L’opposition écrasante à la guerre
en Irak s’est manifestée dans les élections américaines et l’affaiblissement de
l’administration Bush qui en est résulté est source de préoccupations dans les
cercles dirigeants britanniques. On y craint que le vote anti-guerre et
anti-Bush aux Etats-Unis puisse devenir le catalyseur en Grande-Bretagne de
l’opposition populaire au gouvernement en crise de Blair ainsi qu’à sa
politique de guerre à l’étranger et d’attaques sur le niveau de vie et les
droits de la classe ouvrière au pays.
C’est dans ce contexte que Dame ElizaManningham-Buller, la directrice
générale du MI5, l’agence d’espionnage intérieur britannique, a lancé un
avertissement apocalyptique la semaine passée que des attentats terroristes
étaient imminents, sans présenter le moindre élément de preuve pour étayer ses
dires. Ces remarques ont été faites avec l’intention de provoquer la panique et
de légitimer la « guerre au terrorisme ».
Les services sécuritaires, a-t-elle
déclaré, ne pourront arrêter une attaque parce que, malgré l’augmentation du
financement et de la main-d’œuvre, ils sont dépassés par l’ampleur du problème.
Elle a dit qu’il y avait maintenant trente attentats terroristes de
« première priorité » visant à faire un grand nombre de victimes en
préparation en Grande-Bretagne. Les services de sécurité ont identifié 200
réseaux terroristes impliquant au moins 1600 personnes et la charge de travail
du MI5 a augmenté d’au moins 80 pour cent depuis janvier.
« De plus en plus de
gens passent d'une sympathie passive au terrorisme actif
à une radicalisation ou un endoctrinement par des amis, familles, des
entraînements organisés ici et à l'étranger », a-t-elle déclaré. « De
jeunes adolescents sont formés pour devenir des kamikazes. »
Elle
a continué, « Aujourd'hui, nous assistons à l'utilisation de bombes
artisanales. Demain, la menace pourrait être les agents chimiques ou
bactériologiques, les matières radioactives et même la technologie
nucléaire. »
Les
sondages montrent que « plus de 100 000 de nos citoyens considèrent
que les attentats à la bombe de juillet [dans le métro] de Londres étaient justifiés »,
a-t-elle ajouté.
Les
avertissements de Manningham-Buller ont fait les
manchettes pendant plusieurs jours. Ils eurent la principale place dans
l’émission Today de la BBC qui détermine le
matériel traité dans les informations de la journée. C’est un acteur qui a
prononcé son discours parce qu’elle l’a donné devant un auditoire choisi où ni
les caméras ni les micros n’étaient permis. Elle n’a donné aucune entrevue.
Le
discours était plus qu’un ajout au climat d’islamophobie
que les politiciens britanniques ont alimenté depuis les derniers mois. Les
avertissements d’attentats horribles qui sont à la fois imminents et
inévitables soulèvent la possibilité réelle que la police secrète britannique
considère réaliser une provocation majeure. Et même si un tel crime ne se
matérialisait pas, le discours annonce une nouvelle offensive sur les libertés
civiles du peuple britannique.
A
cette fin, le discours de Manningham-Buller a reçu
l’approbation du ministre de l’Intérieur John Reid et ses déclarations ont été
immédiatement soutenues par le premier ministre Tony Blair.
Néanmoins,
il faut noter que ces remarques contredisent les affirmations du gouvernement
britannique que les attentats à la bombe n’ont aucun lien avec les invasions de
l’Irak et de l’Afghanistan. Manningham-Buller a été
claire que la politique étrangère de Blair contribuait dans les faits à
l’opposition « terroriste » en Grande-Bretagne.
Des
sections importantes des élites dirigeantes croient, tel que l’a dit le chef
d’état-major britannique, le général Sir Richard Dannatt,
que le gouvernement Blair est empêtré dans le désastre en Irak et qu’il mène
une guerre perdante en Afghanistan.
