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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Hongrie: Controverse sur la question de l’héritage de la Révolution de 1956

Par Peter Schwarz
9 novembre 2006

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Dans son célèbre ouvrage Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, Karl Marx décrit comment les hommes, lorsqu’ils entrent dans un avenir incertain, cherchent à revêtir les atours consacrés du passé. S’ils sont engagés à révolutionner les choses et à créer une société progressiste, ils évoquent les esprits des héros de l’époque passée. Lorsque le développement social fait marche arrière et lorsque la société se retrouve derrière son point de départ, alors l’évocation du passé tourne à la farce.

Ce qui s’est produit la semaine dernière en Hongrie à l’occasion du 50e anniversaire du soulèvement ouvrier de 1956 ne peut être décrit que comme la parodie d’une farce. Les ailes ennemies de la nouvelle clique dirigeante se sont disputé le manteau des insurgés de 1956 et, ce faisant, l’ont déchiré en morceaux.

Les conflits entourant les cérémonies officielles, insultes mutuelles, interventions policières et batailles de rue, sont l’expression de profondes divisions au sein de la société hongroise et qui nécessitent urgemment une solution progressiste. Le manque de compréhension politique qui est apparu avec une telle évidence le jour de la commémoration, est en soi un obstacle de taille à une telle solution.

Les cérémonies officielles avaient été organisées par la coalition gouvernementale socialiste-libérale dirigée par le premier ministre, Ferenc Gyurcsany. Gyurcsany appartient au Parti socialiste hongrois (MSZP), organisation ayant succédé au Parti ouvrier hongrois (MDP) dont le pouvoir fut assuré par l’écrasement sanglant, au moyen de tanks et de troupes soviétiques, du soulèvement ouvrier de 1956.

Gyurcsany avait invité vingt chefs d’Etat à la cérémonie de commémoration sur la Place Kossuth devant le parlement. La veille au soir, la police avait dégagé de la place les manifestants hostiles au gouvernement qui avaient été organisés et qui étaient menés par des forces de droite.

D’autres grandes puissances occidentales, dont l’Union européenne et l’OTAN, avaient également envoyé des représentants de haut rang à la cérémonie. Ils ont célébré la révolution de 1956 comme une lutte pour la liberté et la démocratie dont les objectifs ont à présent été atteints par la mise en place d’une constitution bourgeoise, d’une économie de « libre marché » et la restauration de la propriété privée.

Ceci est en fait une déformation complète des vrais objectifs du soulèvement. Ceux qui avaient participé en 1956 au soulèvement, la majorité d’entre eux étaient de simples ouvriers d’usine, ne cherchaient pas à établir un régime capitaliste en Hongrie. De toute son histoire, la bourgeoisie hongroise n’avait jamais développé de formes de gouvernement démocratiques. Suite à la chute de la monarchie des Habsbourg, la bourgeoisie hongroise, après l’écrasement sanglant de la République soviétique qui avait été établie un an auparavant, avait pris le pouvoir en 1920. Elle avait ensuite gardé le pouvoir 25 ans durant grâce à un régime autoritaire, d’abord sous la dictature de Miklos Horthy puis en proche collaboration avec les nazis allemands.

L’objectif du soulèvement de 1956 contre la dictature stalinienne était d’établir une démocratie ouvrière. L’émergence de conseils ouvriers et le rôle significatif qu’ils jouèrent au cours du soulèvement montraient clairement que pour les ouvriers impliqués l’objectif était le contrôle démocratique de toutes les sphères de la société, y compris l’économie, et non la restitution des usines à leurs anciens propriétaires bourgeois.

Ce n’était pas la révolution, mais en réalité sa répression sanglante qui fut décisive pour ouvrir la voie à la réintroduction du capitalisme, processus qui fut achevé quatre décennies plus tard. L’initiative d’un tel développement n’émanait pas des ouvriers oppositionnels de 1956, mais de la bureaucratie stalinienne elle-même qui, dans une situation de crise politique aiguë, ne pouvait défendre sa position privilégiée qu’en introduisant de nouvelles formes de propriété de type capitaliste.

