Ségolène Royal a été désignée candidate du Parti socialiste
pour l’élection présidentielle de 2007. Les 218 771 adhérents ayant versé
leur cotisation ont déposé leur vote dans 4 000 urnes transparentes le 16
novembre 2006. Parmi ces électeurs, on compte 68 049 nouveaux membres qui
ont adhéré au Parti socialiste (PS) via Internet, et payé des cotisations
réduites d’un montant de 20euros, afin de pouvoir participer au scrutin.
Royal a obtenu 60,6 pour cent des voix. Les deux autres
candidats étaient Dominique Strauss-Kahn, le ministre des Finances du
gouvernement de gauche plurielle de Lionel Jospin (1997-2002), qui a obtenu
20,8 pour cent et Laurent Fabius, premier ministre de 1984 à 1986 sous la
présidence du socialiste François Mitterrand, avec 18,5 pour cent.
Les trois candidats étaient de proches collaborateurs de Mitterrand,
président de 1981 à 1995. Ils ont travaillé avec lui à dissiper les aspirations
socialistes de la classe ouvrière française et à imposer un programme
d’austérité servant les intérêts de la bourgeoisie française. Tous trois ont
promis et maintenu une allégeance inébranlable au programme droitier du Parti
socialiste élaboré en juin de cette année.
Ce vote a été l’aboutissement d’un processus de sélection qui
a duré six semaines et comporté six débats, trois à la télévision et trois
devant les adhérents du parti.
Les débats ont servi de vitrine au Parti socialiste et à ses
candidats à l’investiture pour démontrer leur capacité à défendre les intérêts des
grandes entreprises françaises et européennes dans le pays comme à l’étranger.
Les candidats ont rivalisé pour démontrer leur capacité à étouffer la
résistance de la classe ouvrière et des jeunes engagés à défendre leur niveau
de vie et les droits démocratiques et sociaux.
Depuis septembre 2005, Royal a été soutenue avec force par les
médias et présentée comme la meilleure candidate présidentielle du PS. La série
de débats était vue par l’establishment français comme un test de la capacité
de Royal à tenir bon sous la tempête, et pour espérer empêcher que ne se
reproduise ce qui s’était passé lors de l’élection présidentielle de 2002 où le
candidat du parti socialiste, Lionel Jospin était battu par le néofasciste
Jean-Marie Le Pen et s’était trouvé en troisième position. Cela avait provoqué
une réaction spontanée de masse qui avait mis en danger les institutions de la
cinquième République bourgeoise. Royal a passé le test et conservé le soutien
de l’élite politique et médiatique.
Avant les débats, Royal avait fait clairement comprendre aux
élites dirigeantes françaises qu’elle était capable de rompre avec les
contraintes imposées par la rhétorique traditionnelle du Parti socialiste qui
consiste à accorder un soutien de pure forme à l’antimilitarisme, à considérer
la criminalité comme un problème social, à défendre les droits des travailleurs
et les aspirations égalitaires. Contrairement à Jospin qui, tout en poursuivant
un programme pro-capitaliste, cherchait à se distancer de la politique libérale
extrême de Tony Blair, Royal a déclaré son admiration pour le premier ministre
britannique.
Elle a demandé que les jeunes délinquants soient pris en main
par l’armée, que soit supprimée la carte scolaire (revendication de la droite
pour « la liberté de choix »), et que le temps de présence, dans leur
établissement, des enseignants des collèges (élèves de 11 à 15 ans) soit
doublé. Elle a aussi fait la proposition populiste et démagogique de jurys
citoyens qui évalueraient le travail des élus.
Royal a gagné l’investiture non pas parce qu’elle présentait
un programme populaire, mais parce qu’elle a été systématiquement construite
par les médias comme la candidate la plus à même de battre le candidat de l’UMP
au pouvoir (Union pour un mouvement populaire). Comme l’a écrit le journal Libération,
la question n’était pas de choisir « le candidat qui représenterait le
mieux le parti aux élections présidentielles », mais « le candidat le
plus à même de battre la droite. » Il était question de « voter
utile ». C’est une manière cachée de dire qu’il s’agit de choisir le
candidat le mieux à même d’attirer le soutien des médias bourgeois et de
l’establishment politique.
