La démission du secrétaire américain
à la Défense Donald Rumsfeld indique combien aiguë est la crise qui a éclaté
non seulement au sein de l’administration Bush, mais aussi dans tout
l’establishment politique américain après les élections de mi-mandat du 7
novembre.
Au moins 29 républicains sortants
ont été battus à la Chambre des représentants, donnant un contrôle décisif de
cette chambre au Parti démocrate. Au Sénat, les démocrates ont obtenu 50 sièges
et leur candidat en Virginie, Jim Webb, est légèrement en avance et va
vraisemblablement déloger son adversaire républicain, ce qui donnerait aussi le
contrôle de la chambre haute aux démocrates.
Le vote, qui est une répudiation
écrasante par la population de la guerre en Irak, a jeté les élites politiques
et médiatiques en état de choc. Dans des conditions où la population est si
aliénée de la politique officielle que seulement 40 pour cent des personnes
ayant droit de vote l’exercent dans les faits, la défaite écrasante des
républicains n’est qu’un pâle reflet du mécontentement bouillonnant à travers
l’Amérique.
Alors que le Parti démocrate est le
bénéficiaire immédiat de ce virage contre la guerre, il n’a pas encouragé ces
sentiments avant les élections pas plus qu’il ne les a accueillis après.
A la conférence de presse que la
Maison-Blanche a tenue mercredi pour annoncer la démission du chef du
Pentagone, Bush a déclaré qu’il reconnaissait « que plusieurs Américains
ont voté hier soir pour signaler leur déplaisir devant le manque de progrès
là-bas [en Irak] ». Il a rapidement ajouté, toutefois, « Et pourtant,
je crois aussi que la plupart des Américains et des dirigeants des deux partis
ici à Washington comprennent que nous ne pouvons pas accepter la
défaite. »
Il y a tout lieu de croire que, loin
de paver la voie à la fin de la guerre en Irak, le vote de mardi et la secousse
qu’il a provoquée au sein du conseil des ministres de Bush va mener à une autre
escalade du massacre.
Le retrait de Rumsfeld, l’architecte
amer de l’invasion irakienne, fait partie de la tentative de construire un
nouveau plan biparti pour la continuation de la guerre et la campagne globale
de militarisme des Etats-Unis menée sous le couvert de la « guerre au
terrorisme ».
Lors de la cérémonie de la
Maison-Blanche où la démission de Rumsfeld fut acceptée et son remplaçant,
l’ancien directeur de la CIA Robert Gates, fut présenté, Bush n’a laissé aucun
doute que la politique fondamentale de l’administration demeurait inchangé.
« Les Etats-Unis sont toujours
un pays en guerre, a-t-il déclaré. Nous devons demeurer à l’offensive et amener
nos ennemis devant la justice avant qu’ils nous frappent encore. »
Gates a repris cette explication
tordue et mensongère d’une guerre d’agression non provoquée. « Les
Etats-Unis sont en guerre, en Irak et en Afghanistan, a-t-il déclaré. Nous
luttons contre le terrorisme mondialement. »
En nommant Gates, Bush a louangé
celui qui a fait carrière dans la CIA comme une personne qui « comprend
les défis que nous confrontons en Afghanistan » à cause du rôle qu’il a
joué en tant qu’adjoint au directeur de la CIA sous Reagan il « a aidé à
diriger les efforts des Etats-Unis pour sortir les forces soviétiques de
l’Afghanistan ».
En d’autres mots, il est un des
dirigeants des services du renseignement américains qui a établi des contacts
étroits avec Oussama ben Laden durant la guerre
soutenue par la CIA qui a fait éclater la société afghane. Il a joué un rôle
pour développer les mêmes terroristes islamistes que ceux qui ont finalement
réalisé les attentats terroristes du 11-Septembre. Rien ne peut exprimer plus
clairement le cynisme de l’élite dirigeante américaine que Bush claironnant un tel
passé comme une qualification pour mener la « guerre au terrorisme ».
Les liens de Gates avec le
terrorisme ne se limitent pas à ben Laden. Au milieu des années 1980, il était
lié au réseau des agents secrets à la Maison-Blanche qui ont organisé l’opération
Iran-contras, vendant des armes secrètement à l’Iran
pour financer illégalement la guerre de terreur des contras qu’appuyaient les
Etats-Unis contre le Nicaragua. Il est probablement lié aux tentatives secrètes
dans les années 1980 pour fournir des armes au régime irakien de Saddam Hussein
durant sa guerre contre l’Iran.
Qu’une telle personnalité ait été
présentée comme le champion d’une « perspective neuve » sur l’Irak
est l’avertissement le plus clair que des crimes encore plus horribles sont
préparés contre l’Irak.
