Tout comme le gouvernement Harper
invoque la chasse aux « terroristes talibans » pour justifier une
intervention militaire de type néo-colonial en Afghanistan, c’est sous le
couvert de la lutte « contre le crime » qu’il cherche à augmenter les
pouvoirs répressifs de l’État au pays.
Et de même que des droits démocratiques
élémentaires (protection contre la détention arbitraire, obligation de
divulguer la preuve) sont foulés aux pieds au nom de la « guerre au
terrorisme », ce sont des principes légaux de longue date tels que la
présomption d’innocence et l’indépendance du système judiciaire envers le
pouvoir exécutif qui sont les premières victimes de la campagne des
conservateurs contre les soi-disant « criminels violents ».
Grossissant la présence réelle du
crime dans la société canadienne, les conservateurs de Harper ont annoncé une
série de modifications au Code criminel qui vont accroître la sévérité et la
durée des peines et dont le seul effet prévisible est d’augmenter la population
carcérale.
Le plus récent des changements
annoncés concerne un durcissement de la Loi sur les jeunes contrevenants afin
d’y inclure des sentences plus sévères pour les mineurs. « Les jeunes
doivent comprendre que lorsqu'ils commettent des crimes violents contre d'autres
personnes, ils doivent entièrement être tenus responsables de leurs actes »,
a déclaré fin octobre le ministre de la Justice, Vic Toews.
Sans dévoiler tous les détails du
projet gouvernemental, le ministre a évoqué la possibilité que des jeunes trouvés
coupables de crimes aient à purger leurs peines en prison plutôt qu’en centre de
réhabilitation. « Quand des jeunes commettent à répétition des actes
criminels », a fait savoir Toews, « nous ne devrions pas être gênés
d’utiliser nos ressources carcérales ». Ces nouvelles dispositions
pourraient toucher les enfants âgés de 12 ans.
Quelques jours auparavant, c’est
le premier ministre Stephen Harper lui-même qui annonçait devant un parterre de
policiers à Toronto une autre modification au Code criminel : les gens
coupables d’une troisième infraction avec violence seraient automatiquement
qualifiés de « délinquants dangereux » et pourraient devoir passer le
reste de leurs jours sous les verrous.
La loi prévoyait jusqu’ici la possibilité
de faire déclarer un individu « délinquant dangereux » après toute
infraction impliquant des « sévices graves contre la personne »,
telle que : agression sexuelle, menace à une
tierce personne ou avoir infligé des lésions corporelles.
Mais elle établissait une
distinction nette entre délinquants à contrôler et délinquants dangereux, les premiers
étant soumis au contrôle des services correctionnels durant une période
maximale de dix ans après la fin de la sentence, tandis que les seconds étaient
emprisonnés durant une période indéterminée – jusqu’à ce qu’ils ne soient plus
considérés dangereux pour la société.
Des précédents existent pour la
première catégorie : sur la base de rapports produits par des experts psychiatres,
les juges n’hésitent pas à déclarer un individu délinquant à contrôler. Ce
n’est pas la même chose pour les délinquants dangereux, les conséquences étant
beaucoup plus lourdes (la prison à vie). Les demandes pour faire déclarer un
individu délinquant dangereux ont été essentiellement limitées jusqu’ici aux
cas d’agression sexuelle par un psychopathe.
Le changement proposé aurait pour
effet de déclarer automatiquement délinquant dangereux un individu coupable de
vol à main armée par exemple et qui en est à son troisième délit. Ce sera à lui
et à son avocat de démontrer qu’il n’appartient pas à cette catégorie sous peine
de risquer la prison à vie. Cela représente un renversement significatif du
fardeau de la preuve : c’était auparavant à la Couronne de prouver qu’un
accusé représentait une telle menace à la société qu’il devait être déclaré
délinquant dangereux.
Le président de l’Association
canadienne des policiers, Tony Cannavino, a chaudement accueilli cette mesure. « Nous
pouvons vous montrer des douzaines de personnes à qui cela pourrait s’appliquer
dans toutes les juridictions », a-t-il déclaré avec satisfaction. En
effet, selon le projet de loi des conservateurs, seule la troisième infraction
doit entrer dans la catégorie des crimes violents. Les deux premières peuvent avoir
été comparativement mineures en autant qu’elles étaient passibles d’une
sentence de dix ans de prison et que leur auteur ait écopé de deux ans.
Un autre projet de loi du
gouvernement conservateur minoritaire visait à éliminer la possibilité de
peines d’emprisonnement avec sursis (détention à domicile) pour les infractions
passibles d’une sentence maximale de dix ans.
La promotion de cette loi avait
été faite avec un cynisme sans pareil, le ministre de la Justice affirmant qu’elle
visait uniquement les crimes violents. Or, tant le vol d’un bien d’une valeur supérieure
à 5000 $, que le harcèlement ou le simple fait de tenter d’embrasser une
personne (une forme d’agression sexuelle) sont des infractions passibles de dix
ans d’emprisonnement. Lorsque le code prévoit une sentence maximale de dix ans,
cela signifie qu’il n’y a pas de minimum prévu. La personne visée peut recevoir
une amende ou une simple réprimande, ce qui n’est pas si rare, la peine sévère
de dix ans s’appliquant « au pire des criminels pour le pire des crimes ».
Même si les partis d’opposition
ont largement embrassé les plans conservateurs visant à faire régner « l’ordre
et la loi », ils ont dans ce cas-ci défait le projet de loi conservateur à
cause de son caractère si grossièrement démagogique.