Les deux candidats perdants ont immédiatement confirmé qu’ils
apporteraient leur soutien à la gagnante. Bien que Fabius ait dirigé
l’opposition à la Constitution européenne, contre la direction de son parti, et
qu’il ait adopté une posture vaguement réformiste contre les positions
ouvertement libérales de ses concurrents, son porte-parole Claude Bartelone a
déclaré, « La seule chose qui compte, c’est que les socialistes doivent se
réunir dans les meilleures conditions possibles, et préparer déjà les affiches
et la colle. »
Jean-Luc Mélanchon, député du PS et partisan de Fabius a
néanmoins exprimé sa crainte de l’isolement complet du PS par rapport à la
classe ouvrière de par le choix d’une candidate aussi ouvertement de droite. Il
a exprimé le besoin d’une alternative de « gauche » suffisamment
crédible pour détourner les luttes de la classe ouvrière. « Je suis très
déçu, je suis perplexe. Je ne pensais pas que le PS se donnerait une
orientation politique comme ça… Je me demande ce que je vais faire. La
responsabilité des collectifs anti-libéraux est plus grande que jamais. »
Par « collectifs anti-libéraux », il faisait
référence aux collectifs mis en place durant le mouvement contre la
Constitution européenne. « Ils doivent arriver à dégager un candidat
commun entre eux pour qu’il y ait une véritable dynamique de gauche »,
a-t-il ajouté. Cette déclaration semble quelque peu insincère puisque les
positions des trois candidats sont extrêmement droitières.
De même, le Parti communiste (PC) craint que sa politique de
droite ne soit encore plus ouvertement mise à jour quand il entrera dans des
alliances électorales inévitables avec le PS lors des élections législatives
qui se dérouleront juste après le scrutin présidentiel. Le journal du PC, l’Humanité,
a écrit, « Et les trois s’adaptent peu ou prou au déplacement du centre de
gravité politique et idéologique vers la droite. Qu’est-ce que cette
concession, par exemple, au thème de « l’ordre » ? Sinon
battre en retraite et abandonner le terrain à l’adversaire de droite. »
Débat sur la politique étrangère
Bien qu’il ne fasse aucun doute que Ségolène
Royal était la candidate la plus à droite des trois, les différences entre eux
sont minimes et ne sont pas des différences de principe.
La nature de classe de ces défenseurs de l’impérialisme
français et mondial est apparue avec le plus de clarté peut-être lors du débat
sur la politique étrangère qui s’est tenu le 7 novembre. Royal et Fabius étaient
tous deux d’accord avec le jugement de Strauss-Kahn disant que « le monde
est dangereux, sensiblement plus dangereux qu’hier » et que « dans la
recherche systématique du profit… la compétition pour les matières premières et
l’eau a toujours été une des causes premières des guerres » et que « la
mondialisation des profits a entraîné la globalisation des conflits ».
Leur réponse à cette situation était d’un nationalisme à la
limite du chauvinisme. Strauss-Kahn a affirmé, « le président de la
République doit à la fois protéger les Français contre ces menaces et armer la
France contre ces conflits ». Il a dit avec insistance que la capacité de
défense de la France est cruciale pour que « la France pèse là où elle est
présente, dans les organismes internationaux, au FMI et à l’ONU. Et pour cela,
la France a besoin de l’Europe. C’est pour cela qu’il y a urgence à ce que se
construise l’Europe de la diplomatie et de la défense, qui aujourd’hui est
encore dans les limbes. »
Fabius a approuvé et insisté sur la nécessité de faire face à « l’hyperpuissance
américaine… et [au] déséquilibre massif du fait de l’unilatéralisme américain ».
Quand les candidats ont évoqué les problèmes de pauvreté et
d’inégalité dans le monde, ils l’ont fait dans le but de mettre en garde et de se
tenir prêt face à la résistance contre l’exploitation et le pillage
impérialiste, tel qu’il se produit en ce moment en Afrique et aussi particulièrement
en Irak, Afghanistan, Palestine et Liban, et qui risque de déstabiliser l’ordre
mondial. Ségolène Royal l’a dit en ces termes : « Si nous ne réglons
pas le problème de la sécurité du monde, alors nous aurons le terrorisme dans
nos pays… l’immigration de la misère… autrement dit, défendre un autre ordre
mondial, c’est aussi défendre les intérêts bien compris de la France ».
