WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient
Des groupes et des individus sionistes américains bien connus mènent une campagne d’intimidation contre les critiques libéraux et de gauche du régime israélien et de la politique de Washington envers Israël.
Tony Judt, historien éminent et directeur du Remarque Institute de l’Université de New York, devait s’adresser plus tôt ce mois à une réunion organisée à New York par une organisation sans but lucratif qui avait loué une salle au consulat polonais. Après des appels téléphoniques de la Ligue anti-diffamation (LAD) et du Comité juif américain, sa conférence sur « Le lobby israélien et la politique étrangère américaine » a été annulée une heure à peine avant l’heure où elle devait avoir lieu.
Judt, un universitaire libéral qui écrit fréquemment pour le New York Review of Books, est né et a grandi en Grande-Bretagne. Il a perdu plusieurs membres de sa famille dans la Shoah, mais il s’est attiré la colère de l’appareil des relations publiques sioniste à cause de ses critiques sévères des politiques israéliennes et de son accusation que le lobby israélien a réprimé le débat sur le Moyen-Orient aux Etats-Unis.
Le modus operandi des organisations sionistes comme la LAD et le Comité juif américain est aujourd’hui familier. Des « enquêtes » sont réalisées par l’un ou l’autre de ces groupes. Le message est clair.
Comme le consul général polonais a dit sur les contacts qui furent fait en lien avec la conférence que devait donner Judt, « Les appels téléphoniques étaient très élégants, mais peuvent être interprétés comme exerçant une pression délicate. Cela est évident — nous sommes des adultes et notre QI est suffisamment élevé pour que nous comprenions. »
Abraham Foxman de la LAD a insisté de façon cynique qu’il n’avait pas demandé que la conférence soit annulée, mais a ajouté « Je crois qu’ils ont pris la bonne décision. » Il a ensuite expliqué l’attitude entièrement anti-démocratique et brutale que lui-même et son organisation prenait envers toute personne qui critique les politique d’Israël et l’appui de Washington à ces politiques. « Il a adopté la position qu’Israël ne devrait pas exister, a dit Foxman de Judt. Cela le met sur notre radar. »
Pour clarifier sa position envers Israël, Judt a remarqué : « La seule chose que j’ai jamais dite, c’est qu’Israël tel qu’il est actuellement constitué, comme un Etat juif avec des droits différents pour différents groupes, est un anachronisme dans l’époque moderne des démocraties. »
L’annulation de la conférence de Judt fait partie de toute une série d’incidents similaires. Judt a aussi été forcé d’annuler un autre discours au Manhattan College dans le Bronx sur le sujet de « La guerre et le génocide dans la mémoire européenne aujourd’hui », après qu’il lui fut demandé par les organisateurs de l’événement qu’il s’autocensure et évite de faire directement référence à Israël.
Moins d’une semaine après l’épisode au consulat polonais, un incident presque identique a eu lieu, cette fois à l’ambassade française. Carmen Callil, une auteur habitant en Grande-Bretagne, devait participer à une réception le 10 octobre en honneur de son livre devant paraître bientôt, Mauvaise foi, qui traite d’un fonctionnaire de Vichy qui a organisé la déportation de milliers de juifs français vers leurs morts dans les camps de concentration nazis.
Cet événement à lui aussi été annulé à la dernière minute, apparemment à cause de plaintes sur une phrase écrite par l’auteur dans la postface de son livre. Elle a écrit être devenue anxieuse en menant ces recherches sur « la terreur impuissante des juifs de France » de voir « ce que les juifs d’Israël faisaient vivre au peuple palestinien ». Elle continue « Comme le reste de l’humanité, les juifs d’Israël "oublient" les Palestiniens. Tout le monde les oublie. »
Les tentatives de censure des sionistes ont une longue histoire dégoûtante, spécialement dans la ville de New York. Elles n’ont pas toujours réussi, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé.
Il y a quelques mois seulement, le New York Theatre Workshop a annulé la production de Mon nom est Rachel Corrie, une pièce portant sur l’étudiante américaine tué par un bulldozer en 2001 alors qu’elle tentait d’empêcher la destruction de la maison d’une famille palestinienne. La production a été arrêtée après des « enquêtes » similaires par les cercles sionistes. Mon nom est Rachel Corrie a finalement été présenté à Manhattan ce mois et a été chaudement accueilli par les critiques et le public.
La LAD, le comité juif américain et d’autres organisations sionistes déclarent de façon peu sincère qu’ils ne font pas partie d’un « lobby ». Ce terme ne s’appliquerait qu’au Comité des affaires publiques américaines et israéliennes, l’organisation qui a pour objectif d’influencer le gouvernement américain au nom d’Israël. En réalité, toutes ces organisations se consacrent à la défense d’Israël et de ses intérêts diplomatiques et politiques. Ils sont libres de le faire, mais leurs tentatives de faire taire leurs critiques et de diffamer leurs opposants comme antisémites démontrent leur caractère réactionnaire.