Les réactions au remplacement de
Rumsfeld ont fait ressortir cela. Parmi les premiers à appeler pour une
conférence de presse pour accueillir ce changement a été le sénateur de
l’Arizona, John McCain, celui qui est en tête dans la
course pour la nomination du candidat présidentiel républicain aux élections de
2008.
McCain a déclaré que la nomination de
Gates offrait l’occasion de « corriger les erreurs du passé ». Il a
dit que Washington doit reconsidérer « si oui ou non nous avons suffisamment
de soldats en Irak pour offrir le niveau de sécurité indispensable à la défaite
de l’insurrection ». Il a ajouté qu’il discuterait avec Gates de la
« nécessité urgente d’augmenter la taille des troupes de l’armée et des
marines ».
McCain a conclu sur la nomination du
nouveau secrétaire à la Défense qu’elle offrait « une occasion pour une
plus grande coopération bipartisane sur la politique en Irak — pour que les
républicains et les démocrates de bonne volonté travaillent ensemble pour
assurer la victoire ».
McCain a affirmé que les États-Unis devaient
« descendre » le clerc radical chiite Moqtadaal-Sadr, ce qui signifierait non seulement un assaut
sanglant sur les forces miliciennes qu'il dirige, mais en plus sur les masses
chiites pauvres à Bagdad qui sont devenues de plus en plus hostiles à
l'occupation américaine.
La
prédiction de McCain selon laquelle la nomination de
Gates allait faciliter la « coopération bipartie » a été rapidement
confirmée. Le chef démocrate au Sénat, Harry Reid, du Nevada, a
déclaré : « En acceptant la démission du secrétaire à la
Défense, le président Bush a fait un pas dans la bonne direction ».
Le
sénateur de New York Charles Schumer, qui a dirigé la
campagne sénatoriale des démocrates, a exprimé les mêmes sentiments, déclarant :
« La nomination d'un nouveau secrétaire au département de la Défense est
un bon premier pas, et nous espérons que cela indique que le président envisage
un changement de cap en Irak. »
Le
geste de Bush a été louangé à la suite d'une série de déclarations des leaders
démocrates qui s'engageaient à collaborer avec la Maison-Blanche de Bush. La
nouvelle présidente de la Chambre des représentants démocrates, Nancy Pelosi, a juré que les démocrates chercheraient un
« partenariat avec le président et les républicains au Congrès » et
ne tenteraient pas de faire de la « partisanerie ».
Gates
est un membre du Groupe d'étude sur l'Irak, le comité biparti dirigé par
l'ancien secrétaire d'État républicain James Baker et l'ancien chef démocrate
au Congrès, Lee Hamilton. Ce comité fera bientôt ses recommandations sur la
manière de renverser le fiasco militaire et politique américain en Irak.
Beaucoup anticipent qu'il exigera vivement une approche plus
« réaliste » qui laisserait tomber les prétentions démocratiques de
Washington pour favoriser carrément une dictature militaire qui contrôlerait
les masses irakiennes.
L'appui
biparti pour la guerre se poursuit dans des conditions où le système à deux partis est de plus en plus en crise. Les résultats des
élections de mardi ne représentent pas un mandat populaire donné aux
démocrates, mais un rejet des politiques que l'administration Bush a réalisées
avec la collaboration des démocrates eux-mêmes. L'élection a exprimé
l'opposition populaire croissante à l'establishment politique au complet.
Le
rejet de la guerre aux urnes est d'autant plus remarquable que le Parti
démocrate et les médias de masse ont tenté de réprimer tous ces sentiments
politiques.
Les
démocrates ont fourni à Bush les votes dont il avait besoin en 2002 pour
obtenir l'autorité nécessaire du Congrès pour mener sa guerre d'agression et
ils continuent de financer l'occupation au rythme de 2 milliards $ par semaine.
De la même façon, les attaques sur les droits démocratiques que l’on trouve
dans des lois comme le PatriotAct
et la Loi sur les commissions militaires ont été votées avec l'appui des
démocrates.
Dans
ces conditions, le retrait de Rumsfeld ne sert pratiquement qu'à soigner les
apparences. Toutes attentes selon lesquelles ces changements de personnel ou la
prise de la direction par les démocrates au Congrès mèneront à la fin de la
guerre sont complètement déplacées.
L'opposition
populaire à la guerre exprimée dans l'élection n'est pas dirigée contre la
mauvaise gestion de l'opération par l'administration Bush. C'est un rejet de la
légitimité de la guerre. La majorité des gens souhaitent un terme à la guerre
qu'ils perçoivent comme une erreur et non nécessaire.