Ils se sont montrés inflexibles sur le fait que les forces
armées françaises doivent être maintenues. Fabius a dit avec insistance qu’« aucune
considération financière ne peut l’emporter sur l’exigence de la sécurité dans
un monde dangereux ». Royal, petite-fille d’un général de la Première
Guerre mondiale, s’est étendue sur la question. « Dans le monde instable
dans lequel nous vivons, il n’est pas question de réduire l’effort de défense
de la France, à la fois pour la protection de nos ressortissants, mais aussi
pour la défense des intérêts stratégiques et pour l’intervention sous l’égide
de l’ONU. »
Dans la discussion sur le rôle de la France dans la
construction d’une armée européenne, la notion même de partage du contrôle sur
les armes nucléaires de la France a été catégoriquement rejetée. « Absolument
pas », a répliqué Royal à son interviewer, « Sinon il n’y a plus de
dissuasion nucléaire. » Fabius, exprimant incidemment son soutien à la
conception bonapartiste de la présidence dans la cinquième République, a mis
l’accent sur le fait que « la clef nucléaire dépend du président de la
République. Et sa crédibilité dépend de la force d’âme et de décision du
président. » Strauss-Kahn était entièrement d’accord et a déclaré, « la
France doit garder en propre la capacité d’engagement, évidemment lorsqu’il
s’agit du nucléaire. »
Tous trois soutiennent le déploiement de l’armée française
partout dans le monde pour la défense des intérêts nationaux.
Sur l’Irak, Royal a fait une déclaration remarquable selon
laquelle l’actuel régime fantoche des USA, imposé par une armée d’occupation,
est « un gouvernement démocratique ». Elle s’est opposée à un retrait
immédiat des troupes américaines et a proposé qu’avant le retrait « il
faut faire un effort sur la coopération, l’aide au développement ». De
même, Strauss-Kahn a affirmé que le retrait des troupes américaines devrait se
faire rapidement, «mais il ne peut pas se faire si ça doit conduire à un risque
de guerre civile.»
Ils ont choisi avec cynisme d’ignorer le fait que les
fomenteurs de la guerre civile ne sont autres que les occupants néocoloniaux,
pratiquant les tactiques dévastatrices du diviser pour mieux régner afin de
maintenir leur domination. Et les candidats PS à la présidentielle ont gardé le
silence sur la motivation réelle de la guerre : prendre le contrôle des
ressources stratégiques de la planète et plus particulièrement du pétrole
d’Irak. Malgré leurs critiques de Bush, ils ont voulu montrer qu’ils
considèrent les Etats-Unis comme un allié.
Tous trois ont rendu hommage au rôle « magnifique »
joué par les troupes françaises participant, aux côtés des Allemands et des
Italiens, à la Finul (Force intérimaire des Nations Unies au Liban) pour
désarmer la résistance du Hezbollah face à l’agression israélienne. Ils n’ont
pas fait la moindre critique des actes meurtriers d’Israël, le plus impitoyable
allié des Etats-Unis, contre les peuples palestinien et libanais. Ils ont
exprimé leur déception sur le fait que les Etats-Unis ne se soient pas directement
impliqués au Liban.
Ils ont fait de la sécurité d’Israël une priorité tout en
exprimant des platitudes sur le droit des Palestiniens à avoir leur propre Etat.
Fabius a dit avec insistance qu’en tant que président de France il refuserait
de recevoir le président Ahmadinejad d’Iran ou les dirigeants du Hamas du fait de
leur objectif de détruire l’Etat d’Israël.
Sur la question de l’Iran, ils se sont montrés inflexibles sur
le fait que ce pays ne devrait pas être en mesure de faire ou d’obtenir de
l’uranium enrichi à des fins militaires. Ils sont d’accord sur la question des
sanctions si les Iraniens ne cédaient pas aux injonctions des Nations Unies.
