Depuis la fin des vacances d’été, au moins 70 travailleurs de
l’aéroport parisien de Roissy ont perdu leur badge d’habilitation à la zone
sécurisée, et donc leur travail, du fait qu’ils sont musulmans. Ce chiffre est
donné par la CFDT (Confédération française démocratique du travail), proche du
Parti socialiste, qui avec d’autres syndicats a porté plainte auprès du
procureur pour discrimination. Certains de ces travailleurs sont des délégués
syndicaux élus.
Le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy a justifié le
retrait des badges de 43 bagagistes, tous musulmans, par Jacques Lebrot,
sous-préfet chargé de zone aéroportuaire de Roissy, dans un discours fait à la
Sorbonne le 21 octobre. Il a dit, « Je ne peux pas accepter que des gens
qui ont une pratique radicale travaillent sur une plateforme aéroportuaire. Je
préfère qu’on ait le risque d’un contentieux parce qu’on a été trop sévère,
plutôt qu’on se retrouve dans un drame parce qu’on n’a pas été assez
sévère. »
Il a ajouté qu’il était de son « devoir de veiller à ce
qu’ils n’aient ni de près ni de loin de liens avec des organisations
radicales …. Peut-être qu’on s’est trompé », mais dans ce cas,
« qu’ils fassent valoir leurs droits devant les tribunaux ». Cette
attitude indique l’intention de l’Etat français de procéder à des victimisations
à volonté au nom de la « guerre contre le terrorisme ».
La nature arbitraire du retrait des badges de ces travailleurs
a été mise en avant le 7 novembre par les référés des huit employés de Roissy, examinés
par le juge des référés de Bobigny. Georges Holleaux, l’avocat du préfet de
Seine-Saint-Denis, a indiqué que pour deux des huit employés « il a été
décidé de revenir sur leur retrait de badge ».
Le juge doit aussi examiner les demandes de sept salariés
d’avoir accès à leur dossier et une deuxième demande de « violation de la
présomption d’innocence » y a été ajoutée.
Me Moutet, l’avocat de quelques-uns des salariés, a fait
remarquer qu’aucune procédure n’avait été lancée contre les travailleurs
auxquels on avait retiré le badge. Il a de plus confirmé que « sept lieux
de culte islamiques clandestins et illégaux » avaient été fermés dans les
aéroports de Roissy et d’Orly.
Sarkozy prétend avoir des « des éléments précis »
pour étayer ses déclarations de « liens avec le terrorisme », mais ne
fournit pas de preuves. Pour lui dans sa « guerre contre le
terrorisme », les accusés sont coupables jusqu’à ce que leur innocence ait
été prouvée. Son responsable local de la police en charge de la sécurité
aéroportuaire, Jacques Lebrot, a défendu la chasse aux sorcières contre les
musulmans, en mettant en avant le « risque terroriste ». La lettre
envoyée aux victimes est kafkaïenne : « Considérant que les
observations de Monsieur [suivi du nom du bagagiste] n’ont pas été de
nature à apporter la preuve d’un comportement insusceptible de porter
atteinte à la sûreté aéroportuaire » [italiques ajoutés] cela s’est avéré
suffisant pour licencier le travailleur. Il est demandé à la victime de prouver
la non-existence de quelque chose.
L’avocat Moutet a clairement fait savoir que les
interrogatoires de la police avaient été centrés sur les croyances religieuses
de ces personnes : « Etes-vous de confession musulmane ? » —
« Pratiquez-vous assidûment votre religion ? » —
« Connaissez-vous tel ou tel imam ? » — « Fréquentez-vous
telle ou telle mosquée ? » — « Pourquoi portez-vous une
barbe ? » D’autres questions portaient sur les voyages à l’étranger,
notamment au Pakistan. Jacques Lebrot a déclaré que « quelqu’un qui va passer
des vacances plusieurs fois au Pakistan, cela nous pose des questions ».
Depuis janvier 2002, suite aux attaques du 11 septembre aux
Etats-Unis, la sécurité aéroportuaire a été renforcée. Les badges
d’habilitation aux zones sécurisées sont délivrés par le préfet qui rejette les
personnes dont « la moralité et le comportement ne présentent pas les
garanties nécessaires en matière de sécurité publique ». Le tri ne prend
pas seulement en compte le casier judiciaire du travailleur, mais repose aussi
sur les fichiers de la police dont l’exactitude n’a jamais été prouvée.
Dès février 2002, une grande campagne de contrôle des
travailleurs habilités à pénétrer dans la zone sécurisée (bagagistes, personnel
de sécurité) avait été effectuée et avait eu pour conséquence le licenciement
de centaines de travailleurs du fait du retrait des badges.
Une représentante de la CGT (Confédération générale du
travail) a dit : « Après des années de travail sur l’aéroport, ces
personnes se retrouvaient avec des enquêtes sur le dos. Beaucoup avaient un
passé de jeune de cité, fait de “conneries” plus ou moins graves, mais
justement ce travail leur avait permis de rompre avec ce passé, de se
stabiliser. » Elle a ajouté que la CGT avait découvert que les fichiers de
la police faisaient mention de poursuites qui avaient été réfutées et même
d’arrestations pour lesquelles il n’y avait aucun chef d’accusation.