Les
gains des démocrates aux élections de mi-mandat vont approfondir la conviction
de certains que la Grande-Bretagne doit prendre ses distances de Bush et tenter
de développer une nouvelle approche pour faire valoir ses intérêts au
Moyen-Orient et en Asie centrale. Toutefois, la capacité de la Grande-Bretagne
à réaliser cet objectif est très limitée étant donné l’importance stratégique
de son alliance avec les Etats-Unis.
En tout cas, il n’y a pas de section
de la classe dirigeante prête à considérer mettre fin à la guerre en Irak ou au
militarisme. Le discours de Manningham-Buller a eu
lieu un jour après que la ministre des Affaires étrangères Margaret Beckett eut
donné l’assurance qu’il n’y aura pas de « précipitation » pour
retirer les troupes britanniques de l’Irak ou l’Afghanistan.
Malgré le rejet écrasant par le
peuple américain de l’invasion de l’Irak de Bush et malgré l’opposition
largement répandue en Grande-Bretagne, le gouvernement britannique a été clair
que les opérations militaires impérialistes continueront sous le couvert de la
lutte au terrorisme.
La Grande-Bretagne, a dit Blair,
fait face à une « longue et profonde lutte » contre le terrorisme et
il a été important de « se tenir debout » et de faire partie des
combattants tout comme de s’attaquer à la « propagande empoisonnée »
qui trouble les jeunes gens.
Manningham-Buller parle au nom de l’élite politique
britannique encore plus certainement que Blair. Elle est née pour son travail
actuel. Son père était Sir Reginald Manningham-Buller,
un ministre dans le gouvernement de Winston Churchill avant de devenir procureur-général et ensuite lord chancelier durant l’ère
Macmillan.
Son histoire en ce qui concerne les
intérêts de l’Etat britannique en est une de totale
fiabilité. Elle est devenue l’une parmi les quelques agents du MI5 dans la
période de la Guerre froide à qui l’on avait assez confiance pour dire que Oleg
Gordievsky était un agent double et elle a été
impliquée dans l’analyse du matériel qu’il a fourni. Elle était à Washington
lors de la première Guerre du golfe, revenant en Grande-Bretagne en 1992 pour
diriger les opérations anti-IRA. Elle est devenue adjointe au directeur-général du MI5 en 1997 sous le gouvernement
travailliste de Blair.
En 2003, elle a produit une
déclaration devant les Law Lords louangeant la découverte de
« l’attentat terroriste à la ricine ». La
police a prétendu avoir trouvé une cellule d’al-Qaïda et ce qui fut décrit
comme un « laboratoire de produits toxiques » dans un appartement de
Londres où un attentat terroriste était en préparation. La poursuite contre
huit hommes s’est effondrée en avril 2006. On a trouvé ni ricine,
ni autres poisons. L’unique personne emprisonnée a été condamnée pour avoir tué
un policier durant la descente et pas pour un crime lié au terrorisme.
L’accusation était basée sur des
allégations faites par un certain MohmammadMeguerba aux autorités algériennes. Il est généralement
admis que ses déclarations ont été obtenues sous la torture.
Manningham-Buller a justifié l’utilisation de la
preuve, disant que « le questionnement de nos contacts algériens sur leurs
méthodes d’interrogations des détenus aurait probablement été rejeté, mais
aurait quand même nuit à notre relation au détriment de notre capacité à
contrer le terrorisme international ».
Cette affaire a été utilisée pour
justifier et pour forcer des lois anti-terroristes, y compris des provisions
permettant la détention sans accusations et le jugement d’étrangers. Pendant
trois années, des hommes furent détenus virtuellement en isolement complet.
Plusieurs d’entre eux ont souffert de troubles mentaux en conséquence.
Lorsque cette pratique fut annulée
en 2005 par les Law Lords, qui sont des juges siégeant à la Chambre des
lords formant la plus haute instance judiciaire au pays, le gouvernement passa
une nouvelle loi qui leur permettait d’émettre des « ordres de
contrôle », une forme d’assignation à domicile lors de laquelle la liberté
d’expression est gravement réduite.
