des années, l’ensemble de la région est
durement touché par des licenciements. Quelque 300 travailleurs de VW qui
avaient travaillé chez Renault à Vilvorde, dans le nord de Bruxelles, avant la
fermeture de l’usine il y a quelques années, vont devoir faire face à une
deuxième fermeture d’usine en l’espace de quelques années.
Volkswagen à Bruxelles n’est pas seulement une
entreprise moderne et hautement performante, mais son personnel est bien
organisé et connu pour son militantisme. Près de l’ensemble de son personnel
est représenté à l’usine par trois syndicats, le syndicat socialiste, FGTB
(Fédération générale des Travailleurs de Belgique), la CGSLB libérale (Centrale
générale des Syndicats libéraux de Belgique) et la CSC chrétienne
(Confédération des Syndicats chrétiens).
Christian Henneuse et Jean Weemaels, deux
délégués du syndicat FGTB de l’usine de Forest ont déclaré au WSWS :
« Ici, c’est une entreprise militante et les travailleurs ont déjà été
traités de “terroristes économiques” après avoir fait grève pendant un mois en
1994 pour l’obtention de la semaine de 35 heures.
Christian Henneuse et Jean Weemaels
« Notre usine est la seule qui n’applique
pas le système de travail dit “plus-minus” qui est en vigueur chez VW. C’est un
système qui soumet directement les travailleurs à la demande du marché
capitaliste. Et parce que nous avons refusé de travailler ici à Bruxelles sous
ce système, ils vont légiférer pour nous l’imposer. »
Les deux délégués syndicaux ont exprimé des
craintes que VW pourrait envisager de se débarrasser d’un effectif bien
organisé pour recruter plus tard du personnel non organisé à des conditions
d’embauche plus mauvaises. C’est exactement ce qui s’est passé il y a quelques
années chez Ford à Genk.
A la question de savoir quel rôle joue l’IG
Metall, le syndicat de la métallurgie allemande, les deux délégués du FGTB ont
précisé que trois collègues d’IG Metall étaient venus jeudi à l’usine VW de
Forest. Ils étaient venus de trois usines VW différentes, de Braunschweig, de
Kassel et de Salzgitter. Deux étaient responsables de tout le noyau des
militants de leur entreprise et le troisième était quelqu’un du comité
d’entreprise. « Ces gens nous ont expliqué ce que fut leur combat lors des
dernières conventions collectives en Allemagne. Ils nous ont dit quels
sacrifices ils ont dû faire au niveau salarial, les gains de productivité
qu’ils ont dû faire parce qu’ils ont été mis eux aussi devant le même fait
accompli : sacrifices ou délocalisation. »
Les représentants du syndicat IG Metall
auraient promis d’informer les travailleurs de leurs entreprises et de les
mobiliser. Ils avaient promis qu’il n’y aurait en aucun cas à Bruxelles des
licenciements pour raisons économiques. « Le message des représentants
d’IG Metall avait été que, lorsqu’ils ont négocié leurs propres accords ils ont
exigé qu’il n’y aurait pas de répercussions sur d’autres entreprises
européennes. C’est la première chose qu’ils nous ont dite. »
Henneuse et Weemaels ont également déclaré que
le comité d’entreprise était avant tout préoccupé de trouver des solutions au
moyen d’un plan social acceptable pour atténuer les répercussions des
licenciements sur le personnel, ce qui signifie en d’autres termes que du côté
syndical la suppression des 4000 emplois est déjà acceptée. Le comité
d’entreprise a exigé pour le moment que les salaires soient payés durant la
grève et ce, jusqu’au 15 décembre.
Le président du conseil d’administration de
VW, Reinhard Jung, a indiqué clairement que 4000 emplois seraient supprimés.
Jung avait même carrément plaidé en faveur de la fermeture de l’usine de
Bruxelles.
Les deux délégués se sont plaints du rôle que
jouent les médias : « Les seuls messages qui passent pour le moment à
la télévision ce sont des gens qui disent qu’ils veulent partir avec de
l’argent, il n’y a aucune interview avec des travailleurs qui disent, nous, on
veut maintenir notre emploi. Regardez la presse populaire, on ne voit que des
gens qui pleurent alors que les gens demandent du travail et veulent sauver
leur emploi. »
C’est ce qui est confirmé par les travailleurs
devant les grilles de l’usine Volkswagen à Forest qui ne sont nullement prêts à
accepter la perte de leurs emplois. Après l’annonce officielle de la
suppression d’emplois faite après l’assemblée générale qui a eu lieu mardi, le
personnel a éjecté du site les gardiens d’usine et deux policiers en civils. La
situation s’est même dégradée quelque peu lorsque les travailleurs ont occupé
une route et que la police a posté des centaines de policiers et positionné des
canons à eau dans les rues adjacentes.
