Au cours du week-end, les
dirigeants démocrates ont promis qu’ils étaient prêts à travailler étroitement
avec l’administration Bush pour forger une politique bipartisane pour continuer
l’occupation de l’Irak. Ils ont aussi exprimé leur soutien à une augmentation substantielle
du budget militaire et du recrutement de soldats.
Ces remarques ont été
faites au cours de l’intense débat au sein des cercles dirigeants sur la façon
de sauver l’occupation de l’Irak et de préserver les intérêts de l’impérialisme
américain au Moyen-Orient. Alors que plusieurs options différentes sont
considérées, la possibilité d’un retrait immédiat d’une partie ou de la
totalité des troupes — la position de la vaste majorité de ceux qui ont voté
pour les démocrates dans les élections ayant eu lieu il y a deux semaines
seulement — a été marginalisée.
Steny Hoyer, le
congressiste du Maryland qui a été choisi par le caucus démocrate comme leader
de la majorité en Chambre la semaine passée, a donné le ton au Parti démocrate
dans une entrevue sur l’émission This Week with George Stephanopoulos
sur le réseau ABC News dimanche. Stephanopoulos a demandé à Hoyer
comment il répondait au sénateur de l’Arizona, le républicain John McCain, qui
a déclaré que les Etats-Unis doivent envoyer plus de soldats en Irak. Le
journaliste a aussi noté qu’une des options sous considération par le Groupe d’étude
sur l’Irak, un comité bipartisan, est l’augmentation de la puissance militaire
américaine pour réussir à écraser les milices opérant à Bagdad.
« Si cette
augmentation temporaire fait partie d’un plan de transition et de redéploiement
des forces américaines », a dit Hoyer, alors il était prêt à lui donner
son soutien. Hoyer a aussi répété la position de plusieurs démocrates et de l’état-major
de l’armée selon qui le principal problème de la politique de l’administration Bush
envers l’Irak est qu’il n’y avait pas eu suffisamment de soldats dès le début
de l’invasion.
Les commentaires d’Hoyer
représentent un signal clair à l’administration Bush que les démocrates appuieraient
une augmentation du nombre des soldats si cela pouvait être présenté comme une
étape vers un éventuel retrait. Pour souligner ce point, Hoyer a déclaré vers
la fin de son entrevue que les soldats américains étaient en danger non parce
qu’ils sont obligés de se battre en Irak, mais parce que « leur nombre
insuffisant les expose quotidiennement au danger et à la mort ».
Le nouveau leader de la
majorité a aussi été clair sur le fait que les démocrates ne considéraient pas restreindre
le financement de l’occupation de l’Irak. « Nous n’allons pas retirer de
fonds aux troupes au front, point final », a-t-il dit. Le pouvoir de
financer ou non la guerre est le pouvoir ultime accordé au Congrès pour forcer
la branche exécutive à changer sa politique étrangère. Rejeter cette
possibilité signifie que l’administration Bush peut continuer la guerre en
Irak, tel que Bush l’a promis, jusqu’à la fin de son mandat le 20 janvier 2009.
Ces déclarations
soulignent la signification du vote des démocrates à la Chambre des
représentants la semaine passée en faveur de Hoyer plutôt que de John Murtha,
le candidat bénéficiant de l’appui de celle qui sera speaker de la Chambre,
Nancy Pelosi. Murtha, qui a des liens étroits avec des sections des militaires
et qui sur des dizaines d’années a constamment été dans l’aile droite du Parti
démocrate, avait attiré l’attention il y a presque une année lorsqu’il avait
demandé en Chambre le retrait immédiat des troupes américaines de l’Irak.
Dans la course pour le
poste de leader de la majorité la semaine passée, Murtha a été attaqué par les
médias et des démocrates pour son implication dans le scandale de corruption d’Abscam
il y a presque 25 ans. Ce scandale a été dépoussiéré pour attaquer Pelosi et
Murtha, mais la véritable question était la position de ce dernier sur la
guerre.
Bien que Murtha ait été utile en attirant un appui
anti-guerre pour les candidats démocrates au Congrès le 7 novembre, il n’existe
pas d’appui significatif pour la position de retrait immédiat dans le comité
électoral démocrate, pas plus que dans l’élite dirigeante américaine au
complet. Bien que des questions de politique, d’intérêts régionaux, et même de
personnalité ont sans aucun doute influencé le vote secret dans l’isoloir,
celle de la guerre en Irak a été la plus importante. Les démocrates ont décidé
par un vote écrasant de 149 à 86 qu’ils ne voulaient pas se présenter au
nouveau Congrès avec un chef de la majorité fortement identifié dans la
conscience du public à un appel pour le retrait des troupes.
La déclaration de Hoyer a été faite le jour suivant les
remarques du chef des démocrates au Sénat, Harry Reid, durant la présentation
radiophonique hebdomadaire des démocrates. Reid a appelé pour un
« changement de cap » et a déclaré qu’il était « encouragé que
le président écoute enfin les experts externes et les membres du
Congrès », une référence en particulier au Groupe d’étude sur l’Irak.
« Travaillant ensemble, a affirmé Reid, nous devons réaliser une nouvelle
voie vers l’avant, une voie qui permettrait à l’Irak d’être stabilisée et à nos
troupes de commencer à revenir à la maison. En Irak, et ailleurs, les
démocrates prient pour que le président travaille avec nous, car nous sommes
prêts à travailler avec lui. »
La semaine dernière, Reid a déclaré que l’une de ses plus
importantes priorités au Sénat serait de fournir 75 milliards $ supplémentaires
de financement pour l’armée, particulièrement pour rebâtir l’armée et les
marines, sérieusement réduites par les pertes d’hommes et d’équipement en Irak
et en Afghanistan. Le coût de l’invasion et de l’occupation de l’Irak s’élève
déjà à environ 350 milliards $.