En 2005, les attentats de Londres du
7 juillet, où 52 personnes sont mortes, ont soulevé davantage de questions sur
la façon dont la menace terroriste était utilisée pour justifier des politiques
gouvernementales. Au moins deux de ceux impliqués dans les attentats de Londres
étaient connus des services du renseignement avant l’événement. Ils avaient été
sous surveillance pendant deux ans. De plus, la sécurité dans la capitale avait
été réduite malgré le fait que le sommet du G8 se déroulait en Grande-Bretagne
à ce moment.
A propos des attentats de Londres,
de nombreuses questions sans réponse demeurent. Des survivants et de la parenté
des personnes décédées ont exigé une enquête publique mais le gouvernement a
rejeté toutes ces demandes.
Certaines des questions relatives à
l’affaire ont été soulevées par l’écrivain et universitaire NafeezMosaddeq Ahmed, qui est professeur de relations
internationales à l’Université de Sussex à Brighton. Dans son livre The London Bombings
(Les attentats de Londres), il arrive à la conclusion que « la version des
événements selon l’Etat supprime systématiquement
tous les éléments qui pourraient montrer que les attentats étaient liés aux
activités des groupes islamiques tolérés depuis longtemps dans ce pays ».
Il fait remarquer que « ceux qui ont inspiré, recruté et entraîné les
terroristes eux-mêmes ont une troublante identité en tant qu’alliés provisoires
de l’Etat britannique. »
NafeezMosaddeq
Ahmed décrit comment, « Dans toutes ces régions [l’Afghanistan et les
Balkans] des réseaux militants islamiques ont opéré en collaboration avec les
institutions de l’armée et des services de renseignement de la Grande-Bretagne,
des Etats-Unis et des pays européens » et sont liés aux tentatives de
l’occident pour « sécuriser une série d’intérêts stratégiques et
économiques régionaux, liés en grande partie aux questions d’énergie ».
Comme l’avait fait remarquer le
Parti de l’égalité socialiste dans une évaluation faite un an après les
attentas, « Etant donné la feuille de route de
MI5 et de son homologue de la sécurité extérieure MI6, ainsi que le rôle
central qu’ont joué historiquement les provocations dans la politique
britannique en Irlande et ailleurs, on ne peut exclure l’idée que l’on aurait
laissé les attentats de Londres se produire. »
En avril de cette année, la Loi
antiterroriste, passée rapidement à la suite des attentats de Londres, a été
inscrite au code de la loi. Des organisations et des individus qui
« encouragent » le terrorisme, incluant ceux qui ne font que des
déclarations qui « glorifient » les actes terroristes, sont
criminalisées, même lorsque qu’il n’y a aucune intention de mener un acte criminel
de quelque sorte. Il est maintenant possible de détenir des personnes pour 28
jours sans accusation. Une autre loi antiterroriste est maintenant en
préparation pour la prochaine session du Parlement.
Cet été, les aéroports britanniques
ont arrêté leurs activités à cause d’une menace terroriste. Vingt-quatre
personnes ont été arrêtées et sont en attente d’un procès. Certains des accusés
n’avaient pas de passeports et aucun n’avait acheté de billets pour les vols
transatlantiques qui avaient été supposément ciblés pour les attentats.
On soutient qu’ils prévoyaient
mélanger des « explosifs liquides » à bord des avions. Un officier à
la retraite des services du renseignement de l’armée britannique, Nigel Wylde, qui a été décoré pour son travail de déminage en
Irlande du Nord, a décrit la proposition selon laquelle les terroristes
pouvaient faire le mélange d’explosifs à bord de l’avion comme étant de la
« fiction ». Le lieutenant-colonel Wylde,
qui a pris sa retraite en 1991, a témoigné devant la commission Barron sur les attentats de Dublin-Monaghan
qui s’est tenue dans la République d’Irlande en 2004.
En
plus de l’arrestation pour le complot à la bombe liquide, 8 autres personnes
ont été arrêtées il y a deux ans. L’un d’eux, DhirenBarot, subissait son procès la semaine dernière et les
autres y feront face l’an prochain. Les comptes rendus du procès de Barot soulèvent plus de questions qu’ils ne donnent de
réponses.