De nombreux travailleurs nous ont expliqué
pourquoi ils ne voulaient pas céder :
Alain Luystermans, qui travaille depuis 28 ans
chez VW à Bruxelles nous a dit : « On doit être solidaire pour faire
bouger les choses. Aujourd’hui, c’est nous, demain ça sera un autre. Le grand
capital prend les subventions et va ailleurs, et ailleurs il prend aussi les
subventions. La coupe est pleine. Maintenant, la politique doit prendre ses
responsabilités, le gouvernement belge comme au niveau européen.
« Ce n’est pas l’Europe pour les gens
c’est uniquement au niveau du capital. Il faut essayer de créer un avenir pas
seulement pour nous, mais pour les générations à venir et c’est maintenant que
ça se décide. »
En réponse à une question sur le syndicat
européen, Luystermans a dit : « Le syndicat européen c’est une
marionnette pour l’instant. Sur le plan social, rien n’est fait, c’est un grand
problème. »
Il a ajouté : « Il est grand temps
que tout le monde se réveille à tous les niveaux. Il n’est jamais trop tard,
mais maintenant il est grand temps. » Se référant à la guerre en Irak il a
poursuivi : « En Irak, c’est la guerre du capital, les gens n’en
veulent pas et c’est pourquoi je suis ici. Ce n’est pas seulement pour
moi. »
Ibisi Ramadan, un travailleur arabe qui
travaille à la chaîne de montage depuis cinq ans, insiste sur la mauvaise
situation du marché du travail : « La situation politique en ce
moment est très mauvaise pour les travailleurs, il y a trop de chômeurs. En Belgique
il y a 12 pour cent de chômeurs. Maintenant, il va y en avoir 4000 de plus qui
ne trouveront pas de travail. Beaucoup d’entre eux ont une famille à nourrir.
Pour le moment, les syndicats sont très actifs, mais je ne sais pas si on peut
leur faire confiance. Je ne sais pas comment cela va continuer. Le problème
c’est le système capitaliste. »
Jesu Manchego, est un travailleur plus âgé qui
a passé près de trente ans chez VW et qui est à présent à la retraite. Il a
rapporté que « lorsque VW a ouvert l’entreprise ici en 1972, de nombreux
ouvriers espagnols qui avaient travaillé auparavant à la mine ont trouvé un
emploi. C’était la grande époque des fermetures de mines. Je n’ai moi-même pas
travaillé à la mine, mais mon frère. Moi, j’ai débuté tout de suite chez VW.
« Volkswagen avait acheté l’usine
D’Ieteren de Bruxelles qui, à cette époque, montait des Coccinelles pour
Volkswagen. Nous étions jeunes alors et nous avons travaillé partout et VW
était alors mieux que de descendre à la mine : le travail au fond est inhumain.
Il y avait tout le temps des accidents, comme aujourd’hui à nouveau en Pologne.
Il y avait eu également un accident terrible dans la mine à Marcinelle (près de
Charleroi) en Belgique.
« Si on enlève la Golf, c’est la fermeture,
il faut au moins 200 000 voitures par an. »
Eddy de Martelaere a expliqué : « 4000
travailleurs sont touchés ici et il n’y a pas d’autre travail. On est là pour
défendre notre emploi. Nous acceptons beaucoup de promesses qu’on nous fait,
mais vont-elles être tenues ? Il y a ici de bonnes chaînes de montage et
pourtant presque tout va être fermé. Avec ça, on ne fait que le jeu des
chauvinistes, par exemple le Vlaams Belang (Intérêt flamand). C’est un groupe
nationaliste et je suis contre.
« Le monde des affaires opère au niveau international
et monte les travailleurs les uns contre les autres. Dès que la nouvelle des
suppressions d’emplois à Bruxelles était connue, le cours de l’action VW a
immédiatement enregistré une très forte hausse. »
Le 2 décembre aura lieu à Bruxelles une manifestation
internationale et interprofessionnelle pour protester contre les suppressions
d’emplois.