La carrière de Ferenc Gyurcsany, âgé de 45 ans, est exemplaire à cet égard. Il a débuté en tant que fonctionnaire de haut rang dans le mouvement des jeunesses staliniennes, il a accumulé des millions lors des privatisations des années 1990 et, aujourd’hui en tant que premier ministre applique un programme de coupes drastiques conformément aux critères dictés par l’Union européenne et les banques internationales. Il continue néanmoins à se qualifier de « socialiste. »

Ce n’est donc pas une surprise que les dirigeants des gouvernements européens aient été tout à fait disposés à accepter que Gyurcsany revendique l’héritage de 1956 et qu’ils aient donc été si nombreux à répondre à l’invitation.

Les cérémonies ont été boycottées par l’opposition hongroise qui est dirigée par le parti nationaliste conservateur Fidesz (Parti civique hongrois). Le Fidesz revendique lui aussi l’héritage de 1956 qu’il s’efforce de dépeindre comme un mouvement anticommuniste et nationaliste. Ce faisant, le parti se contente de réitérer les mensonges propagés par les staliniens en 1956. La bureaucratie soviétique et ses vassaux en Europe de l’Est ainsi que les dirigeants du Parti communiste de par le monde avaient, à l’époque, condamné le soulèvement comme étant l’œuvre de l’extrême-droite et de fascistes, dans le but de justifier la répression brutale du mouvement.

Les racines du Fidesz remontent à l’Alliance des Jeunes démocrates qui a été formée en 1988, à la fin de l’ère stalinienne, par un groupe de jeunes intellectuels qui revendiquaient des élections libres. Aujourd’hui, le plus important parti d’opposition de Hongrie représente avant tout des couches rurales et des couches de la classe moyenne qui s’étaient opposés au stalinisme, car il les avait empêchés de profiter du pouvoir et de la richesse au même titre que leurs homologues à l’Ouest. Ils considèrent les anciens fonctionnaires staliniens qui sont devenus des multimillionnaires avec envie et jalousie. C’est là la principale raison pour laquelle ils déversent leur haine sur Gyurcsany et le MSUP.

Le Fidesz représente un mélange divers qui combine anticommunisme, nationalisme et glorification de la propriété privée avec une démagogie sociale qui diabolise l’Union européenne et le capital international. Le dirigeant du Fidesz, Viktor Orban, est un démagogue talentueux et un virtuose quand il s’agit de manipuler ce clavier contradictoire.

Bien qu’affilié officiellement au Parti populaire européen, alliance européenne regroupant les partis chrétiens et conservateurs, le Fidesz travaille étroitement avec les forces de l’extrême droite. Celles-ci figuraient au premier plan dans de nombreuses manifestations du Fidesz et arboraient des symboles fascistes et en hurlaient des slogans antisémites.

Quant au contenu programmatique du Fidesz, il ne se différencie guère de celui du MSZP. En tant que chef du gouvernement entre 1998 et 2002, Orban avait poursuivi la politique d’austérité de ses prédécesseurs et avait préparé le pays à l’entrée dans l’Union européenne. C’est sous sa direction que la Hongrie a aussi adhéré à l’OTAN.

Le principal champ d’activité du gouvernement d’Orban avait cependant été de distribuer des postes lucratifs à ses propres partisans. Son régime a adopté de plus en plus des mesures autoritaires et s’est finalement effondré dans un tourbillon de scandales de corruption.

Depuis septembre, Orban cherche à se venger de sa défaite aux élections de 2002. La publication du discours à huis clos de Gyurcsany, dans lequel il avait engagé son parti sur la voie d’une politique de rigueur stricte en admettant avoir « menti du matin au soir », avait provoqué une vague d’indignation que le Fidesz tente de maintenir depuis — avec le soutien de l’extrême droite.

Suite aux manifestations de septembre durant lesquelles des affrontements avec la police se sont produits, le Fidesz a organisé des manifestations 24 heures sur 24 en face du parlement pour demander la démission du gouvernent. Conformément aux projets du Fidesz, l’anniversaire de la Révolution hongroise devait constituer le summum de ces manifestations.