Il y est dit qu’il est « un
agent opérationnel significatif d’al-Qaïda » et est accusé d’avoir
planifié des attentats terroristes d’envergure. Les accusations incluent
l’allégation selon laquelle il planifiait de faire exploser une bombe sale remplie
de matériel radioactif et de faire exploser le train souterrain à Londres,
inondant les tunnels sous la Tamise. Barot a changé
son plaidoyer de non-culpabilité en une admission de
complot de meurtre le mois dernier. La police prétend qu’il a agit ainsi parce
que la preuve contre lui était si « accablante ».
En fait, la preuve contre lui est
circonstancielle. Les plans détaillant l’attaque ont été découverts sur un
portable. Mais l’ordinateur a été saisi lors d’une perquisition au Pakistan, ce
qui est loin d’offrir une preuve fiable.
Aucune arme ou bombe n’a été
trouvée. Aucun matériel radioactif, agent biologique ou substance chimique n’a
été découvert. Au moment de son procès, Barot était
en prison depuis deux ans. On ne sait pas quelles pressions psychologiques a
subi Barot pour qu’il plaide coupable. Il a été
condamné à un minimum de 40 ans de prison.
Un événement récent démontre le type
d’opération utilisé par le M15 pour mousser la peur du complot terroriste. Le
ministre de l’Intérieur, John Reid, a donné un discours dans lequel il attaque
les « voyous musulmans » et durant lequel il a été interrompu par AbuIzzadeen et AnjemChoudray. Les deux sont
affiliés au réseau proscrit al-Muhajiroun, qui,
est-il allégué, serait lié à al-Qaïda.
Comme l’auteur NafeezMossadeq Ahmed l’a souligné, « malgré
l’apparente proscription, les membres clés du groupe et ces activités opèrent
sans interférence. A ce jour, le gouvernement a refusé d’arrêter et de
poursuivre ces individus en dépit de leurs violations répétées des lois
britanniques, incluant l’incitation à la violence, la haine raciale et le
terrorisme, et particulièrement en dépit de leur admission d’être engagé dans
l’entraînement terroriste et leurs aveux d’avoir l’intention de viser la Grande-Bretagne. »
George Galloway, député du mouvement
Respect au Parlement pour la circonscription Bethnal
Green et Bow, a soulevé la question dans une lettre
ouverte à John Reid. Il écrit, « L’homme qui vous a sermonné — AbuIzzadine [sic] — est un
extrémiste violent bien connu d’une organisation que votre propre gouvernement
a interdite. Mais il lui a encore été permis de s’approcher suffisamment le
ministre de l’Intérieur pour être en position de le frapper. Comment ? Pourquoi
? »
Galoway continue, « C’est le même
homme qui menait un groupe de brutes fanatiques dans la brève “prise d’otages”
dont j’ai été victime ainsi que ma fille et plusieurs autres membres innocents
du public durant une assemblée générale électorale l’an dernier. C’est un fait
bien connu de la Section spéciale et des officiers seniors de Londres Est — les
mêmes personnes en charge de votre sécurité aujourd’hui. »
L’incident impliquant Reid fait
partie des processus de provocation qui ont été utilisés pour justifier les
mesures répressives. Durant l’été, des affirmations sensationnalistes ont été
faites à propos de complots terroristes. Le faible nombre de femmes musulmanes
qui portent le voile a été amené au rang de menace au mode de vie britannique.
Une atmosphère d’hystérie a été créée et le nombre des attaques racistes contre
les musulmans a augmenté. Maintenant, le directeur général du M15 est sorti de l’ombre
pour avertir d’une menace imminente qu’elle est supposément impuissante à
prévenir.
Il ne fait aucun doute que le
bellicisme et l’agitation antimusulmane de Blair a mis
en colère des millions de personnes à travers le monde et créé un terrain fertile
de recrutement pour les fondamentalistes musulmans. Ce que l'on peut
légitimement demander est quel rôle le MI5 et d'autres agences du gouvernement
britannique auront joué dans tout attentat terroriste qui peut se produire.
(Article original anglais paru le 15
novembre 2006)