wsws : Nouvelles et analyses : Europe
Par Rick Kelly
20 Mars 2006
Quelques 1 500 000 personnes manifestèrent dans toute la France samedi contre la loi sur le CPE (contrat première embauche) du gouvernement gaulliste. Cette journée nationale d'action est la troisième manifestation de masse ce mois-ci contre la destruction des conditions de travail des jeunes salariés.
Il y eut au total 160 manifestations dans tout le pays. La plus importante se tint à Paris où les organisateurs firent état de 350 000 manifestants. Quelques 500 d'entre eux se dirigèrent ensuite vers la Sorbonne (université parisienne) en scandant : « Libérez la Sorbonne- Police partout, justice nulle part ». L'université est bouclée par les CRS depuis vendredi dernier. De grandes manifestations eurent lieu aussi à Marseille (130 000 personnes), Bordeaux (55 000), Nantes (45 000), Toulouse (40 000) et Rennes (35 000).
Des centaines de milliers de lycéens et d'étudiants défilèrent encore dans les rues. Jeudi dernier, ils étaient déjà 500 000 à prendre part à des protestations dans toute la France. Les étudiants furent rejoints par un large éventail des différentes couches de la société française lors des manifestations de samedi. Retraités et salariés plus âgés se mêlèrent aux rangs des jeunes dans la lutte contre le CPE. Des salariés de tous âges, du secteur public et privé, syndiqués et non syndiqués, immigrés et français de souche, étaient là. Des familles entières, dont certaines avec de très jeunes enfants, défilèrent pour marquer leur opposition au gouvernement.
Le CPE permet aux patrons de licencier tout salarié de moins de 26 ans sans fournir de justification pendant les deux premières années suivant l'embauche. Le gouvernement UMP (Union pour un mouvement populaire) du premier ministre Dominique de Villepin fit passer la mesure en force au Parlement le 9 mars. L'hostilité envers le gouvernement n'a pas cessé de s'amplifier ces dernières semaines. Le CPE est largement reconnu par les Français comme le prologue à une offensive de plus grande envergure contre les conditions de vie de la classe ouvrière toute entière.
A la manifestation parisienne, des sympathisants du World Socialist Web Site ont distribué des milliers d'exemplaires de la déclaration du WSWS "Questions politiques posées par la lutte contre le CPE'" , qui furent bien accueillies par les manifestants. La déclaration insiste sur la signification européenne et internationale de la lutte anti-CPE, qui oppose salariés et jeunes à la classe dirigeante française dans son ensemble. Le WSWS met l'accent sur la nécessité d'une lutte indépendante basée sur une perspective socialiste et internationale, s'opposant non seulement à tout le gouvernement Chirac-Villepin, mais aussi aux bureaucraties syndicales de la « gauche » officielle et à la « Gauche plurielle », Parti socialiste et Parti communiste.
Des contingents de salariés défilèrent sous les banderoles des différents syndicats. A Paris, Des groupes du Parti socialiste et du Parti communiste défilèrent non loin de la tête de cortège. François Hollande, dirigeant du Parti socialiste et Marie-George Buffet, dirigeante du Parti communiste, étaient présents.
Mais seule une petite partie de la manifestation défila sous les drapeaux et banderoles des vieilles organisations bureaucratiques de la classe ouvrière française. La plupart étaient venus indépendamment et beaucoup portaient des pancartes qu'ils avaient eux-mêmes confectionnées: « Non à la jeunesse jetable », « Y en a marre d'être pressés comme des citrons », « Non au contrat kleenex », « L'esclavage par la petite porte », « Jetez le CPE, ne jetez pas la jeunesse ! » Une pancarte représentait une guillotine tranchant le slogan populaire de la Révolution française de 1789 : Liberté, Egalité, Fraternité. La banderole la plus populaire déclarait, « Contrat Pour Esclaves ».
Les manifestants défilèrent dans la bonne humeur exprimant leur colère vis-à-vis du gouvernement et leur détermination à ne pas céder. Des jeunes chantaient « Villepin, si t'es un homme, on est prêt à se battre avec toi » et « ça va péter ».
Un nombre important de jeunes noirs et maghrébins des
banlieues parisiennes touchées par les troubles de l'année
dernière étaient aussi à la manifestation.
La tentative du gouvernement de présenter le CPE comme
une mesure d'aide à l'emploi pour ces jeunes chômeurs
a échoué.
Un reportage du Financial Times du 17 mars, intitulé
«Les pauvres et les étudiants français bien
décidés à ne pas être la 'génération
kleenex' » fit remarquer l'opposition très répandue
dans les banlieues appauvries aux réformes gouvernementales.
Le chômage des jeunes s'élève jusqu'à
50 pour cent dans ces quartiers.
