Les tensions augmentant entre l’administration
Bush et le chef du gouvernement à Bagdad soigneusement choisi par Washington,
le premier ministre Nouri al-Maliki, ont explosé à la surface lors d’une
rencontre vendredi dernier entre Maliki et l’ambassadeur américain en Irak,
Zalmay Khalilzad.
En réponse aux pressions américaines de
plus en plus importantes pour que Maliki sévisse contre les milices chiites
hostiles à l’occupation américaine et aux critiques publiques de Maliki par les
dirigeants militaires et politiques américains, le premier ministre s’est
plaint que Khalilzad et l’administration Bush minaient la fiction officielle qu’il
était le chef souverain du gouvernement démocratique.
« Je suis l’ami des Etats-Unis, mais
pas l’homme des Etats-Unis en Irak », a dit Maliki à Khalilzad, selon Hassan
Senaid, un des conseillers de Maliki.
Les commentaires de Maliki ont été précédés
par une conférence de presse le 24 octobre, organisée dans la zone verte de
Bagdad par Khalilzad et le commandant des forces américaines en Irak, le
général George Casey. Khalilzad a annoncé qu’une entente avait été conclue
entre le gouvernement irakien sur un échéancier pour une l’implémentation de
mesures pour établir la stabilité en Irak.
Les Etats-Unis demandent que Maliki arrive
à une entente sur le partage des revenus du pétrole et sur d’autres questions
avec les représentants de l’élite sunnite, y compris les baasistes associés
avec le régime déchu de Saddam Hussein. Ils ont aussi exigé que Maliki soutient
les plans américains d’attaques sur le bastion de la milice Armée du Mahdi,
dirigé par l’imam chiite Moqtada al-Sadr, le populeux quartier chiite de
Bagdad, Sadr City.
Maliki a répondu à la presse de conférence
de Khalilzad et Casey en déclarant que le gouvernement irakien « est un gouvernement
soumis à la volonté populaire et personne n’a le droit de lui imposer un
échéancier ». Il a dit que son propre gouvernement n’a été impliqué dans
aucune négociation sur un échéancier et que « seul le peuple qui a élu le gouvernement
a le droit d’imposer des limites de temps ou des amendements ».
Ces commentaires ne sont que la plus
récente indication de conflits entre le gouvernement Maliki et les occupants
américains. Durant l’attaque israélienne sur le Liban cet été et qui était soutenue
par les Etats-Unis, Maliki a dénoncé l’agression israélienne et plus tard a eu
une rencontre très médiatisée avec le président iranien Ahmadinejad à Téhéran.
Le 13 octobre, Maliki a donné une entrevue
à USA Today dans laquelle il déclarait son opposition aux préparatifs
américains pour un assaut sanglant sur Sadr City, disant « La façon dont
les forces multinationales pensent régler cette question, ce sera la
destruction d’un quartier entier. »
Le 25 octobre, les Etats-Unis ont organisé
un raid sur Sadr City, provoquant une réponse coléreuse de Maliki, qui a
demandé — et obtenu — la libération d’un adjoint de haut rang de Sadr qu’avaient
arrêté les forces américaines.
Alors que l’administration Bush a affirmé
avoir confiance en Maliki, en coulisse elle prépare activement un coup pour
mettre au pouvoir un gouvernement militaire qui aura promis de se soumettre aux
diktats de Washington.
United Press International (UPI), qui est la propriété des éditeurs du quotidien de droite le Washington
Post, a publié un reportage le 23 octobre, un jour avant la conférence de
presse de Khalilzad et Casey, intitulé « Un coup contre Maliki est
prétendument en préparation ». L’article disait que « Des officiers
de l’armée irakienne planifient prétendument l’organisation d’un coup d’Etat
militaire avec l’aide des Etats-Unis pour chasser le gouvernement du premier
ministre Nouri al-Maliki ». Un tel coup est préparé « au cas où les
tentatives du gouvernement Maliki pour restaurer l’ordre échoueraient ».
Citant « des sources arabes et
irakiennes basées au Caire », l’UPI écrit que « plusieurs officiers
irakiens » ont visité Washington récemment « pour avoir des
pourparlers avec des responsables américains sur des plans pour remplacer l’administration
de Maliki par un gouvernement de “salut national” ».
L’article continuait, « Parmi les
officiers [irakiens] les plus en vue, on trouve l’assistant du chef de l’état-major,
un chiite musulman, le chef des services du renseignement, un sunnite et le
commandant des forces de l’air, un Kurde. On croit que les trois pourraient
constituer le noyau du prochain gouvernement après que l’armée prenne le
pouvoir.