Les peines minimales obligatoires pour
crimes commis avec arme à feu constituent un autre volet des mesures annoncées
par les conservateurs. Les modifications auront pour effet de quintupler la
durée de l’emprisonnement pour une première infraction (de 1 à 5 ans), plus que
doubler celle pour une seconde infraction (de 3 à 7 ans) et porter la peine
pour toute autre récidive à un minimum de 10 ans. Ces années de prison
s’ajoutent à la peine pour l’infraction principale, par exemple le vol ou la
menace commise avec l’arme à feu, sans nécessairement qu’elle ait été utilisée
ou même exhibée.
Ces nouvelles dispositions entraîneraient
une augmentation de 300 à 400 détenus et coûteraient environ 250 millions de
dollars par année au trésor fédéral, privant d’autant d’argent les programmes
de prévention du crime. Pourtant, le ministère de la Justice a lui-même émis
des doutes sur le caractère préventif des peines minimales accrues,
écrivant dans un document d’analyse cité en août dernier par le quotidien La
Presse que « ces peines n’ont pas d’effet dissuasif spécial ou de
conséquences éducatives et elles ne sont pas plus efficaces que des peines plus
légères pour contrer le crime. »
Il est également question, pour
les infractions impliquant une arme à feu, d’éliminer la possibilité pour le
juge d’octroyer une liberté sous caution, ce qui signifie que l’accusé devra
demeurer en prison jusqu’à son procès. Cela constituerait un renversement du
principe : liberté d’abord, détention au besoin (c’était jusqu’ici à la
couronne de démontrer que la détention était nécessaire).
Les conservateurs proposent aussi le
rehaussement de l’âge du consentement sexuel. Prenant la parole lors d’un
événement organisé en mémoire de Holly Jones, une jeune fille victime d’un
prédateur sexuel et retrouvée morte en mai 2003 à l’âge de 10 ans, le
ministre Toews a déclaré : « En augmentant de deux ans l'âge de
protection, le gouvernement cible les prédateurs sexuels qui s'en prennent aux
personnes les plus vulnérables de la société. »
En fait, le gouvernement utilise
le pire crime commis par un psychopathe pour introduire une modification au
code criminel qui n’a rien à voir avec le type d’individu ni avec la situation
qu’il dénonce, mais tout à voir avec les groupes religieux moralisateurs de
droite qui forment une base importante du parti conservateur. Une personne
accusée d’agression sexuelle peut dire pour sa défense que la victime alléguée
était consentante, mais pas si celle-ci est une adolescente de moins de 14 ans.
Le projet de loi va augmenter cet âge à 16 ans. Holly Jones avait 10 ans et son
agresseur 35 : le consentement n’aurait pu être invoqué (la jeune fille a
été assassinée) ni n’aurait été recevable vu l’âge de la jeune fille.
Quant à la supposée vague de
criminalité invoquée sans cesse par Ottawa, elle est démentie par de nombreuses
études qui indiquent une diminution constante du crime, particulièrement chez
les jeunes.
Selon un rapport produit ce
juillet par Statistiques Canada: « Le taux national de criminalité du
Canada, qui est fondé sur les affaires déclarées à la police, a chuté de 5 pour
cent l'année dernière… ». Le rapport conclut que depuis 1999, le
taux global de crimes avec violence – le principal cheval de bataille des
conservateurs – n'a pas changé, malgré une augmentation au cours de l’année
2005. Toujours selon les donnés du rapport, chez les jeunes, qui sont une cible
répétée des conservateurs, le taux de criminalité a chuté de 6 pour cent en
2005, une deuxième année consécutive de diminution. Les vols qualifiés commis à
l'aide d'une arme à feu – autre refrain des conservateurs – ont continué de
régresser, affichant une baisse de 5 pour cent l'an dernier. Les statistiques
indiquent une augmentation pour certains types de crime, mais pas une explosion
du crime qui nécessiterait des mesures exceptionnelles. Au contraire, le taux
de criminalité, même pour les cas violents, demeure en deçà des sommets
historiques du début des années 90 et continue de diminuer.
Le gouvernement Harper prétend que
l’ensemble des changements annoncés ont pour but de « maintenir la
sécurité de nos rues et de nos collectivités ». Leur véritable but est de
semer un climat de peur justifiant la mise en place de mesures policières et
judiciaires répressives. Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Stockwell
Day, a annoncé par exemple l’embauche de mille nouveaux agents de la GRC
(police fédérale) ainsi que la réfection de l’École nationale de la GRC pour
qu’elle produise un plus grand nombre de policiers. Le gouvernement du Québec
prévoit de son côté la construction de cinq nouveaux centres de détention rien
que pour faire face à la surpopulation aiguë dans les prisons existantes.
Les conservateurs cherchent à
bannir du discours politique la conception que le crime a des causes sociales,
conception qui à une époque précédente avait nourri une approche basée sur la
réhabilitation plutôt que la punition. Mais la classe dirigeante est engagée
depuis la fin des années 70 dans une offensive sans précédent sur les emplois
et le niveau de vie de la majorité travailleuse. Une telle politique – baisses
massives de taxes pour les riches et coupes à blanc dans les programmes sociaux
au pays, militarisme et néo-colonialisme à l’étranger – alimente une colère
grandissante parmi de larges couches de la population.
N’ayant aucune solution
progressiste à la profonde crise générée par un système axé sur la recherche du
profit individuel, le gouvernement Harper cherche à détourner le mécontentement
populaire en présentant les problèmes sociaux chroniques comme le résultat du
« mal » incarné par les criminels endurcis. Sans véritable appui
populaire, ce gouvernement minoritaire de droite se cherche une base sociale
parmi les couches les plus réactionnaires de la société en courtisant les
forces de police et en faisant appel aux préjugés des éléments sociaux les plus
arriérés.