Royal est allée jusqu’à refuser à l’Iran le droit au développement indépendant
d’une technologie nucléaire pacifique de production d’énergie, car cela
représentait un pas en avant vers son utilisation à des fins militaires.
Sur l’Union européenne
La différence la plus nette entre les candidats est apparue
sur la question de l’Union européenne. Lors du référendum de 2005 sur la
Constitution européenne, Fabius avait argumenté en faveur du « non »,
tandis que Royal et Strauss-Kahn soutenaient tous deux la Constitution en
accord avec la majorité dans le parti. Mais ce ne sont là que des différences
tactiques sur la manière dont les intérêts français au sein de l’Union
européenne peuvent être les mieux défendus.
Tous trois ont prôné une Union européenne capitaliste forte et
cherché à semer l’illusion qu’il était possible de la réformer pour maintenir
des services sociaux et un niveau de vie décents et empêcher le chômage de masse
et les délocalisations. Strauss-Kahn se tourne vers le renouvellement de l’axe
franco-germanique.
Fabius a réitéré la théorie des cercles : le premier
cercle serait les pays de l’euro-zone, le second serait les pays qui n’auraient
pas l’euro comme monnaie, tel le Royaume-Uni et le troisième serait un cercle
extérieur qui aurait des relations commerciales spéciales avec l’Union
européenne, des pays comme l’Ukraine et la Turquie, et les pays du Maghreb,
anciennes colonies de la France, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Ils ont
tous été d’accord pour dire qu’il fallait faire une pause dans l’expansion de
l’Europe et ont catégoriquement écarté l’idée d’une Europe à 50.
Strauss-Kahn, s’exprimant en chef d’Etat responsable de
l’impérialisme européen, a dit préférer continuer les négociations avec la
Turquie au sujet de son entrée dans l’Union européenne, bien qu’il ne pense pas
que cela serait possible avant 2040-2050. « Mais la Turquie, si elle n’est
pas liée à l’Europe, basculera de l’autre côté et nous aurons à nos portes un
pays qui sera très fortement connecté et à l’Irak et à Iran. », dit-il.
Aucun des candidats n’a fait la promesse d’abroger la loi antiterroriste
et la loi de prévention de la délinquance, toutes deux profondément
rétrogrades et autoritaires. Ils n’ont pas non plus condamné le recours à la
loi d’état d’urgence du président Jacques Chirac et du ministre de l’Intérieur
Nicolas Sarkozy. Cette loi avait été faite pour la guerre coloniale en Algérie
(1954-62), mais a été appliquée en France durant les émeutes des jeunes de
banlieues à l’automne 2005.
Sur les questions sociales, quelques propositions symboliques
apparaissent dans le programme électoral du PS. Leur manque de sérieux apparaît
dans le fait que leur coût n’a aucunement été détaillé. D’après des experts
indépendants pour le Figaro elles s’élèveraient à 46 milliards d’euros, somme
que le PS n’a aucune intention de mobiliser.
L’éditorial du Figaro du 13 novembre comparait ainsi Royal
au dirigeant de droite, en faveur du tout sécuritaire, du parti gaulliste UMP
(Union pour un mouvement populaire) au pouvoir, Nicolas Sarkozy qui sera très
probablement son principal adversaire à l’élection présidentielle « Même
message : la protection – contre les menaces du dehors (mondialisation,
délocalisations) et du dedans (délinquance, crise de l’éducation, faillite de
l’intégration.) »
Le Figaro, journal conservateur, ne
tranche pas sur la question de savoir lequel des deux servirait au mieux les
intérêts de la bourgeoisie française dans la période des luttes de classes à
venir : « Alors que la tempête gronde, entendront-ils le pilote qui,
d’une voix douce, promet de les mettre à l’abri du "vent mauvais" ?
ou bien estimeront-ils qu’il faut un capitaine décidé à affronter les
quarantièmes rugissants ? »
Le processus de sélection du Parti socialiste souligne la
nécessité urgente de construire en France et en Europe un parti totalement
indépendant de telles forces, qui se base sur un programme socialiste internationaliste.
(Article original anglais paru le 18 novembre
2006)