Le meurtre, vendredi dernier, du député
tamoul, Nadarajah Raviraj, est cette année le dernier d’une longue liste
d’assassinats, de « disparitions » et d’enlèvements au moment même où
le gouvernement a replongé le pays dans la guerre civile. Aucun des coupables
n’a été interpellé et poursuivi mais les preuves amassées indiquent que l’armée,
ses alliés paramilitaires et leurs escadrons de la mort en sont à l’origine.
Le meurtre de Raviraj était particulièrement
provocateur vu qu’il avait pris part à des campagnes publiques contre la guerre
et les enlèvements. Des milliers de gens ont défilé lundi dans le centre de
Colombo pour manifester contre son assassinat. Brandissant des banderoles qui
proclamaient « Stop aux crimes contre l’humanité » et
« Honte » en scandant « Ne tuez pas les Tamouls », la foule
a accompagné le cercueil du député assassiné dans une procession dans les rues
de la ville.
Raviraj a été abattu en plein jour après avoir
quitté son domicile à Narahenpita à Colombo. Vers 8h30 du matin, un homme armé a
mitraillé sa voiture alors qu’elle s’apprêtait à emprunter la rue principale.
Le député et son garde du corps ont été tués. Le tueur a pris la fuite sur une
moto qui était en position d’attente et la police a trouvé plus tard un fusil
automatique T56 dans un sac avec des cartouches vides et un casque.
Le fait que le tueur a réussi à éviter les
barrages routiers et les points de contrôle existant sur les routes menant à la
scène du crime semble indiquer une complicité des forces de sécurité. Le
meurtre a eu lieu le matin à l’heure de pointe non loin du quartier général de
la police militaire et à un kilomètre de distance du principal camp militaire
et de deux commissariats de police à Narahenpita et Borella.
Raviraj, était un avocat, et un parlementaire
éminent de l’Alliance nationale tamoule (TNA), un regroupement de partis tamouls
servant de porte-parole aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Ses
funérailles auront lieu aujourd’hui dans sa ville natale de Chavakachcheri,
située dans le nord de la péninsule de Jaffna. La TNA tient le président
Mahinda Rajapakse et son gouvernement pour responsables de l’intensification de
la guerre civile et fait campagne en faveur d’un accord de partage du pouvoir
pour arrêter le conflit.
Raviraj est le deuxième député de la TNA à
être assassiné par des tueurs « non identifiés ». Le meurtre de sang
froid de Joseph Pararajasingham, député du district de Batticaloa en décembre
dernier a joué un rôle significatif pour saper le cessez-le-feu de 2002 et
provoquer un conflit ténébreux non déclaré entre les forces de sécurité et le
LTTE. Le meurtre de celui qui devait le remplacer, V. Vigneswaran, le 7 avril, a
sérieusement ébranlé la perspective d’autres pourparlers de paix après la
première ronde de négociations à Genève en février.
La veille de son assassinat, Raviraj et
d’autres parlementaires de la TNA avaient participé à des manifestations devant
les bureaux des Nations Unies à Colombo pour protester contre le meurtre de
civils tamouls par l’armée et le nombre croissant d’enlèvements et d’assassinats.
Le rassemblement avait mis en avant la mort de plus de 40 civils la semaine
passée lors d’une attaque de roquettes et de tir d’artillerie contre un camp de
réfugiés à Kathiraveli dans l’est de l’île.
La TNA et le LTTE ont tous deux accusé les
forces de sécurité de ce meurtre. Le dirigeant TNA, R. Sampanthan, a déclaré
aux médias : « L’assassinat de Raviraj est une tentative évidente de
la part des paramilitaires opérant avec l’armée sri lankaise d’étouffer la voix
des parlementaires tamouls. »
C’est une longue histoire que celle de la
collaboration du renseignement militaire avec diverses milices anti-LTTE pour
attaquer le LTTE et ses partisans. Des éléments paramilitaires alliés à l’armée
comprennent une faction dissidente du LTTE qui est connue comme le groupe
Karuna et le Parti démocratique du peuple d’Eelam (EPDP) qui est un partenaire
de la coalition du gouvernement Rajapakse.
Le président Rajapakse s’est efforcé de
détourner sa responsabilité en qualifiant le meurtre d’« acte odieux...
délibéré et bien planifié afin de discréditer le pays et le gouvernement. »
Il n’a pas fourni la moindre preuve quand il a laissé entendre que le LTTE avait
assassiné l’un des siens dans le but de salir la réputation du gouvernement.
C’est une excuse classique avancée par l’armée, le gouvernement et la presse de
Colombo, suite aux atrocités qui sont liées aux forces de sécurité.
Rajapakse a également ordonné au ministère des
Affaires étrangères de rechercher l’aide de la police britannique, Scotland
Yard, dans l’enquête sur le meurtre. Cette démarche est un geste creux ayant
pour but de faire dévier les critiques grandissantes des actions de l’armée sri
lankaise, à la fois dans le pays et à l’étranger. Tout en donnant l’ordre à
l’armée de passer à l’offensive contre le LTTE, Rajapakse essaie encore de s’afficher
« en homme de paix » afin de sauvegarder le soutien des principales
puissances et de contrer les sentiments anti-guerre à l’intérieur du pays.
La police a interpellé et interrogé huit
personnes dans l’affaire du meurtre. Cependant, il est improbable que le tueur
ou ses complices directs en fassent partie. Après chaque nouvelle atrocité, le
gouvernement annonce régulièrement une enquête. Toutefois, pour les affaires où
les forces de sécurité sont impliquées, la police n’a poursuivi personne au
cours de l’année passée.
Redoutant l’opposition croissante de l’opinion
publique à la guerre, le Front de libération populaire (JVP) et les moines
bouddhistes du JHU (l’Identité bouddhiste), ont tous deux condamné le meurtre.
Ces deux partis cinghalais extrémistes ont fait campagne pour une
intensification de la guerre contre le LTTE et ont soutenu tous les crimes
commis par l’armée. Tous deux coopèrent étroitement avec divers groupes paramilitaires,
notamment le groupe Karuna, et ils ont de par le passé procédé eux-mêmes à de
violentes provocations.
L’assassinat de Raviraj est un signe que
l’armée se prépare à intensifier davantage ses opérations contre le LTTE. C’est
également un sérieux avertissement sur les méthodes qui seront utilisées contre
tous ceux qui s’opposent à la guerre.
(Article original anglais paru le 15 novembre 2006)