Les tentatives de censure ont été étendues aux campus des universités. Campus Watch, un site web de droite établi par Daniel Pipes il y a plusieurs années, a fait une liste noire visant les professeurs des départements d’études moyen-orientales pour soi-disant être « biaisés » parce qu’ils ont osé critiquer Israël et défendre les Palestiniens. Les supporteurs de Campus Watch ont encouragé l’envoi de courrier haineux et de menaces à ces professeurs et ont appelé pour qu’ils soient congédiés de leur poste universitaire.
La Ligue anti-diffamation, fondée en 1913 pour lutter contre l'antisémitisme, a depuis longtemps trahi tout engagement envers les libertés civiles et universitaires lorsqu'il est question des critiques, incluant les critiques juives, des politiques et des intérêts de la politique étrangère de l'Etat d'Israël.
Même des sondages limités ont montré l'augmentation de l'opposition parmi les juifs américains à l'occupation israélienne de la Palestine, qui dure depuis des décennies. Mais cela n'empêche pas l'ADL et des groupes semblables de parler au nom de tous les juifs. La puissance de ces porte-parole non élus est amplifiée de nombreuses fois par leurs riches commanditaires et leurs liens de longue date avec les sections dominantes de l'establishment corporatif, financier et politique de New York et Washington. Ils ont réussi durant de nombreuses années à propager le mythe que le judaïsme et le sionisme sont identiques et que l'antisionisme est ainsi de l'antisémitisme.
Il faut noter que le genre de critique, qui selon Foxman et l'ADL ne peut être exprimée à New York, s'exprime fréquemment à l'intérieur même d'Israël. Des chroniqueurs de journaux, des écrivains, des universitaires et d'autres Israéliens ont parlé franchement lors de la récente agression israélienne au Liban. Devrait-on aussi les qualifier d'antisémites et les réduire au silence ?
Comme Judt lui-même l'a déclaré, « C'est grave et effrayant, et c'est seulement aux Etats-Unis - pas en Israël - que c'est un problème. Voilà des organisations juives qui croient qu'elles doivent garder toux ceux qui ne sont pas d'accord avec eux sur le Moyen-Orient loin de quiconque pourrait les écouter ».
Les organisations sionistes impliquées dans une telle censure et chasse aux sorcières utilisent la question de l'antisémitisme pour brouiller les pistes. Elles s'intéressent en fait toutes aux intérêts de la politique étrangère du gouvernement israélien, et plus spécifiquement à l'alliance de longue date entre Israël et Washington.
L'alliance entre l'impérialisme américain et le sionisme a été cimentée voilà environ 40 ans, à la suite de la guerre de six jours de 1967. Au cours des quelques dernières décennies, les défenseurs américains de l'Etat israélien ont assuré l'appui indéfectible des deux principaux partis capitalistes, des démocrates les plus libéraux aux néo-conservateurs dans le Parti républicain et l'administration Bush.
Les politiciens de la grande entreprise ont rivalisé pour démontrer leur loyauté aux politiques d'Israël, et d'occasionnels dissidents qui dévient de l'orthodoxie pro-sioniste, comme le congressiste républicain Paul Findley il y a quelques années, sont habituellement expulsés à la prochaine élection avec l'aide de millions de dollars de financement du lobby sioniste pour la campagne.
Toutefois, durant la récente période, une critique publique de l'actuelle politique américaine envers Israël a commencé à émerger des milieux de la politique étrangère et universitaires américains. D'une certaine façon, la campagne acharnée pour faire taire toutes les critiques d'Israël est une expression de la nervosité dans les milieux sionistes américains à propos de ce débat de politique en émergence.
Bien que l'alliance israélo-américaine n'ait jamais été aussi étroite que durant l'administration de George W. Bush, certains signes indiquent un possible changement. Le désastre auquel fait face l'élite dirigeante américaine en Irak, en conjugaison avec l'intensification de la crise interne et externe d'Israël, caractérisée par son récent fiasco au Liban, enhardissent ceux de l'establishment de la politique étrangère américaine qui soutiennent que la politique américaine est liée trop étroitement à celle d'Israël.
Les organisations sionistes américaines sont particulièrement sensibles à ces secousses, d'où leurs attaques sur John Mearsheimer de l'Université de Chicago et Stephen Walt de l'Université de Harvard. Mearsheimer et Walt sont les auteurs d'un document publié plus tôt cette année qui soutenait que le lobby pro-Israël avait déformé la politique étrangère américaine et cherché à intimider ses critiques.
Un article de Mearsheimer et Walt dans le London Review of Books qui s'intitulait « Le lobby israélien : a-t-il trop d'influence sur la politique étrangère des Etats-Unis ? » Le lobby était défini comme « une coalition informelle d'individus et d'organisations qui travaillent activement à orienter la politique étrangère américaine dans une direction pro-Israël ».
