Le discours annuel qu’a donné le premier ministre britannique Tony Blair en l'honneur du
lord-maire de Londres à la City le 13 novembre était une
tentative de reformulation de la politique étrangère britannique après la répudiation
populaire de la guerre en Irak et la défaite qu’a subie l’administration Bush
dans les élections américaines.
Déjà très compromis et à la recherche de
soutien populaire, Blair a vu son autorité et sa popularité encaisser un autre
dur coup. Il s’est évidement senti forcé de répondre au point de vue largement
répandu dans les cercles dirigeants britanniques que son soutien à la guerre en
Irak et son alliance inconditionnelle avec l’administration Bush ont jeté la Grande-Bretagne
dans une débâcle qui a déstabilisé tout le Moyen-Orient avec potentiellement
des conséquences désastreuses.
Blair a donné ce discours un jour avant d’être
entendu par télévision par le Groupe d’étude sur l’Irak dirigé par Baker, l’ancien
secrétaire d’Etat de George Bush senior. Il a cherché à rassurer ses critiques
que prendrait cette occasion pour influencer débat sur la politique étrangère
qui se déroule aux Etats-Unis de façon à ce que les intérêts britanniques
soient pris en compte.
Le Groupe d’étude sur l’Irak qui comprend
des républicains et des démocrates de premier plan — plusieurs parmi eux ayant
joué un rôle à la fin des années 1980 et début 1990 pour mettre en branle le « processus
de paix » israélo-palestinien manqué — qui sont critiques des
néo-conservateurs et croient que leur politique a sérieusement nuit aux intérêts
américains partout au Moyen-Orient.
Bien que Blair ait insisté pour réaffirmer
qu’il soutient les Etats-Unis et qu’il défend l’invasion de l’Irak et qu’il est
maintenu qu’une rupture avec Washington serait « insensée », il a
indiqué qu’un changement de cap était nécessaire. « Tout comme la
situation évolue, de même notre stratégie doit évoluer pour y faire face »,
a-t-il dit.
Sans faire référence à un retrait de troupes américaines ou
britanniques, Blair a insisté que la tâche était de « renforcer le pouvoir
des dirigeants irakiens » pour qu’ils prennent la responsabilité pour
diriger et gagner « la lutte contre le terrorisme ». Finalement,
a-t-il dit, toute solution dépendra de la stratégie adoptée quant aux « forces
hors de l’Irak qui tente de créer le chaos en Irak ». « Toute la
stratégie au Moyen-Orient », selon Blair, commence avec la tentative d’amener
la Syrie et l’Iran à collaborer.
Même s’il ne contredit pas ouvertement la position déclarée
de la Maison-Blanche, Blair a fait certaines affirmations qui visaient à calmer
les critiques des politiques de l’administration Bush. Par exemple, il a décrit
la crainte que les Etats-Unis cherchent une solution militaire en Iran comme « véritable,
mais entièrement déplacée ». Il a défendu un « nouveau partenariat »
si Téhéran suspendait son programme d’enrichissement nucléaire, aidait au
processus de paix au Moyen-Orient et cessait « de soutenir le terrorisme
au Liban ou en Irak ».
Continuant sur la voie des ultimatums qui a caractérisé les
déclarations britanniques et américaines sur l’Iran, il a menacé le pays « d’isolement »
s’il ne satisfaisait pas aux conditions qu’il venait d’énoncer.
La Grande-Bretagne a activement œuvré à la réalisation de
cet objectif. Dans son discours, Blair a insisté que l’Iran et la Syrie « ne
partagent pas toujours des intérêts identiques ». Plus tôt ce mois, son
conseiller personnel sur les affaires étrangères, Sir Nigel Sheinwald, était en
Syrie où il aurait dit au président Bashar al-Assad qu’il pouvait soit
maintenir son alliance avec l’Iran ou bien normaliser ses relations avec l’Ouest.
De toute façon, a poursuivi Blair, le point de départ pour
tout règlement au Moyen-Orient n'est pas avec ces pays, ou avec le Liban, mais
avec « Israël et la Palestine... C'est l'élément central. »
Blair exige depuis longtemps de Washington qu'il utilise son
influence sur Israël pour l'inciter à accepter un Etat palestinien sur des
parties de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Cette fois, par contre, ses
remarques prudentes n'étaient pas qu'adressées à l'administration Bush, mais
aussi à ses critiques, dans l'espoir que, étant donné la position affaiblie de
Bush et le renvoi du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, son conseil ait
de meilleures chances d'avoir un impact.
Mais Blair, plus que tout autre chef européen, ne peut
contrarier comme il le veut l'administration Bush, et même ses remarques
timides lui ont été reprochées par la secrétaire d'Etat américain Condoleezza
Rice. Alors qu'elle était en Allemagne, elle a explicitement rejeté tout lien
entre l'Irak et le conflit israélo-palestinien et toute possibilité de
pourparlers avec la Syrie et l'Iran.
