Les condamnations à mort prononcées hier
contre Saddam Hussein et trois autres personnalités éminentes de son régime sont
le résultat d’un simulacre de procès concocté à des fins politiques. Dans un
contexte où des atrocités indicibles sont commises chaque jour contre le peuple
de l’Irak par les forces d’occupation américaines, des juges triés sur le volet
ont condamné l’ancien dictateur irakien à mort. Le moment même de la sentence
est une tentative d’améliorer la position électorale du Parti républicain lors
des élections pour le Congrès de mardi en énergisant la base de droite des
républicains avec le prospect d’un lynchage légal publicisé.
Saddam Hussein et les dirigeants du Parti baas
irakien devraient tous être jugé pour la litanie de crimes qu’ils ont commis
contre le peuple de l’Irak. L’administration Bush, toutefois, et la classe
dirigeante américaine dans son ensemble, n’a aucun droit d’organiser le procès
de qui que ce soit en Irak pour crimes contre l’humanité. L’invasion de 2003
était un crime de guerre, un acte d’agression non provoqué qui a été justifié
par des mensonges et entrepris au mépris du droit international.
Depuis ses début il y a trois ans et demi,
l’occupation américaine a tenté de subjuguer le peuple irakien au moyen de
l’assassinat de masse, de la torture et de la destruction de villes entières.
Une étude réalisée par l’Université John Hopkins, la seule tentative crédible
d’estimer le nombre des victimes de la guerre et de l’occupation, a trouvé que
le gouvernement américain était responsable de la mort de 655 000
Irakiens. Avant la guerre, les sanctions des Nations unies qui ont pris place
de 1991 à 2003 avaient causé la mort d’un million d’Irakiens par malnutrition
et maladie.
Les médias pro-guerre ont, comme il fallait
le prévoir, mis l’accent sur les célébrations chez les Irakiens chiites et
kurdes en réponse à la sentence de mort contre Hussein. Il n’y aura pas de
justice en Irak toutefois avant que les responsables à Washington, à Londres et
ailleurs pour 15 années de mort et de souffrance soient amenés devant la
justice et qu’un terme soit mis à l’occupation illégale du pays par des
dizaines de milliers de soldats américains et leurs alliés.
De plus, les gouvernements américains ont fourni depuis les
années 1960 un appui politique et financier à Hussein et aux baasistes alors
qu’ils réalisaient leurs atrocités les plus brutales – des massacres des
membres du Parti communiste et des travailleurs aux idées socialistes, en 1963
ainsi qu’en 1979, jusqu’à la tuerie, durant les années 1980, des chiites fondamentalistes
et des nationalistes kurdes qui s’opposaient au régime.
Même le massacre pour lequel Hussein a été condamné à mort
– l’exécution de 148 hommes et enfants chiites du village de Dujail en 1982 –
s’est produit dans le contexte des revers essuyés par l’armée irakienne dans la
guerre, appuyée par les États-Unis, de l’Irak contre l’Iran. Les États-Unis ont
directement encouragé Hussein à envahir l’Iran en 1980 et ont fourni un appui
politique financier et militaire à l’Irak durant les huit ans qu’a duré le
conflit car ils percevaient le régime théocratique chiite, qui avait pris le
pouvoir à Téhéran en 1979, comme une menace à leurs intérêts au Moyen-Orient.
La guerre aura en bout de ligne coûté la vie à plus d’un
million d’Irakiens et d’Iraniens. En plein carnage, les États-Unis ont appuyé
la soi-disant opération « Anfal », qui avait été ordonnée par Hussein
pour exterminer la rébellion kurde, soutenue par l’Iran, au Nord, pour laquelle
il est aussi jugé. En 1991, à la suite de la guerre du Golfe, la première
administration Bush a ordonné à l’armée américaine de ne rien faire pour
empêcher les forces d’Hussein de réprimer les soulèvements chiites et kurdes.
Tout procès légitime d’Hussein exposerait la culpabilité
des États-Unis et d’autres grandes puissances dans les crimes du régime
baasiste en Irak. Mais le simulacre de procès qui a pris place a fait le
contraire. Il a empêché que toute preuve montrant la relation entre une
dictature brutale et les intérêts d’une grande puissance ne soit présentée. On
n’a pas rendu compte du passé, pas plus que l’on n’a fait justice à ceux qui
ont été tués. Seules les preuves reliées directement aux événements de Dujail
ont été présentées. Comme mesure de précaution supplémentaire, la diffusion
télévisuelle du procès était différée de 20 minutes afin de permettre aux
censeurs d’effacer tout ce qui aurait pu être considéré comme dommageable à
l’occupation américaine.
Tout le processus n’a été qu’un procès spectacle honteux. Le
Tribunal spécial irakien a été mis sur pied par un décret émis par le proconsul
américain Paul Bremmer en 2003. Ses juges et procureurs ont été choisis par les
responsables américains et instruits par des conseillers américains. Le manque
de crédibilité et d’impartialité de la cour a été critiqué sévèrement par Human
Rights Watch, Amnistie International et d’autres observateurs internationaux. En
de nombreuses occasions, les audiences se tenaient en l’absence des accusés et dans
des conditions où leurs avocats ne pouvaient être présents.
En janvier, le juge en chef a été forcé d’abandonner le
procès après que les médias américains et le gouvernement irakien l’ait accusé
de ne pas en faire suffisamment afin d’empêcher Hussein d’utiliser le box des
témoins comme tribune pour dénoncer la légitimité du tribunal. Trois avocats
représentant les accusés ont été assassinés et d’autres ont été forcés de fuir
le pays, probablement par des escadrons de la mort travaillant pour les partis
fondamentalistes chiites qui dominent le gouvernement soutenu par les
Etats-Unis à Bagdad.
L’ambassadeur américain en Iraq, Zalmay Khalilzad, a salué
la sentence de mort prononcée hier contre Hussein comme étant un « jalon
important » dans « la construction d’une société libre basé sur la
règle de droit ».
Le cynisme de ces déclarations est stupéfiant. Plusieurs
fuites publiées dans les médias américains indiquent que des hauts responsables
comme Khalilzad ont passé les derniers mois à comploter un coup contre le
gouvernement dominé par les chiites du premier ministre Nouri al-Malaki et son
remplacement par une forme de junte militaire. Il y a un courant de plus en
plus puissant tant parmi les républicains et les démocrates, que les intérêts
des Etats-Unis seraient mieux servis en Irak par un régime similaire à celui de
Hussein.
Alors même qu’Hussein est condamné à la pendaison,
l’establishment politique américain discute de la mise en place de plusieurs
des assassins et autres brutes qui ont soutenu le retour de son régime au
pouvoir, en échange de la fin de la guerre de guérilla qu’ils livrent contre
les forces américaines et d’une entente permettant aux sociétés américaines de
piller les ressources en pétrole de l’Irak. Le prélude à la réhabilitation de
l’élite baasiste va être un bain de sang par les militaires américains contre
les miliciens chiites, dans les régions telle que Sadr City à Bagdad où il a
paradé dans les rues hier pour célébrer le résultat du procès de Hussein.
(Article original anglais paru le 6
novembre 2006)