Toutefois,
parmi l'élite dirigeante, les préoccupations au sujet de l'Irak sont diamétralement
à l'opposé. L'élite dirigeante qui contrôle les deux partis voit la
« victoire » en Irak comme absolument essentielle. Et il n'est pas
seulement question des profits à être soutirés d'une prise de contrôle des
réserves pétrolières du pays, mais de la défense de la position hégémonique de
l'impérialisme américain à travers le monde.
Quelques
soient les différences tactiques des démocrates avec l'administration Bush sur
la politique avec l'Irak, ont peut prévoir assez assurément que le parti
n'offrira aucune opposition à une escalade du bain de sang contre le peuple
irakien. Aucun dirigeant officiel démocrate n'a protesté contre le siège
sauvage de la ville irakienne de Fallujah lancé
immédiatement après les élections de 2004. Si le Pentagone lance son offensive
anticipée depuis longtemps contre les bidonvilles chiites de Bagdad, Sadr City, il est à prévoir que les démocrates vont encore
une fois donner leur appui.
Au
sein des cercles dirigeants des États-Unis, deux préoccupations commencent à
devenir très vives. La première étant la situation désespérée en Irak. La
seconde est plus près d’eux — la montée de la colère populaire aux États-Unis
même. Les élections sont une indication du fait que l'appareil politique
et médiatique de droite qui a été utilisé par l'establishment pour manipuler
l'opinion publique s'est fracassé. Les médias ont été incapables d'anticiper et
encore moins de prévenir, l'étendue massive du rejet des politiques du
gouvernement qui a pris place dans les bureaux de vote.
Le
grand danger c'est qu'ayant infligé une gifle électorale à l'administration
Bush, les masses de gens manque d'une réelle alternative politique. Ceci permet
à l'administration Bush de trouver de nouvelles méthodes pour mettre en œuvre
ses politiques militaristes à l'étranger et d'attaques contre les droits
démocratiques et les conditions sociales au pays.
Alors
que la Maison-Blanche de Bush fait publiquement l'éloge du bipartisme, il y a
des indications à l'effet qu'il est prêt à poursuivre ses objectifs par
d'autres moyens. À la veille des élections, le vice-président Dick Cheney a
déclaré que la guerre en Irak « n'est peut-être pas populaire auprès du
public. Ça ne fait rien. » Il a dit que la politique de l'administration
sera « en avant à toute vitesse » pour la « victoire », peu
importe ce que le peuple pense.
Dans
le même ton, le Los Angeles Times citait GroverNorquist, le croisé
anti-taxe qui a servi de proche collaborateur à la Maison-Blanche, qui a dit
« Bush allait maintenant gouverner en large mesure en utilisant son
pouvoir exécutif plutôt que de travailler avec le Congrès sur les projets
législatifs. »
Dans
la mesure où l'opposition populaire entre en interférence avec la poursuite de
ses politiques, cette administration est prête à adopter des méthodes
dictatoriales, incluant l'utilisation de la répression policière et étatique
contre ceux qui s'y opposent.
Les
élections ont placé ce gouvernement sur la voie de la confrontation avec les
larges masses de la population laborieuse américaine. Les gains électoraux des
démocrates ne vont pas inhiber ce processus, mais plutôt l'accélérer.
Le
Parti de l'égalité socialiste a mené une campagne dans les élections de
mi-mandat sur la base d'un programme demandant le retrait immédiat et
inconditionnel de toutes les troupes américaines de l'Irak, la seule façon de
mettre un terme à la boucherie dans ce pays.
Le
PES avance également la demande, que tous ceux qui ont conspiré pour déclencher
cette guerre illégale — incluant Bush, Cheney, et Rumsfeld — soient tenus
politiquement et criminellement responsables.
Le
Parti démocrate n'a pas l'intention d'intenter de telles poursuites. Dans
sa déclaration mercredi, la nouvelle présidente de la Chambre des représentants
Pelosi réitérait son vœu que « la destitution ne
soit pas sur la table. » Cette promesse de loyauté vient avant toute
enquête dans la conduite d'une administration qui a commis plus d'infraction de
destitution contre la Constitution et le peuple américain que tout autre dans
l'histoire.
Les
politiques poursuivies par les démocrates au lendemain de leur balayage
électoral confirment la perspective centrale avancée par le PES durant cette
élection : le seul moyen viable pour mener la lutte contre la guerre
impérialiste à l'étranger et contre l'inégalité sociale et les attaques contre
les droits démocratiques aux pays est de développer un mouvement socialiste
indépendant de masse de la classe ouvrière en opposition au système capitaliste
des deux partis.
(Article original anglais paru le 9
novembre 2006)