Cela empêche Blair d'exprimer clairement le profond mécontentement
qui existe à l'intérieur de l'élite dirigeante britannique. Il est instructif
de comparer son discours avec l'éditorial publié du Financial Times le
14 novembre avant son entrevue avec le Groupe d'étude sur l'Irak.
L'éditorial, qui équivalait à une critique radicale des
politiques des néo-conservateurs à Washington, et ciblant les relations
américaines avec Israël, a exigé une « réévaluation de toute la politique
au Moyen-Orient ».
Dans une évaluation remarquablement sombre de la situation à
travers le Moyen-Orient, le journal a déclaré que le « fiasco
irakien » a fait sombrer le pays « dans un cloaque d'épuration
ethnique et de pouvoir milicien ». La guerre israélienne, appuyée par les Etats-Unis,
sur le Liban l'été dernier a renforcé le Hezbollah et, en conséquence,
« un gouvernement essentiellement pro-occidental est en train d'imploser ».
L'offensive israélienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza a créé une
situation dans laquelle les territoires palestiniens « font face à un effondrement
sociétal ».
L'éditorial a dénoncé les colonies israéliennes « illégales »
de Cisjordanie, a critiqué les murs érigés dans les territoires palestiniens et
l'érection de « 500 points de contrôle israéliens » et a réprimandé
Blair pour son rôle de « troisième violon » face aux Américains et
aux Israéliens.
Il a gravement et largement accusé la politique commune des Etats-Unis,
de la Grande-Bretagne et d'Israël : « Leur combinaison d'inefficacité
diplomatique et de croyance en l'usage de la force a été fatale. Elle a donné à
des organisations telles que le Hamas et le Hezbollah du pouvoir et du prestige
bien au-delà de leurs forces naturelles. Au centre de ces bouleversements se
trouve l'échec d'arriver à un règlement complet basé sur le territoire, pour la
paix.
« Au cours des cinq dernières années, malgré la rhétorique occidentale,
Israël a étendu et consolidé sa prise sur la Cisjordanieet la zone arabe de Jérusalem
Est. Cela, tout à fait comme l’invasion non provoquée de l’Irak, est ce
qui menace constamment d’embraser la région. »
Le Financial Times en appelle de façon urgente à une « solution complète »
entre Israël et les Palestiniens qui aura pour pièce maîtresse le concept d’échanger
le territoire pour la paix. Cette nouvelle stratégie au Moyen-Orient va
« nécessiter un engagement avec l'Iran et la Syrie. »
Blair, ni aucun autre politicien britannique ne sont en position de faire
une telle demande à la Maison-Blanche. Dans un article distinct, le chroniqueur
du Financial Times Philips Stephens reconnaissait que dans la tentative
de Washington de reformuler sa stratégie au Moyen-Orient, « les questions
politiques domestiques vont peser beaucoup plus lourd que le calcul stratégique
sobre — ou de ses obligations à l'égard de ses alliés les plus proches. »
Tout ce qui restait était un appel à Blair que « parfois la vérité doit
être dites publiquement à ceux au pouvoir. »
Le Financial Times et plusieurs autres au sein de l'establishment
britannique en matière de politique étrangère ont misé beaucoup sur l'espoir de
voir le Groupe d'étude sur l'Irak livrer la marchandise. Mais comme le
chroniqueur du New York Times David Brooks, un républicain, le notait,
« L'idée que la commission va arriver avec une sorte de solution magique à
laquelle nous n'avions pas pensé est fausse… Tous ces plans sont déjà sur la
table et aucun n'est particulièrement plaisant. »
Plus fondamentalement, l'appui de Blair à la guerre en Irak avait été
quasiment universellement appuyé par l'élite dirigeante britannique. Cela
reflète la reconnaissance que la Grande-Bretagne, en tant que puissance impérialiste
en déclin, ne peut défendre ses intérêts contre ses rivaux plus puissants qu'en
s'alignant avec les Etats-Unis. Cette situation n'a pas changé.
Blair a rappelé à ses critiques ces réalités géopolitiques en consacrant la
majeure partie de son discours à réitérer l'importance fondamentale de
maintenir cette alliance. Il a insisté sur le fait qu'aucune des préoccupations
vitales de la Grande-Bretagne « ne peut être adressée, sans parler d’être
résolue, sans l'Amérique. » Faisant allusion à l'attitude de plus en plus
affirmative de la Russie et de la montée de la puissance économique de la Chine
et de l'Inde, il dit, « De nouvelles puissances émergent » en
face desquelles il est nécessaire de forger des « alliances avec des
nations qui partagent nos valeurs. »
La dépendance vis-à-vis des Etats-Unis est une source de profonde
instabilité, pas seulement pour le gouvernement Blair, mais pour toute la
bourgeoisie britannique. Plus que toute autre, sa bonne fortune est liée au
résultat de la lutte factionnelle qui a éclaté à Washington et de l'aggravation
de la situation au Moyen-Orient qui l'a provoquée.
(Article original anglais paru le 16
novembre 2006)