Les démocrates tentent de repousser la question du retrait
des troupes à un lointain futur, alors que la tâche immédiate est la
« stabilisation », c’est-à-dire un nouveau bain de sang contre les
organisations hostiles à la présence américaine en Irak. L’armée américaine
planifie depuis longtemps d’importantes opérations contre les milices chiites à
Bagdad, particulièrement celles contrôlées par Moqtada al-Sadr.
L’une des principales questions qui sont débattues
présentement à l’intérieur de l’establishment politique est la nécessité d’une
augmentation des troupes américaines en Irak. Le sénateur démocrate Carl Levin,
le prochain président de la commission des Forces armées au Sénat, s’est opposé
à une augmentation du nombre de soldats lors d’une entrevue dimanche à
l’émission de CNN « Late Edition ». Toutefois, Levin a aussi
clairement exprimé que sa position — que les États-Unis devraient annoncer le
début du retrait de forces américaines de l’Irak d’ici quatre à six mois —
n’est pas un appel à la fin de l’occupation.
Levin a bien insisté qu’il ne défendait pas un calendrier
précis pour le retrait de « toutes ou même la majorité des troupes »
et a déclaré qu’une présence militaire américaine considérable se poursuivrait
indéfiniment. « Nous ne parlons de retrait total des troupes » dans aucune
de nos propositions, a-t-il affirmé. Levin espère ainsi que le fait de menacer
le gouvernement irakien avec un retrait partiel servira à faire pression sur
les différentes factions de la couche dirigeante en Irak afin qu’elles en
arrivent à une certaine entente entre eux.
Une question sur laquelle se sont généralement entendues
les différentes factions de l’élite dirigeante est le besoin d’une augmentation
des effectifs de l’armée américaine au complet, ce qui est perçu comme une
condition préalable pour l’augmentation des forces américaines en Irak.
Dimanche, l’éditorial du New York Times « The Army We Need »
(L’armée dont nous avons besoin) exprimait la perspective que « la
puissance totale permise de l’armée devait être augmentée de 75 000 à
100 000 de plus que ce que M. Rumsfeld prévoyait pour les
prochaines années ». Le Times exprimait là la position
d’importants démocrates qui font pression depuis longtemps pour que soit
augmenté le nombre de soldats dans l’armée et les marines.
Dans son témoignage devant le comité du Sénat sur l’armée la
semaine dernière, le général John Abizaid, le plus haut commandant américain
pour le Moyen-Orient, rejetait l’idée d’un retrait des troupes, mais disait
également qu’une augmentation était impossible étant donné les responsabilités pesant
actuellement sur l'armée. Le moment de ce témoignage est significatif, ayant
lieu immédiatement après les élections, comme s’il avait pour but de détourner
l’attention de toute discussion sur le retrait des forces américaines.
En filigrane du débat sur l’augmentation du nombre des
soldats en Irak, on trouve la question de la conscription. Le démocrate Charles
Rangel, président du comité des voies et des moyens de la Chambre des
représentants, réitérait à l’émission Face the Nation sur CBS
son appui à la réintroduction de la conscription. « Si nous sommes pour
défier l’Iran et la Corée du Nord et que certaines personnes appellent pour
plus de soldats en Irak, dit-il, nous ne pourrons le faire » sans la
conscription. « Je ne vois pas comment quelqu’un peut appuyer la guerre
sans la conscription. »
Rangel a promis que son premier geste lors de la nouvelle
session du Congrès l’an prochain allait être de réintroduire une loi pour
initier la conscription, une proposition qui a été appuyée par plusieurs stratèges
démocrates.
Le sénateur républicain Lindsey Graham, parlant après
Rangel, a dit qu’il appuyait lui aussi une augmentation de la taille de la
présence militaire, mais qu’il croyait cela possible avec une armée de
volontaires. Mais si ce n’est pas possible, poursuit Graham, « Nous
regarderons les autres options. »
Dans le débat sur la façon de sauver l’occupation, les démocrates
s’appuient largement sur le Groupe d’étude sur l’Irak, mis sur pied par
quelques congressistes républicains pour proposer une nouvelle stratégie
américaine en Irak. Les anciens membres de l’équipe du premier président Bush
et de l’administration Clinton, qui ont certaines différences sur la tactique
avec des individus tels que le vice-président Dick Cheney et le secrétaire à la
Défense sortant Donald Rumsfeld, sont bien représentés au sein de ce groupe.
Les dirigeants démocrates, incluant Reid, ont déjà déclaré
qu’ils appuyaient pleinement Bush pour sa nomination du secrétaire à la Défense,
Robert Gates. Gates est un agent de longue date sous Reagan et a servi comme
directeur de la CIA sous Bush senior. Il a joué un rôle majeur dans le scandale
Iran/Contra, et a également été impliqué dans la campagne des Etats-Unis d’appui
au fondamentalisme islamique en Afghanistan, incluant Oussama Ben Laden durant
la guerre commanditée contre l’Union soviétique dans les années 80.
Reid a dit hier que Gates allait facilement être confirmé
dans les prochaines semaines.
Les déclarations des démocrates dans les derniers jours
soulignent le fait central qu’il n’existe aucune section de l’establishment
politique qui est opposé à la guerre, même si c’est la position de la majorité
de la population américaine. Au contraire, au lendemain des élections les
démocrates tentent de forger un nouveau consensus pro guerre pour défendre les
intérêts de l’élite dirigeante américaine. L’élite dirigeante répond à la
population américaine allant vers la gauche en allant plus clairement vers la
droite.
(Article original anglais
publié le 20 novembre 2006)