"Si ces étudiants venaient ici et voyaient à quoi ça ressemble, ils manifesteraient peut-être encore mais au moins ils comprendraient mieux pourquoi. », dit au Financial Times Sema, chômeuse de 26 ans qui vit à Clichy sous Bois. « [Le CPE] est injuste. Deux ans c'est trop long. Ce serait un grand risque pour des gens comme moi avec deux bébés à la maison. Je pourrais me retrouver sans rien après deux ans. Les patrons en profiteraient pour licencier les gens après quelques mois. »
Il fut reporté que de petits groupes de jeunes lancèrent des pierres et autres missiles sur la police vers la fin de la manifestation parisienne de samedi. Des véhicules furent brûlés et des magasins endommagés. Les policiers lancèrent des gaz lacrymogènes sur les jeunes. 17 personnes au moins furent blessées, et les autorités firent état de 167 arrestations. La police chargea et lança des gaz lacrymogènes également sur les manifestants à Marseille, Rennes et Lille.
Le gouvernement et des sections des médias français cherchent à se servir de la violence pour discréditer les étudiants et leurs revendications, bien qu'il soit prouvé que des groupes néofascistes ont provoqué certains des affrontements. Vendredi dernier, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy rencontra les CRS et présenta à la presse un casque endommagé. « Ceux qui ont fait ça ne sont pas des manifestants. Ce sont des voyous », déclara-t-il.
Le mouvement de protestation qui s'amplifie a crée une crise grave pour le gouvernement. Le premier ministre Villepin, soutenu par le président Jacques Chirac, a refusé de retirer le CPE et s'est contenté de promettre un plus grand « dialogue ». Vendredi dernier, Villepin rencontra les présidents d'universités. « Il se rend compte que nous sommes au bord de l'affrontement », déclara après la rencontre Yannick Vallée, vice-président à la conférence des présidents d'universités. Les présidents d'universités demandèrent au premier ministre de suspendre le CPE et de négocier avec les syndicats d'étudiants.
Les grèves d'étudiants touchent près de 60 des 84 universités de France, et 16 au moins sont bloquées par les étudiants. Le personnel enseignant de nombreuses universités est en grève pour soutenir le mouvement anti-CPE.
Le gouvernement a aussi cherché à avoir des discussions avec des dirigeants syndicaux. La semaine dernière, les syndicats acceptèrent de rencontrer Jean-Louis Borloo, ministre de la cohésion sociale, et Gérard Larcher, secrétaire d'Etat à l'emploi.
Les syndicats, dont la CGT (Confédération générale du travail) et FO (Force ouvrière), s'efforcent de limiter le mouvement de protestation à la question unique du CPE, et d'orienter l'hostilité populaire envers le programme de droite du gouvernement derrière les Partis socialiste et communiste. Les syndicats s'emploient consciemment à isoler le mouvement anti-CPE auquel ils reconnaissent le potentiel de se développer rapidement en dehors de leur contrôle.
Les dirigeants syndicaux ont rencontré les dirigeants des syndicats d'étudiants samedi dernier dans la nuit. Ces derniers ont demandé aux syndicats d'appeler à une journée de grève nationale jeudi prochain, le 23 mars, où des manifestations de lycéens et étudiants sont encore prévues. Les dirigeants syndicaux ont rejeté la demande. D'après un mémo interne écrit par Laurent Zappi, délégué de la FSU (Fédération des syndicats unitaires), la CGT, liée aux staliniens a déclaré que l'unité syndicale devait être maintenue, et que comme tous les syndicats n'étaient pas d'accord pour la grève du 23 mars, elle n'aurait donc pas lieu.
Vendredi dernier, Bernard Thibault, dirigeant de la CGT dit à la chaîne télévisée France 3, « S'ils ne nous écoutent pas, il nous faudra envisager la grève générale partout dans le pays. [Mais] je suis optimisteque le gouvernement va finir par se rendre compte de la situation qu'il a lui-même provoquée».
Le refus de la CGT de soutenir la manifestation des étudiants de jeudi prochain a souligné la duplicité de Thibault. Comme le sait très bien le gouvernement de Villepin, le dirigeant syndical n'a pas la moindre intention d'appeler à la grève générale.
Suite à la manifestation de samedi, la seule chose sur laquelle les syndicats se sont mis d'accord c'est qu'une nouvelle rencontre aurait lieu lundi 20 pour débattre de la possibilité de mettre en place une grève d'une journée le 28 ou le 30 mars. Cette date tardive a pour but de disperser le mouvement anti-CPE et de donner au gouvernement le temps de négocier un compromis avec les syndicats, leur permettant ainsi d'éviter un mouvement de grève.
Le gouvernement affirme avec insistance qu'il n'abrogera pas
le CPE, mais a indiqué qu'il est prêt à faire
un geste en direction des syndicats. Le porte-parole du gouvernement,
Jean-François Copé dit, après la manifestation
que « [le gouvernement] a la main tendue, la porte est ouverte
» pour discuter des manières d'« améliorer
» le CPE.