Le 22 septembre la vice-présidente du Parti socialiste
espagnol (PSOE), Maria Teresa Fernández de la Vega, mettait la dernière main à
un accord visant à poursuivre le financement de l’Eglise catholique par l’Etat,
malgré le fait que la séparation de l’Eglise et de l’Etat soit officiellement
établie par la constitution espagnole depuis 1978. Le président du Parti
socialiste, Jose Luis Rodriguez Zapatero, avait peu de temps avant, exprimé
« son entière compréhension et son soutien total » au pape Benoit XVI
qui avait lui, dans un discours prononcé le 12 septembre en Allemagne, déclaré
que le christianisme se fondait sur la raison alors que la propagation de
l’islam se faisait par la violence.
Le pape qui a déclaré à maintes reprises que l’Europe était de
civilisation chrétienne et qui s’est opposé à ce que la Turquie devienne membre
de l’Union européenne, avait cité ainsi de manière provocante, l’empereur
byzantin Manuel II Paléologue : « Montre-moi ce que Mahomet a apporté
de nouveau et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines,
comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait. »
Le 20 septembre, Zapatero était venu à la défense du pape et
avait insisté pour dire que les sociétés musulmanes dans le monde entier
devaient se calmer et permettre à « la compréhension de prévaloir ».
Il dit: « Je suis absolument convaincu que le pape n’a à aucun moment
voulu provoquer une controverse, une confrontation avec ou une critique de la
confession islamique ou des peuples qui la pratiquent. »
Des commentateurs de droite se montrèrent surpris de ce
rapprochement de Zapatero et du Vatican. Il est toutefois conforme aux efforts
entrepris par le PSOE pour apaiser la droite dont les menaces vis-à-vis des
droits démocratiques ont obtenu le soutien total du Vatican.
En juillet, le pape s’est adressé à la 5ème Rencontre mondiale
des familles à Valence, s’en servant comme d’une tribune pour attaquer la
politique du gouvernement du PSOE, notamment sa législation sur le mariage
homosexuel qui avait figuré en tête des campagnes de propagande du parti de
droite Partido Popular (PP). Il dit à des journalistes avant d’atterrir en
Espagne que la nature voulait que « l’homme et la femme soient faits l’un pour
l’autre » et pressa les évêques de rester fermes « dans une période
de laïcisation rapide ».
Dans son allocution il disait que la Rencontre de Valence « fournissait
une nouvelle impulsion pour proclamer l’évangile de la famille.»
Les mesures de laïcisation du Parti socialiste espagnol et les
mesures prises pour réduire l’influence de l’Eglise catholique avaient obtenu
un large soutien. Une étude de la Fundacion Santa Maria avait noté que l’Eglise
était considérée comme l’institution en laquelle les gens avaient le moins
confiance et qui était la moins en rapport avec les Espagnols. Elle prédisait
qu’en l’espace d’une génération l’Espagne aurait cessé d’être un pays
catholique. Le PSOE aurait pu trouver du soutien pour couper tous les liens
politiques et financiers avec l’Eglise catholique, mais il fit le contraire.
Après une réunion du conseil des ministres, le gouvernement
annonça une augmentation de l’« impôt catholique » de 0,52 pour cent à
0,70 pour cent. Cet impôt est un impôt volontaire : le contribuable
demande à l’office des impôts de verser une fraction de son impôt sur le revenu
dans les caisses de l’Eglise.
Le recours à une augmentation de cet impôt volontaire est
censé remplacer le fonds de 30 millions d’euros (38 millions de dollars US) que
le gouvernement met de côté tous les ans pour couvrir tout déficit des finances
de l’Eglise ; cela, en plus des 3,5 milliards d’euros (4,4 milliards de
dollars US) de fonds gouvernementaux à destination des institutions
religieuses. Une étude plus détaillée sur les subventions d’Etat, estime, elle,
cette somme à 5,06 milliards d’euros (6,38 milliards de dollars US).
L’Eglise est à présent aussi obligée de payer la TVA (taxe sur
la valeur ajoutée) sur les ventes et acquisitions (une exigence de la législation
européenne et non une législation imposée par le PSOE) et de présenter un rapport
annuel au gouvernement sur la façon dont elle dépense les subventions provenant
de l’Etat.
Avant les négociations, le PSOE avait indiqué qu’il réduirait
considérablement le financement de l’Eglise par l’Etat et que cela forcerait
l’Eglise catholique à dépendre plus fortement du soutien de la population. Il
essaya de conférer au changement insignifiant consistant à s’appuyer un peu
plus sur l’impôt volontaire cette signification : il aurait lié « le
revenu de l’Eglise catholique directement à la volonté des
contribuables ».
Mais ce bluff ne peut pas cacher le fait que l’Eglise
catholique se montra satisfaite du marché.
Bien que les responsables du clergé espagnol aient requis une
augmentation de l’impôt catholique à 0,8 pour cent, le porte-parole de l’Eglise,
Juan Antonio Martinez Camino, dit au cours d’une conférence de presse :
« Tout le monde y gagne. Le gouvernement parce qu’il résout un
problème ; l’Eglise parce que le financement devient plus libre et ceux
qui paient parce qu’ils peuvent choisir volontairement à qui ils donnent leur
argent. »
De proches défenseurs du PSOE s’inquiètent de la façon dont
une capitulation aussi visible devant les exigences de l’Eglise sera reçue par
la population. Un éditorial publié par El Pais le 22 septembre
déclare : « Le gouvernement a peut-être des raisons de rechercher un
accord qui satisfasse l’Eglise et de régler provisoirement la situation de
cette manière sans toucher au fond du problème. Il serait déplorable qu’il le
fasse en paiement d’un prix politique pour que la hiérarchie catholique relâche
sa pression sur le gouvernement. »
Depuis que le PSOE a été élu à la suite d’une révolte
populaire contre le gouvernement du Partido Popular en mars 2004, la Conférence
des évêques a pour la première fois depuis les années 1930 conduit ses
congrégations dans des manifestations contre la politique gouvernementale sur
le mariage homosexuel, le divorce accéléré et la recherche sur les cellules
souches.