Le gouvernement a réagi avec force en dispersant les manifestants de la place en face du parlement et en usant d’une force excessive contre les manifestations qui se déroulaient au centre-ville. Selon les chiffres de la police, quelque 130 personnes ont été blessées, dont dix policiers. Les manifestants d’extrême droite ont cherché à se présenter dans la tradition des ouvriers révoltés de 1956, et ont même volé un tank soviétique dans un musée pour le parader dans les rues devant les représentants des médias internationaux présents.

Selon l’agence de presse hongroise MTI, une foule de 100.000 personnes s’étaient rassemblées pour la manifestation appelée par le Fidesz à l’occasion de la commémoration du 50e anniversaire de la révolution.

Jusque-là, Gyurcsany a tenu tête à tous les appels réclamant sa démission comme chef du gouvernement. Il sait qu’il bénéficie du soutien des gouvernements et milieux d’affaires occidentaux qui pour l’heure placent plutôt leur confiance dans l’homme d’affaires millionnaire Gyurcsany que dans le démagogue sans scrupule qu’est Orban. A ce stade, tout changement à la tête du gouvernement ébranlerait la confiance des investisseurs, a prétendu la présidente du groupe parlementaire socialiste, Ildiko Lendvai. Le partenaire de la coalition libérale de « libre marché » du MSZE a également exprimé sa pleine confiance à Gyurcsany.

Orban est décidé cependant à poursuivre sa campagne de déstabilisation du gouvernement. Son projet suivant est la tenue d’un référendum contestable du point de vue constitutionnel sur la politique de réforme du gouvernement. Il cherche par là à exploiter la colère largement ressentie à l’encontre du programme d’austérité poursuivi par Gyurscany et dont les conséquences sociales sont dévastatrices. Le Fidesz a pu enregistrer des gains substantiels lors des élections régionales du 1er octobre en remportant la majorité dans dix-huit régions hongroises sur dix-neuf.

Le Fidesz et ses partisans d’extrême droite ne sont capables d’exercer une telle influence que parce qu’une vraie alternative socialiste au MSZP fait défaut. La répression de la classe ouvrière par la bureaucratie stalinienne durant des décennies et le cynisme avec lequel la « gauche » autoproclamée du MSZO défend les intérêts du capital international ont créé un vide politique dans lequel les démagogues de droite du Fidesz peuvent s’engouffrer.

Il est du devoir de la classe ouvrière hongroise de défendre l’héritage de la révolution de 1956 contre les affirmations présomptueuses à la fois du MSZP et du Fidesz. Le soulèvement de 1956 était une rébellion d’ouvriers contre l’oppression stalinienne et non un mouvement nationaliste pour la restauration du capitalisme. En tant que tel, il avait été une source d’inspiration pour les travailleurs de par le monde. De nombreux membres des partis communistes qui n’avaient pas renié leurs idéaux socialistes avaient rompu avec le stalinisme et rejoint le mouvement trotskyste sur la base des leçons que le mouvement trotskyste mondial, le Comité international de la Quatrième Internationale avait tirées de la répression brutale du soulèvement.

Durant de nombreuses décennies, le stalinisme et la bourgeoisie oeuvrent dans le but de couper la classe ouvrière de sa propre histoire, l’histoire de la Révolution hongroise et des traditions anciennes du mouvement socialiste et communiste. Une génération entière de révolutionnaires socialistes fut victime des purges staliniennes des années 1930, dont pratiquement l’ensemble des éminents dirigeants de la Révolution russe et de nombreux communistes hongrois. Le dirigeant de l’Opposition de gauche contre le stalinisme et le fondateur de la Quatrième Internationale, Léon Trotsky, fut déclaré personne non existante (non-person) et assassiné par un agent stalinien en 1940.

L’appropriation de cette histoire est aujourd’hui une priorité urgente. Seule la perspective défendue par Léon Trotsky et la Quatrième Internationale — l’unité internationale de la classe ouvrière dans la lutte pour une société socialiste — offre une alternative à la misère sociale et à la politique réactionnaire que la restauration capitaliste en Hongrie et dans le reste de l’Europe de l’Ouest a entraînée.

(Article original paru le 28 octobre 2006)


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