« Le plan qui est suggéré, selon la source, stipule que
la nouvelle armée irakienne, avec l’aide des forces américaines, prendra le
pouvoir, suspendra la constitution, procédera à la dissolution du parlement, et
formera un nouveau gouvernement. L’armée prendra aussi le contrôle direct des
diverses provinces et de l’administration après avoir imposé l’état d’urgence.
« Une source arabe a aussi déclaré à UPI que certains
pays arabes avaient été informés du plan. On aurait demandé leur aide pour
convaincre les anciens chefs du régime destitué du Parti baasiste résidant dans
leur pays de ne pas nuire à la procédure et d’arrêter la violence perpétrée par
le parti en Irak. En retour, ils seront invités à participer plus tard au
gouvernement. »
L’article de UPI n’est que le plus détaillé d’une série de
reportages d’un possible coup d’État conçu par les États-Unis. Peu importe si
le coup d’État est vraiment mis à exécution, les reportages sur de telles
préparations sont mis en circulation pour augmenter la pression américaine sur
Maliki pour qu’il exécute les demandes de l’armée des États-Unis.
En exigeant de Maliki qu’il approuve un assaut sur les
milices chiites, les États-Unis réclament de lui qu’il attaque un important
appui politique de ce régime hautement instable. Le premier ministre irakien,
un chef du parti islamique chiite Dawa, est dépendant à l’intérieur de l’Irak
des milices chiites, et en particulier de Sadr, qui possède un large appui
parmi la population chiite de Bagdad et du sud du pays.
Il y a un aspect de farce dans les protestations
de Maliki. Il est, après tout un pantin entre les mains des Américains qui a
obtenu le poste qu’il occupe actuellement suite aux manœuvres de Khalilzad
lui-même.
Washington a considéré que Maliki était
plus malléable que le candidat initialement choisi par le Parti dawa, le parti
dirigé par Ibrahim al-Jaafari. Maliki sait très bien que sa position dépend
entièrement de l’appui des Etats-Unis – qu’il est, en fait, « l’homme des
Américains en Irak ». Son régime n’a jamais été considéré par les
États-Unis comme étant un pas vers la démocratie, mais plutôt un mécanisme
assurant aux États-Unis le contrôle des ressources pétrolières de l’Irak et la
consolidation de l’hégémonie militaire et politique américaine sur la région.
Mais dans sa tentative de sauver son
gouvernement — et vraisemblablement sa tête — Maliki utilise le prétexte donné
par l’administration Bush pour poursuivre l’occupation par les Américains après
que l’argument de la présence d’armes de destructions massives et celui des supposés
liens entre l’Irak et al-Qaïda se soient révélé n’être que des mensonges
et s’effondrent : que Maliki est à la tête d’un État souverain démocratiquement
élu, le produit et symbole de la mission de démocratisation de Washington en Irak,
qui doit être défendu contre les ennemis « terroristes » de la
démocratie, c.-à-d. les Irakiens qui résistent à la domination militaire
américaine.
Alors que Washington commence à laisser
tomber la « démocratie » en tant qu’objectif en Irak, y substituant
plutôt la « stabilité », l’administration Bush s’est retenue de poser
des gestes directs contre Maliki à la veille des élections américaines du 7
novembre. Un tel geste, accompagné d’une offensive dirigée par les Etats-Unis
contre la milice sadriste, pourrait avoir des conséquences militaires et
politiques explosives, incluant un possible soulèvement de la population chiite
en Irak et l’érosion déjà dramatique de l’appui domestique en faveur de
l’occupation.
Samedi, Bush a tenu une vidéoconférence
avec Maliki afin de faire baisser la tension et affirmer l’appui des États-Unis
au premier ministre.
Néanmoins, il y a plusieurs signes qui
indiquent qu’une escalade majeure de la violence en Irak, particulièrement à
Bagdad, est en préparation, avec ou sans Maliki, pour la période suivant les
élections de la semaine prochaine, et qu’elle va recevoir un appui bipartisan
des démocrates aussi bien que des républicains, quelque soit le résultat du
vote. Les militaires américains ont déjà commencé à faire des incursions dans
Sadr City sous prétexte de retrouver un soldat manquant.
L’élite dirigeante américaine est
préoccupée par la puissance de la milice chiite pour deux raisons. Premièrement,
il y a une énorme opposition parmi les masses chiites à l’occupation
américaine. Deuxièmement, ces groupes ont des liens étroits avec le régime
iranien.
En éliminant le gouvernement baasiste, les
États-Unis ont créé un vide du pouvoir politique que l’Iran doit combler, même
si les États-Unis poursuivent une stratégie parallèle de miner l’Iran et
préparer de nouvelles attaques militaires contre ce pays. Cependant, une
action prise contre l’Iran, va obliger les États-Unis à créer un nouveau régime
client basé sur une combinaison différente de forces politiques, religieuses et
ethniques au sein de l’Irak.