La Conférence épiscopale qui avait d’abord eu des inquiétudes
quant à une intervention aussi ouverte dans la vie politique, a bien vite mis
tout son poids derrière la campagne encouragée par le Vatican et pressant les
prêtres de boycotter les lois même si cela signifiait pour eux la prison.
Cette mobilisation extra-parlementaire fut initiée par feu le
pape Jean Paul II sur son lit de mort. Parlant à des prêtres espagnols en
visite au Vatican il avait exigé une lutte pour inverser
l’« affaiblissement » de l’« empreinte de la foi catholique sur
la culture espagnole ».
Le pape Benoît XVI, son successeur, agit dans le même esprit.
Le Vatican a, au cours de l’histoire, considéré l’Espagne
comme une forteresse et il est à présent engagé dans une campagne concertée
avec le PP (et d’autres partis de droite en Europe) pour lutter contre toute
manifestation de laïcisme et d’une pensée de gauche. Le gouvernement du PSOE
est considéré comme une cible privilégiée, non seulement à cause de sa
politique sur les droits des homosexuels et sur des questions similaires, mais
parce qu’il est parvenu au pouvoir à la suite d’une radicalisation de la classe
ouvrière.
John L.Allen, le correspondant à Madrid de l’hebdomadaire
catholique américain National Catholic Reporter, fit à ce propos le
commentaire suivant:
« Des observateurs dans l’ensemble du monde catholique
ont attendu de voir si cette crise pouvait encourager les catholiques espagnols
à inventer un nouveau mode de résistance, un nouveau plan de bataille… L’Espagne
est essentielle dans le désir du pape Benoît XVI de réveiller les racines chrétiennes
de l’Europe… Ce qui se précise en Espagne indique peut être une stratégie
politique et culturelle plus vaste sous Benoît XVI et les tensions que cette
stratégie peut engendrer à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise. »
Le Vatican espère utiliser menaces de droite et protestations
de masse non seulement afin de réaliser ses exigences immédiates, mais afin de
déstabiliser et si possible de renverser le gouvernement en alliance avec le
PP.
Pendant tout le 19e et le 20e siècle, l’Eglise catholique a
participé à l’oppression des révoltes populaires et démocratiques et à celle
des luttes ouvrières et elle a résisté à toute forme de progrès. Dans
l’histoire de l’Espagne elle a été l’axe principal de la réaction et tout
mouvement progressiste a, par nécessité, pris une forme anticléricale.
Pendant les luttes révolutionnaires des années trente, la
hiérarchie catholique espagnole et le pape Pie XI on appelé à une « guerre
sainte pour la restauration intégrale des droits de l’Eglise » contre les
« antéchrists rouges ». Lorsqu’a éclaté la guerre civile espagnole
les évêques catholiques rejoignirent les forces fascistes de Franco et, à la
victoire de celui-ci, le catholicisme devint religion d’Etat et l’Eglise fut
chargée de la censure de tous les livres, journaux et magazines, du cinéma, de
la radio, de la télévision et de l’éducation.
Avant l’effondrement de la dictature franquiste entre 1975 et
1978 des tensions étaient apparues entre Franco et le Vatican. Des parties de
l’Eglise commencèrent à prendre leurs distances vis-à-vis de Franco et
faisaient partie de l’opposition lorsque se produisit l’inévitable effondrement
du régime. On leur permit alors d’échapper à la justice grâce à une alliance
avec le Parti communiste et le Parti socialiste.
Lorsque Franco mourut en 1975, et qu’une monarchie
parlementaire fut instaurée, l’Eglise est restée non seulement intacte mais
elle a encore, à travers les accords entre l’Eglise et l’Etat passés en 1979,
gardé une position privilégiée. Bien que la nouvelle constitution déclarât
qu’il n’y avait plus de religion d’Etat, la clause 3 de l’article 16 déclarait
que seraient prises en compte « les croyances religieuses de la société
espagnole » et que seraient maintenues « les relations de coopération
conséquentes avec l’Eglise catholique et d’autres religions, »
Victorino Mayoral, un député du PSOE, admit que les récents
accords signifiaient que l’Espagne « était d’une part une société laïque,
mais que de l’autre elle restait un Etat catholique. »
Sous le gouvernement du Partido Popular (1997-2004) l’Eglise
collabora avec le président Jose Maria Aznar afin de regagner une bonne partie
des pouvoirs qu’elle avait perdus après la chute de Franco en particulier dans
le domaine de l’éducation, où le PP prévoyait de réintroduire l’enseignement
religieux obligatoire. Ces plans furent contrariés par la révolte populaire qui
chassa le PP du pouvoir.
Jusqu’à présent, les plans du PP concernant l’Education ont
été suspendus par le PSOE. Mais la dernière chose que le PSOE veut est une
confrontation directe avec l’Eglise. Le gouvernement a insisté pour dire qu’il
ne menacerait pas les relations entre l’Eglise et l’Etat en répudiant les
accords de 1979. Au lieu de dévoiler le rapport existant entre les protestations
organisées par l’Eglise et les provocations du Partido Popular, Zapatero a
choisi de renforcer l’autorité du Vatican et de fournir un soutien financier
permanent à l’Eglise catholique espagnole.