Didier Frassin, représentant la section locale de la CGT a dit
à la presse que pour les 80 000 travailleurs de l’aéroport, source la plus
importante d’emplois de la région parisienne, « L’habilitation peut à tout
moment être enlevée. Les badges se transforment ainsi en instrument de contrôle. »
Il a dit que c’était comme « une épée de Damoclès suspendue au-dessus de
leur tête ». Le moindre accrochage avec la police, même hors de
l’aéroport, peut entraîner la perte du badge. « Après une grève avec
occupation du parking avions, le préfet a puni les délégués syndicaux de 8
jours de retrait d’agrément, sans salaire… C’est une sorte de droit
disciplinaire aux mains du préfet », a-t-il ajouté.
Dans une déclaration, la section des travailleurs
aéroportuaires de la confédération syndicale Sud a dit, « le risque
terroriste est utilisé pour stigmatiser et discriminer de façon insupportable
des salariés d’origine maghrébine, pratiquants religieux ou non, en leur
refusant l’accès aéroportuaire en zone réservée ».
Plusieurs travailleurs se sont tournés vers le MRAP (Mouvement
contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) qui a rapporté que depuis
août 2006, près de 100 personnes avaient été touchées, et qu’après avoir
examiné attentivement les motifs du préfet et les informations concernant cette
affaire, « le MRAP craint que l’arbitraire et la discrimination n’aient
prévalu dans cette prise de décision ».
La publication en avril 2006 du livre de Philippe de Villiers Les
Mosquées de Roissy a donné le ton au programme raciste du gouvernement
français. De Villiers est le dirigeant du MPF (Mouvement pour la France) d’extrême-droite
qui concurrence le Front national de Jean-Marie Le Pen et l’UMP au pouvoir
(Union pour un mouvement populaire) de Nicolas Sarkozy pour conquérir le vote anti-immigrés.
Dans son livre, Philippe de Villiers déclare que le premier ministre Dominique
de Villepin avait reçu un nouveau rapport selon lequel des gens qui présentent
des risques terroristes pouvaient circuler librement à proximité des avions.
Dans un entretien télévisé le 16 juillet dernier, de Villiers
a déclaré que l’islam était la pépinière du terrorisme. Le titre du livre a attiré
l’attention sur l’existence alléguée de dizaines de mosquées clandestines à
l’aéroport de Roissy qui n’étaient en fait rien de plus que des tapis de prière
ici et là entre deux vestiaires. De Villiers, aristocrate catholique, exige que
la foi catholique soit inscrite dans la Constitution européenne et a déclaré
que « L’islam n’était pas compatible avec la République
[française]. »
Philippe de Villiers est allé plus loin dans ses attaques
contre les musulmans dans un entretien au Figaro le 2 novembre dans
lequel il a déclaré la nécessité de « d’interdire le voile islamique dans
tous les lieux publics ». Cette déclaration cherche à étendre la loi déjà
existante interdisant le voile dans les établissements scolaires et qui avait
été promulguée par le gouvernement de Chirac en 2004. Cette loi avait reçu le
soutien du Parti socialiste et des partis « d’extrême-gauche » comme
Lutte ouvrière et avait encouragé l’attitude visant à faire des immigrés les
boucs émissaires de la crise sociale dans les cités.
Le site Internet du Parti socialiste ne fait aucune mention
des injustices flagrantes de Roissy et aucun membre en vue du parti n’a fait de
déclaration sur ce problème qui affecte les chances de trouver du travail des ouvriers
de la région de Seine-Saint-Denis, une des plus pauvres et à très large
population immigrée, située au nord de Paris.
Les syndicats CGT et CFDT ont porté l’affaire devant les
tribunaux et promirent une « action plus large » après la réunion de
tous les syndicats aéroportuaires de Roissy le 7 novembre. Les syndicats font
traîner les choses au tribunal et remettent à plus tard tout mouvement de grève
et confrontation avec le gouvernement. Il faudrait mobiliser la puissance des
80 000 travailleurs de Roissy et de ceux de la région parisienne contre
ces tentatives de représailles et d’intimidation qui ne s’exercent pas seulement
à l’encontre des travailleurs immigrés, mais aussi de larges couches de la
classe ouvrière. Les syndicats ont une longue histoire de collaboration avec le
gouvernement, dans le but d’empêcher que ne se développe une opposition
politique de masse contre les attaques gouvernementales sur les droits
démocratiques et sociaux et on ne peut donc pas compter sur eux pour mener une
telle lutte.
Le gouvernement et l’UMP jouent de plus en plus la carte du
racisme dans cette période précédent les élections présidentielles d’avril
prochain, en mettant dans le même sac « guerre contre le
terrorisme », « menace islamique » et immigration comme éléments
représentant une menace pour les « valeurs françaises ».
La laïcité qui est la reconnaissance du droit des citoyens à
avoir leurs croyances religieuses, et par là même que le gouvernement n’exerce
aucun pouvoir religieux et les églises aucun pouvoir politique, a été dénaturée
par l’establishment politique français, de gauche comme de droite, qui fait
appel au nationalisme et au racisme pour justifier l’intervention de l’Etat
contre les minorités religieuses et plus particulièrement contre les musulmans.
(Article original anglais paru le 11 novembre 2006)