Mearsheimer et Walt expriment les points de vue d'une section de l'élite dirigeante américaine qui est arrivée à la conclusion que l'appui pratiquement inconditionnel de Washington à la politique étrangère d'Israël a engendré un désastre diplomatique et politique pour les intérêts des Etats-Unis au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde.
La publication de ces points de vu a été suivi de charges hystériques d’antisémitisme contre les auteurs, qui ont été accusés de nourrir la notion antisémite de la conspiration juive internationale.
Les opposants socialistes au sionisme et à l’impérialisme ne désignent pas leur camp comme étant celui de Mearsheimer et Walt ou celui de leurs critiques sionistes. Le virage politique qu’ils proposent, bien qu’il enrage les sionistes, n’a rien à voir avec les intérêts de la classe ouvrière internationale et les droits démocratiques des Palestiniens, et ils sont opposés à la lutte contre les élites bourgeoisie tant arabe qu’israélienne pour unir les travailleurs juifs et arabes sur la base d’un programme socialiste et démocratique.
Nous n’avons pas d’hésitation, cependant, à dénoncer les accusations grossières d'antisémitisme contre Mearsheimer, Walt, Judt et autres critiques similaires d’Israël.
Il y a, bien sûr, des antisémites parmi les opposants à l’Etat d’Israël et ils répètent les mêmes vielles calomnies antisémites. Il y a également un grand nombre d’antisémites parmi les supporteurs d’Israël. Richard Nixon, dont l’antisémitisme virulent a été exposé sur les bobines d’enregistrement de la Maison-Blanche, n’avait pas de problème à s’aligner avec Israël. Aujourd’hui, les sionistes accueillent l’appui des fondamentalistes chrétiens qui ne souhaitent rien d’autre que l’établissement d’une théocratie blanche d’extrême droite aux Etats-Unis.
En autant que l’establishment sioniste est concerné, le principal ennemi n’est pas l’antisémitisme, mais l’antisionisme. Lorsque cela fait son affaire, il est parfaitement préparé à reconnaître cette distinction vitale et « ignorer » l’antisémitisme dans ses propres rangs. D’où la chaleureuse accolade du lobby israélien a des individus tel que Silvio Berlusconi, l’ex premier ministre italien, qui reçu un prix de la Ligue anti-diffamation en 2003 quelques jours après avoir exprimé sa nostalgie pour le dictateur fasciste Benito Mussolini
Dans la mesure où l’antisémitisme connaît un nouveau souffle de vie au Moyen-Orient et ailleurs, c’est largement la responsabilité du sionisme lui-même. Les discours antisémites d’individus tel que le président iranien, Ahmadinejad, sont essentiellement la réflexion de la propagande sioniste, acceptant la prétention que l’Etat d’Israël parle au nom de tout les juifs et au nom des intérêts du peuple juif.
En fait, durant le premier demi-siècle de son existence, le sionisme était une idéologie minoritaire distincte au sein de la communauté juive mondiale. Historiquement, sa principale opposition provenait de la gauche – des opposants socialistes et internationalistes à toutes formes de nationalisme et de chauvinisme. La tentative de salir la critique de gauche en la traitant d’antisémite est l’une des techniques les plus répugnantes de la machine de propagande sioniste.
Les attaques actuelles sur les critiques mêmes relativement douces d’Israël, est un signe de faiblesse. Des mythes sionistes de longues dates sont de plus en plus exposés à la lumière du jour. Les accusations frauduleuses d’antisémitisme commencent à produire un effet boomerang contre ceux qui les portent.
Le caractère si flagrant de la campagne d’intimidation sioniste est tel que même des sionistes dévoués ont été forcés de la remettre en question. L’édition actuelle de New York Review of Books contient une lettre intitulée : « Le cas de Tony Judt: lettre ouverte à l’ADL ».
La lettre signé par plus de cent écrivains, journalistes et académiciens, critique les actions de l’ADL en relation avec la rencontre prévue au consulat polonais, déclarant que « nous sommes unis dans la croyance qu’un climat d’intimidation est incompatible avec les principes fondamentaux du débat dans une démocratie…les règles du jeu en Amérique oblige les citoyens à encourager plutôt qu’à saboter le débat public. Nous qui avons signé cette lettre sommes inquiets que l’ADL n’ait pas choisi de jouer un rôle plus constructif en encourageant la liberté. »
Parmi les signataires il y a Peter Beinart, Franklin Foer et Leon Wieseltier, tous de la Nouvelle République, l’un des défenseurs les plus virulent de l’Etat sioniste.
La campagne d’intimidation soulève la question évidente de pourquoi les sionistes craignent-ils tant un débat ouvert. Un débat public donnerait l’occasion d’exposer les fausses promesses du sionisme de garantir un refuge au peuple juif, et de démontrer la nécessité de la lutte pour l’unité des travailleurs juifs et arabes dans la lutte un Moyen-Orient démocratique et socialiste.
(Article original paru le 1er novembre 2006)
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